III.3.- Capital humain et croissance économique
Le rôle primordial du savoir-faire dans l'augmentation
de la productivité et, par conséquent, la croissance des revenus
a été souligné dès le XVIIIe
siècle par Adam Smith, Marshall (1920) et Schumpeter (1950). Une
première formalisation du concept au sein de modèles
économétriques provient de Lewis (1955) qui introduit le
rôle joué par le capital humain (KIT) dans le développement
national. Parallèlement, Solow conclut (1956, 1957), par son approche
des fonctions de production et en dépit des variations de qualité
et de composition des facteurs de production, qu'une part significative des
augmentations du rendement per capita (productivité) demeurent
non expliquées. Il explique cette différence par un «
résiduel » attribué aux progrès de la connaissance et
de la technologie qui, à la différence du capital et du travail,
ne peut être directement mesuré. La notion de KIT dans le
modèle dit néoclassique de Solow est ensuite
précisée par Becker (1962) avec son concept du stock de
savoir.
Les analyses empiriques de Denison (1962) démontrent,
pour leur part, l'importance de la qualité des intrants dans la
génération de croissance à long terme, notamment en ce qui
a trait à la qualification de la main d'oeuvre, quantifiable par le
niveau d'éducation. Regroupées sous l'appellation
théorie de la croissance endogène (ou modern growth
theory), de nouvelles approches ont prolongé le modèle
néoclassique de croissance en intégrant l'idée des
rendements croissants grâce entres autres aux progrès
technologiques et à la diffusion du savoir. Les modèles de Lucas
(1988) et Romer (1986, 1990) considèrent le KIT comme un facteur sans
rendement décroissant et non-rival, et dont l'ampleur des stocks
déterminent grandement le niveau de vie des populations39.
Ces modèles attribuent également une influence aux politiques
publiques par l'entremise des investissements dans le système
d'éducation. Si certaines recherches établissent un lien entre
les niveaux d'éducation et la croissance économique (Mankiw et al
1992; Barro et Salai-Martin 1995; Gemmell 1996; Temple 2000), d'autres n'ont pu
établir de lien significatif (Islam 1995; Kruger et Lindahl 2000).
Plusieurs chercheurs traitent également du lien entre KIT et plusieurs
indicateurs de croissance économique à une échelle
métropolitaine ou régionale. Parmi eux, mentionnons Moretti
(2003) qui souligne les conséquences bénéfiques des
externalités sociales, Glaeser et Shleifer (1995) qui expliquent comment
la croissance de population et de revenu sont positivement influencés
par le niveau initial d'éducation. Simon et Nardinelli (2002) soulignent
quant à eux la présence d'une corrélation forte entre les
stocks initiaux de KH et la croissance d'emploi. L'étude des villes
états-uniennes entre 1940 et 1990 par
39 Certains chercheurs ont toutefois fait état
de défis soulevés par la qualité des données lors
de comparaisons internationales (Krueger et Lindahl, 2000; de la Fuente et
Doménech, 2000).
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Glaeser et Saiz (2003) indique à son tour que le niveau
de KH représente un indicateur valable de la croissance future de
productivité.
Ces résultats sont toutefois nuancés par
d'autres recherches. Moretti (2004) soutient que l'accroissement du nombre de
gradués pour une agglomération donnée favorise les gains
de revenus des populations ne détenant qu'un diplôme secondaire ou
moins. Acemoglu et Angrist (2000) n'identifient que peu d'indices prouvant la
présence d'externalités des niveaux d'éducation sur la
productivité locale. Une revue de la littérature scientifique de
Siegfried et al (2006) conclut que les externalités de l'accumulation du
KH local sur la productivité et la croissance demeurent difficiles
à quantifier à l'échelle régionale. Au sujet des
régions métropolitaines canadiennes, Coffey et Shearmur (1996)
discernent une corrélation positive mais faible du KH sur la progression
de l'emploi alors que Shearmur (1998) souligne également l'apport
positif mais faible de l'éducation au modèle RSC
(région-taille-centralité), à l'exception des secteurs
manufacturiers (dans les années 1980) et du commerce de détail
(pendant la récession de 1991 1994). Les résultats sont
également mitigés chez Coulombe et al (2004) et Coulombe et
Tremblay (2006) pour qui l'indicateur de réussite universitaire
représente une meilleure variable prédictive de la croissance du
revenu que les niveaux d'alphabétisation. Une diversité de
résultats de recherche quant au capital humain au sein des milieux
académiques qui permet de comprendre les différentes
théories élaborées sur le capital humain et son incidence
dans l'accroissement économique d'un pays.
Comme l'explique clairement Jean-Claude Eicher (1990), la
théorie du capital humain a deux composantes : c'est une théorie
de la répartition des revenus, et une théorie de la demande
d'éducation. Au coeur de la théorie se trouve la
corrélation entre niveau d'éducation et salaire. Il est possible
de lire cette corrélation dans les deux sens. On peut considérer
que les différences d'éducation expliquent les différences
de salaires, et élaborer une théorie de la distribution des
revenus. Si l'on considère au contraire que les différences de
salaires expliquent et motivent les différences de niveaux
d'éducation, on obtient alors une théorie de la demande
d'éducation. C'est ce second aspect qui sera développé
dans la suite de cette étude. Comme on l'a déjà
laissé entendre, c'est la productivité qui fournit le lien
théorique entre éducation et salaire. L'éducation augmente
la productivité du salarié, et donc sa
rémunération. La théorie s'inscrit ainsi dans le cadre
général de la théorie néo-classique, qui affirme
que les facteurs de production sont rémunérés à
leur productivité marginale. Elle « remonte un cran »
supplémentaire dans l'explication des salaires, en reliant en amont les
différences de productivité à des différences de
niveaux d'éducation.
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