131
Chapitre III
Le cartulaire : un instrument de légitimation du
ministère
épiscopal
Concevoir le cartulaire comme un instrument de
légitimation centripète centré sur la gestion interne d'un
territoire ou l'affirmation d'une mémoire et d'une identité
épiscopales est essentiel. Mais percevoir le manuscrit par son
efficience sociale au sein d'un réseau donné l'est encore plus.
En effet, les cartulaires sont généralement conçus lorsque
l'institution concernée se sent menacée, c'est-à-dire
quand les autres acteurs sociaux tendent à remettre en question son
autorité et son influence. C'est notamment ce qui explique la
multiplication des conflits d'ordre politique à partir du
XIIe siècle, avec pour principale doctrine, pour l'Eglise,
qu'idéalement le règne de Dieu devait s'accomplir sur Terre et
que le clergé se devait d'administrer son
domaine191.
C'est donc en ce sens qu'il possible d'étudier le
cartulaire en tant que moyen de légitimation du ministère
épiscopal. L'artificialité du manuscrit, du fait notamment du
caractère subjectif de la compilation, permet donc d'apporter de la
profondeur à l'autorité épiscopale, faisant des
différents évêques de Laon les acteurs principaux d'une
société laonnoise qui serait tributaire de leur domination
d'origine divine. Car, effectivement, l'immense majorité des actes
retranscrits sont au bénéfice des évêques, les rares
où un évêque effectue une concession étant
accompagnés de contreparties192, ce qui tend quelque peu
à neutraliser le rapport de force. Dès lors, le cartulaire se
voit marqué par un « épiscopalocentrisme » censé
réévaluer le rôle des évêques de Laon et les
replacer sur le devant de la scène193.
* *
*
191 GOODY Jack, La logique de l'écriture : aux
origines des sociétés humaines, Paris, Armand Colin, 1986,
p. 31.
192 AD Aisne, G 2, n° 18, 1266 : dans cet acte, Jean de
Bruyères, maire de Laon, et les jurés de la ville, reconnaissent
que l'évêque leur a abandonné moyennant une somme de 1000
livres tournois les droits forains qu'ils réclamaient sur les poireaux,
choux, oignons et noix. Ainsi, pour l'évêque, la perte de droits
s'accompagne alors du gain d'une somme non négligeable amortissant
largement cet abandon.
193 Le vocabulaire théâtral acquiert dans ce
chapitre une importance capitale, notamment dans une perspective toute
goffmanienne de la société. En effet, pour Erving Goffman, toute
société n'est qu'un vaste théâtre où les
individus jouent un rôle défini notamment par leur position social
(GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne, t. 1
« La présentation de soi », Paris, Editions de Minuit, 1973
; Les rites d'interaction, Paris, Editions de Minuit, 1974).
132
Un instrument performatif dans un processus de
coopétition politique
Nous l'avons observé dans le chapitre
précédent, le cartulaire s'inscrit dans le cadre d'une
société conflictuelle, renvoyant alors à une vision
instrumentale, sinon fonctionnaliste, de l'écriture, conçue comme
une technologie qui accroitrait le rendement politique et permettrait une
résolution plus efficace des conflits194. Néanmoins,
tous les actes compilés ne font pas nécessairement
référence à des conflits, mais plutôt à des
accords conclus entre des individus ou une institution, et
l'évêque, en notant toutefois le bénéficiaire
principal reste ce dernier : par exemple, cette reconnaissance faite par
Pierre, comte d'Alençon et de Blois, sire d'Avesne, et Jeanne, sa femme,
à l'évêque de Laon que l'hommage qu'ils ont rendus à
l'évêque de Paris ne pourra porter préjudice à
l'évêque ni à ses successeurs195 ; ou encore
cette autorisation accordée par l'évêque à l'abbaye
Saint-Yved de Braine de laisser leur cheptel paître sur son domaine de
Chevregny196. Ces deux exemples montrent donc bien que tout rapport
social n'est pas nécessairement conflictuel, mais participe aussi d'une
forme de coopération. Or c'est cette interaction permanente entre
compétition et coopération qui a fait naître le concept de
« coopétition », c'est-à-dire un principe de
coopération parallèle à un autre de compétition.
Deux seigneurs ont par exemple intérêt à coopérer
afin de contrôler au mieux un certain espace, mais dès que l'un
des deux empiètera sur les prérogatives de l'autre, cette
coopération éclatera en morceaux pour se transformer en une
situation compétitionnante latente.
Il semble donc nécessaire d'analyser le cartulaire
dans le cadre d'un pluralisme juridique, c'est-à-dire qu'il n'y aurait
pas qu'un unique corpus de normes et de règles, mais qu'à
l'inverse, tout agencement se ferait selon des rapports de collaboration, de
coexistence simple ou de compétition. Les représentations
insisteraient alors sur la complémentarité et la
réciprocité des groupes sociaux, la société
n'étant qu'un assemblage de groupes différents, devant tendre
à cette complémentarité. La rédaction d'un
cartulaire est donc significative de cette non-uniformité du droit face
à une volonté de maintenir les particularismes des
différents groupes sociaux.
