3) JUSTIFICATION DE L'ÉTUDE
Point n'est besoin de démontrer le
bienfait de l'instruction pour le bien-être individuel et familial et
pour le développement social, économique et culturel d'un pays.
Or, comme on le sait, de nombreux enfants africains d'âge scolaire, et
notamment les filles et enfants issus de milieux défavorisés, ne
vont pas à l'école. Même si l'on peut évoquer
à juste titre le manque ou l'insuffisance d'infrastructures scolaires
(offre scolaire), il y a lieu de penser qu'il ne suffit pas à expliquer
cette situation. Cette pratique est déterminée par un
réseau de facteurs et non une causalité simple et
linéaire.
Comme l'écrit en effet Marc PILON
(1991), «face à une même offre scolaire, faible ou forte, on
observe des disparités, en ville comme en milieu rural, le
phénomène le plus connu est la sous-scolarisation des
filles ». De plus, pour expliquer cette situation, des études
ont mis en évidence d'autres facteurs tels que la profession, le niveau
d'instruction, l'appartenance ethnique du chef de ménage (Martin,
1982 ; Dupont, 1983 ; de Vreyer, 1993 ; Clignet, 1994 :
cités par IFORD, 1996).
Bref le phénomène semble
grandement lié tant aux caractéristiques socio-économiques
que culturelles et idéologiques du chef de ménage ainsi qu'au
statut familial des enfants, et découlerait plus ou moins des
stratégies familiales dont il conviendrait de mieux comprendre les
logiques.
Le fait de ne pas scolariser une fille est
un problème qui doit toucher la nation entière car ne dit-on pas
"qu'éduquer un homme c'est éduquer un individu mais
éduquer une femme c'est éduquer une nation ?". Tout individu
sans distinction de couleur, de race, de religion et de pays n'a pas seulement
le droit à l'éducation mais le devoir de se faire éduquer
pour le bien-être de tous. Car comme l'affirme Tchegho (1999), l'objectif
quantitatif affirmé de tous les systèmes scolaires est de
scolariser toutes les ressources humaines dont la mobilisation optimale permet
d'accroître la production des richesses, paramètre important du
bien-être.
Chacun sait aujourd'hui que la variable
géographique affecte d'une manière déterminante la
scolarisation. Les chances d'aller à l'école dépendent de
la région où l'on vit et cela renforce généralement
les inégalités entre garçons et filles....
Il est admis que l'urbanisation tend à
diminuer les inégalités dans l'enseignement mais des
études approfondies manquent pour mieux connaître les situations
réelles et leurs véritables causes. On sait par ailleurs combien
est importante l'influence du milieu familial. Le taux de scolarisation varie
selon la catégorie socio-professionnelle de la famille (Deble, 1980).
De très fortes disparités scolaires
s'observent dans les pays africains : la plupart des pays de la zone
sahélienne (le Niger, le Mali, le Burkina Faso, l'Éthiopie et
Djibouti) présentent des taux de scolarisation inférieurs
à 50% pour les garçons et compris entre 20% et 35% pour les
filles ; à l'opposé, presque tous les pays d'Afrique
australe et la plupart des pays du Maghreb (sauf le Maroc) ont de taux bruts
supérieurs à 100% tant pour les garçons que les filles, et
donc avec des rapports de parité entre sexes très
élevés. Globalement, les pays anglophones scolarisent davantage,
et notamment les filles, que les francophones (Lange, 2000).
L'extrême diversité des pays
d'Afrique nous amène à centrer nos préoccupations sur les
pays africains situés au sud du Sahara et principalement sur le cas du
Tchad.
Il nous semble impérieux de mener
une étude sur ce pays sahélien situé au coeur de l'Afrique
en vue de l'aider à arriver à instaurer dans les années
à venir l'enseignement primaire universel.
Le pays semble être divisé en deux
parties : le Nord et le Sud correspondant respectivement aux zones musulmane et
chrétienne. Les guerres civiles surtout celle de 1979 et les incessants
conflits tribaux ou claniques voire religieux ont profondément
marqué les esprits et améné beaucoup de Tchadiens à
ne réfléchir qu'en termes d'opposition Nord/Sud ou
musulman/chrétien conduisant à des habitudes et comportements
différenciés qui ont certainement une influence notable sur la
scolarisation des enfants selon les régions.
Les divergences semblent encore s'approfondir
avec l'instauration du bilinguisme Français-Arabe. Les Tchadiens du Nord
se considèrent comme tributaires de l'Arabe et ceux du Sud se soucient
très peu de l'Arabe en considérant le Français comme la
seule langue officielle valable pour eux. Une conciliation des deux langues
devrait être fructueuse pour tout Tchadien mais le fait de voir dans la
langue en filigrane la religion qui l'utilise fréquemment empêche
beaucoup de Tchadiens de tenir compte de la fonction première de chacune
de ces deux langues. Et dans cette querelle, les enfants sont les grands
perdants.
Pour être durable, un programme de
développement doit veiller à préserver les
intérêts des générations futures. Autrement dit, il
faut que celles-ci aient des possibilités supérieures ou
égales de développement que la génération actuelle.
Le Tchad doit investir en faveur de ses enfants afin de maximiser ses chances
de développement futur. Or pour comprendre le processus de
développement, il faut reconnaître toute la complexité et
tenir compte du contexte. Faire un état des lieux s'avère donc
nécessaire. Comme le dit Mme Carol BELLAMY, directrice
générale de l'UNICEF, « il y a bien des moyens de
mesurer le progrès, mais les mesures axées sur les enfants sont
les plus parlantes » (UNICEF, 2003).
