III.3.1.- Les critiques
Comme toute théorie, celle du capital humain suscite
des controverses qu'il convient de mettre en évidence. La théorie
du capital humain se résume finalement à un enchaînement
logique que l'on pourrait schématiser comme suit :
Education ? Capital humain ? Productivité ? Salaires
Les deux maillons centraux fournissent une « explication
» de la corrélation observée entre éducation et
salaires. Le problème est qu'il s'agit de termes théoriques, sans
contrepartie directement observable. On ne peut mesurer sans
ambiguïté ni le capital humain, ni la productivité. Pour ce
qui est du capital humain, on a tenté diverses mesures, qui passent en
général par la quantité ou la qualité de
l'éducation reçue par l'individu. Une autre piste de recherche
consiste à tenter une mesure directe des compétences (cf.
Paul, 2002).
1) Le capital humain : une notion ambiguë et
complexe
Les économistes ont rarement mené une
réflexion approfondie sur la notion même de capital humain. Trop
souvent, on se contente d'utiliser ce terme à propos de toute
dépense de formation qui semble avoir comme conséquence une
augmentation des salaires, sans s'interroger réellement sur les
mécanismes sous-jacents, ou sur la signification précise du
concept. Pour Bernard Gazier, « on peut définir le capital
humain comme l'ensemble des capacités productives d'un individu (ou d'un
groupe), incluant ses aptitudes opératoires au sens le plus large :
connaissances générales ou spécifiques, savoir-faire,
expérience... » (Gazier, 1992, p.193). Cette définition
insiste donc sur le contenu du capital humain, en passant sous silence les
conditions de son acquisition et de sa valorisation. Pourtant, l'auteur
précise plus loin que « le capital humain n'existe [...] que
s'il est valorisé sur le marché du travail » (p. 200).
La notion de capital humain apparaît donc d'emblée comme complexe
: il s'agit d'un contenu (des aptitudes productives), mais ce contenu n'existe
réellement comme capital humain que s'il est reconnu, sanctionné,
par l'attribution d'une valeur (le salaire) sur le marché du travail.
Selon Jean-Claude Eicher, l'hypothèse centrale de la
théorie du capital humain est que « l'éducation augmente
la productivité de celui qui la reçoit » (Eicher, 1990,
p. 1309). Et de préciser : « en fait, l'hypothèse est un
peu différente au départ car le « capital humain » peut
être en effet défini comme toute mobilisation volontaire de
ressources rares dans le but d'augmenter la capacité productive d'un
individu. Certaines dépenses de santé et d'information - en
particulier sur la situation du marché du travail - constituent donc des
investissements en capital humain, mais la formation est toujours
considérée comme la forme principale de cet
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investissement. » (p. 1332). Le capital humain
est caractérisé avant tout par un effet sur la
productivité ; il s'agissait à priori d'expliquer une
augmentation de la production qui ne pouvait être reliée aux
traditionnels facteurs travail et capital. Or, parler de « mobilisation
volontaire de ressources rares » nous ramène directement au coeur
de la théorie économique qui est souvent définie comme
l'étude des choix en situation de rareté.
2) Le problème de la mesure de la
productivité marginale
La productivité marginale d'un individu est
définie théoriquement comme la quantité
supplémentaire de produit qui résulte de sa participation au
processus de production. Mais si l'on peut imaginer de la mesurer avec une
certaine précision dans quelques cas concrets, il existe en revanche de
nombreux exemples de cas où la production n'est pas individualisable,
où le « produit » lui-même n'est pas mesurable, etc. La
théorie est donc ambiguë « parce que tout repose sur
l'idée d'une productivité individuelle accrue supposée
mesurable, et isolable des équipements comme de l'insertion dans tel ou
tel collectif de travail. » (Gazier, 1992, p.202). Ce qui n'est pas
évident. On propose souvent de mesurer indirectement la
productivité par les salaires, mais on tombe alors dans une
circularité parfaite (la productivité explique le salaire, mais
ne peut être mesurée que par son intermédiaire...).
Ainsi, l'explication apparaît fragile et contestable
dans la mesure où les deux termes intermédiaires n'ont pas de
contrepartie empirique bien définie. La théorie du capital humain
permet d'analyser la relation entre éducation et salaires dans un cadre
théorique conforme à la tradition néo-classique, en ayant
recours à des choix individuels rationnels. Mais la pertinence empirique
de l'explication proposée est loin d'être évidente.
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