De plus, le XIIe siècle étant
marqué par la redécouverte du droit écrit par
l'Église, par le biais de la réforme grégorienne, le Grand
cartulaire de l'évêché de Laon, réalisé pour
l'essentiel au XIIIe siècle, s'inscrit dans la droite ligne
de ce mouvement, l'évêque, en faisant le choix de compiler et de
transcrire des chartes, affirmant de ce fait son autorité sur le
territoire où les contenus s'appliquent. C'est ainsi que le cartulaire,
nous venons de
194 MORSEL Joseph, « Ce qu'écrire veut dire au
Moyen Âge. Observations préliminaires à une étude de
la scripturalité médiévale », Memini. Travaux et
documents de la Société des études
médiévales du Québec n° 4, 2000, p. 8.
195 AD Aisne, G 2, n° 109, 1287.
196 AD Aisne, G 2, n° 84, 1250.
133
le voir plus en avant, participe à une affirmation
territoriale de l'évêché et vient renforcer
l'autorité de l'évêque. Ainsi, lorsque ce dernier se sent
injurié, c'est-à-dire que des actions sont commises « contre
son droit », comme c'est par exemple le cas lors de délits, de
rapts, ou d'emprisonnements intempestifs, il répond sous forme violente
ou engage un procès entraînant réparation, souvent
pécuniaire - une amende -, le fautif devant s'en acquitter, ce qui
permet de donner une valeur au jugement et ainsi de payer par d'autres moyens
(vin, chapons, blé, avoine, droits divers...). De ce fait, lorsque les
deux parties acceptent le prix, la charte est produite pour publiciser et
officialiser le règlement. Or, il est tout à fait probable
certaines cessions patrimoniales, dont nous ne connaissons pas
nécessairement les conditions de réalisation, peuvent avoir
été effectuées dans le cadre de tels règlement de
conflits197. Quoi qu'il en soit, il apparaît alors que le but
du conflit, et donc de la mise par écrit de son issue, est soit de voir
reconnaître son droit, soit de renégocier des liens anciens dans
un nouveau rapport de force, souvent l'occasion d'instrumentaliser des normes,
de les redéfinir et de les hiérarchiser. Mais, la plupart du
temps, et dans une perspective grégorienne, le Grand cartulaire de
l'évêché de Laon cherche moins à renégocier
des liens qu'à les rompre à son profit.
Toutefois, les stratégies diffèrent selon les
espaces et les acteurs en question. Par exemple, l'attitude adoptée par
les évêques ne sera pas la même si le rapport de force
s'exprime au coeur même du territoire épiscopal ou s'il s'agit
d'espaces périphériques. De même, les méthodes
employées divergeront s'il s'agit d'individus ou d'institutions
concurrentes ou subordonnés à l'autorité
épiscopale. C'est pourquoi il est possible de distinguer dans le
cartulaire un triptyque d'acteurs répondant à ce principe de
coopétition : les communes implantées dans le Laonnois -
présentes au sein du territoire épiscopal et dont l'existence se
fonde essentiellement sur une indépendance vis-à-vis des
évêques - ; les ministériaux de l'évêque -
présents eux aussi, par nature, dans l'espace de domination des
évêques mais subordonnés à leur autorité - ;
et enfin les différents seigneurs alentours - implantés en
périphérie de l'évêché et concurrents du
pouvoir épiscopal.
197 AD Aisne, G 2, n° 42, 1222 : dans cet acte,
Gérard de Clacy, vidame, se rédime de l'évêque
Anselme de Mauny en lui cédant une rente de 5 muids de blé mesure
de Laon, moyennant la somme de 60 livres provins.
134
L'évêque et les communes du paysage
laonnois
Bien que la commune de Laon occupe une place centrale dans le
cartulaire, les autres communes implantées au sein de
l'évêché ne sont pas en reste. Cependant, leurs relations
avec l'autorité épiscopale diffèrent quelque peu.
L'évêque et la commune de Laon
En effet, concernant la commune de Laon, l'acte liminaire du
cartulaire semble donner le ton - il s'agit de la charte de Philippe Auguste
décidant de casser la commune, analysée plus haut dans le
développement. Ladite commune ayant acquis une Institution de Paix en
1128, c'est-à-dire une zone affranchie de la tutelle épiscopale,
sa principale vocation au fil des années fut donc de garantir cette Paix
au dépend du pouvoir des évêques de Laon. Or, cette zone
délimitée se trouvant au coeur l'espace souverain des
évêques, à savoir la ville de Laon, siège
épiscopal de son état, elle devint rapidement un enjeu
entraînant des conflits de cospatialité. De ce fait, l'institution
épiscopale, à défaut d'obtenir la suppression
définitive de la commune de Laon198, se chargea surtout de
restreindre les prérogatives et l'autorité communales : ainsi, en
1239, Henri, archevêque de Reims, établît une sentence
arbitrale réglant le mode de serment que les maires et jurés de
la ville doivent effectuer devant l'évêque199,
établissant ainsi un rapport hiérarchique entre
l'évêque et la commune et faisant alors pencher le rapport de
force en faveur de l'évêque ; de même, cet affaiblissement
de la commune de la part de l'autorité épiscopale
s'aperçoit lors des sentences prononcées après un conflit
entre les deux institutions, comme en 1282, où Philippe III
décide de condamner la commune après que les maire et
jurés de la ville aient coupé l'oreille d'un voleur pris dans la
censive de l'évêque, renforçant ainsi la
légitimité et l'autorité de ce dernier au détriment
de la commune200.