En plus, la planification de
l'éducation grâce à la carte scolaire qui vise à
assurer l'égalité entre l'offre et la demande d'éducation,
la répartition équitable des ressources éducatives, la
prise en compte des spécificités locales et une bonne
articulation des réseaux scolaires ne peut se faire qu'à l'aide
des analyse-diagnostics du système éducatif existant du genre de
la présente étude.
Nous avons choisi de travailler uniquement sur la
scolarisation des enfants de 6 à 14 ans en vue de voir
préférentiellement la situation des enfants tchadiens par rapport
à l'EPU. Et surtout de scruter là où les enfants issus
des familles pauvres peuvent du moins prétendre avoir accès sans
difficulté. Cette tranche d'âges est aussi indispensable quand on
veut se lancer dans des comparaisons internationales. Nonobstant l'apport non
négligeable de l'enseignement secondaire et supérieur dans le
processus de développement, nous avons voulu contribuer à la
lutte pour la manifestation des signes précurseurs de la
non-discrimination dans la société tchadienne prioritairement par
l'examen de la situation au niveau de l'enseignement de base.
Cette étude vient en appui à certaines
sollicitations et préoccupations de chercheurs africains et africanistes
concernant les problèmes de genre en matière de scolarisation et
la connaissance des déterminants familiaux de la scolarisation. Ainsi
pour Daouda et al. (2001), « la prise en compte de la demande
d'éducation reste tout à fait rare au Niger, même s'il est
admis aujourd'hui que l'interrogation sur les déterminants familiaux est
essentielle pour la résolution des problèmes de
scolarisation....
Comment peut-on expliquer par exemple le fait que le taux de
scolarisation soit aussi bas à Zinder (21,4%) et Tillaberi (23,5%), deux
grandes villes de l'Est et de l'Ouest du pays, alors qu'il est plus
élevé dans des régions apparemment moins dotées en
infrastructures et en enseignants, comme celle d'Agadez en zone
désertique du Nord avec 42,4% d'enfants
scolarisés ? ».
A la fin d'une étude sur les
déterminants socio-économiques et démographiques de la
scolarisation au Tchad avec les données de l'Enquête sur la
Consommation et le Secteur Informel au Tchad (ECOSIT), Mbaïndôh
(1997) a formulé des propositions allant dans le sens d'un
approfondissement des résultats avec la prise en compte des variables
telles que le revenu des ménages, l'ethnie et la religion du chef de
ménage, l'activité des adultes occupés qu'il n'avait pas
pu prendre en compte car ne figurant pas dans le fichier ménage qui a
servi à cette étude.
Par ailleurs, des études menées soit
par les démographes de l'ATEP (Association Tchadienne pour l'Etude de la
Population) et de la DCAP (Direction de la Coordination des Activités en
matière de Population) en collaboration avec le FNUAP soit par les
chercheurs de l'ISSED (Institut Supérieur des Sciences de l'Education)
avec l'appui de l'UNICEF ont à maintes reprises attirées
l'attention du public sur l'existence d'énormes disparités
scolaires au Tchad. Les différentes études se sont surtout
beaucoup plus appesanties sur les disparités en matière de
scolarisation entre les sexes et dans une moindre mesure entre les
régions (Galy, 1986; Djarma et Tolmbaye, 1995; Ngar-one, 1998; Ningam,
1999; Ignegongba, 1999; Hagam, 2003).
Cette étude permettra d'appréhender
les caractéristiques des enfants les moins scolarisés en mettant
un accent particulier sur leur région de résidence et les
caractéristiques des ménages et des chefs de ménage
où ils vivent d'une part et les inégalités entre sexes en
matière de scolarisation d'autre part.
Parce que, dans nombre de pays d'Afrique,
la majorité des enfants en âge scolaire légal n'ont jamais
été ou ne sont plus à l'école, l'étude de la
demande d'éducation doit aussi porter sur la
«non-scolarisation » : en s'intéressant aux enfants
«déscolarisés » et aux enfants «jamais
scolarisés ». Mieux appréhender leurs
caractéristiques constitue une autre manière d'aborder la
question de la demande. La scolarisation des filles, toujours autant
problématique dans la plupart des pays, mérite évidemment
une attention renouvelée....
Des différences de scolarisation entre
garçons et filles aux différences de pratiques scolaires entre
hommes et femmes se trouve ainsi posée la problématique de la
scolarisation sous l'angle du genre, des rapports entre sexes. C'est là
une question fondamentale, qui dépasse le seul cadre éducatif, et
touche au coeur du fonctionnement des sociétés (Pilon et Yaro,
2001 : 219).
Les enjeux de la scolarisation se
révèlent assurément multiples et complexes car comme le
souligne Gérard (1997), ils ne sont pas «simplement
éducatifs mais aussi démographiques, sociaux, politiques,
symboliques..., et liés tout autant au travail qu'à
l'éducation ». Depuis les années 1980, l'attention des
économistes sur la demande d'éducation dans les pays en
développement s'est centrée sur la question de l'accès
à l'école.
La recherche dans ce domaine chez les sociologues,
anthropologues et démographes n'est presque qu'à ses
débuts.
La rareté des études sur les
disparités régionales en matière de scolarisation des
enfants en Afrique subsaharienne justifie l'urgence de la réalisation de
cette étude.
Nous souhaitons contribuer à une meilleure
connaissance des facteurs influents sur la scolarisation des enfants et
suggérer des solutions afin de rehausser le niveau de scolarisation des
enfants de 6 à 14 ans et de réduire les disparités entre
les régions et les sexes en République du Tchad.
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