Néanmoins, selon le principe de coopétition, il
arrive que les protagonistes fassent des concessions l'un envers l'autre,
souvent pour clarifier une situation conflictuelle. C'est par exemple le cas
concernant des reconnaissances mutuelles de droits, chargées de
délimiter des droits dépendants du ressort exclusif de chacun,
comme en témoigne une sentence arbitrale datée de 1283
établissant l'inaliénabilité des droits de rouage et de
tonlieu de l'évêque et de la commune dans leur justice
respective201. Dès lors, on s'aperçoit bel et bien du
fonctionnement coopétitif des relations entre l'évêque et
la
198 On dénombre 3 suppressions de la commune de Laon,
toutes temporaires : 1190, 1295 et 1320. Celle-ci ne sera définitivement
abolie qu'en 1331.
199 AD Aisne, G 2, n° 6, 1239.
200 AD Aisne, G 2, n° 4, 1282.
201 AD Aisne, G 2, n° 5, 1283.
135
commune de Laon, adversaires naturels mais destinés
à cohabiter dans un espace commun.
L'évêque et les communes alentours
Quoi qu'il en soit, ce rapport de force reste singulier au
regard des relations qu'entretiennent les évêques de Laon avec les
autres communes alentours, moins influentes et plus éloignées du
centre d'exercice du pouvoir. En effet, sont présentes trois autres
confirmations communales au sein du cartulaire : la première concerne la
commune de Bruyères, dont les habitants se voient dans l'obligation de
verser une rente de 20 livres de bonne monnaie partagée entre le roi,
l'évêque de Laon et Clarembaud du Bourg, ainsi que leurs
successeurs et descendance202 ; la seconde confirme la commune de
Crandelain203 ; la troisième et dernière est celle
d'Anizy, où chaque ménage est corvéable et doit à
l'évêque, outre taille et autres rentes, une redevance de 3 jalois
d'avoine, de 3 chapons et d'un denier de bonne monnaie204. Ainsi, on
s'aperçoit que pour deux des trois communes, la confirmation communale
s'accompagne de redevances, condition sine qua non de leur maintien,
contrepartie les soumettant symboliquement à l'autorité
épiscopale. La troisième institution communale, bien que n'ayant
pas a priori de redevance à payer - aucune information à
ce sujet n'est mentionnée -, n'en reste pas moins soumise à la
domination du pouvoir central du fait de l'importance relativement faible des
villages concernés205.
Toutefois, il est intéressant de noter qu'Alain
Saint-Denis place ces confirmations communales dans un contexte «
d'ébullition » sociale206, ces chartes étant
créées dans le seul but de pacifier un territoire où
l'autorité épiscopale se verrait contestée. Or, ces actes
ne font aucunement mention de tels bouleversements. C'est donc en ce sens que
l'on perçoit la performativité du cartulaire, qui instaure une
vision biaisée des choses et produit sa propre réalité, en
relativisant le contexte dans lequel les chartes ont été
produites et en rehaussant la figure épiscopale. Mais ce recentrage ne
s'observe pas seulement au regard des relations liant l'évêque aux
communes du Laonnois épiscopal, il s'opère aussi autour
202 AD Aisne, G 2, n° 7, 1180 : l'institution communale
regroupe les villages de Bruyères, Chérêt, Vorges et
Valebon, ancienne dépendance de Vorges aujourd'hui détruite. Elle
est complétée par l'acte n° 68, qui stipule que ladite rente
de 20 livres est à partager entre les trois protagonistes.
203 AD Aisne, G 2, n° 8, 1196 : l'institution communale
regroupe les villages de Crandelain, Trucy, Courtecon, Malval, Colligis et
Lierval.
204 AD Aisne, G 2, n° 193, 1279.
205 A titre de comparaison, le dernier recensement, datant de
2011, dénombra un total cumulé de 477 habitants pour l'ensemble
des six villages mentionnés.
206 SAINT-DENIS Alain, Apogée d'une cité :
Laon et le Laonnois (XIIe-XIIIe siècles), Nancy, Presses
universitaires de Nancy, 1994, p. 378.
136
de ses ministériaux, notamment le vidame et le
prévôt du Laonnois.
L'évêque et ses
ministériaux
C'est au cours du Xe siècle que les
évêques de Laon se sont vus imposer les vidame et
prévôt du Laonnois par le pouvoir royal207. C'est
pourquoi, au fil des siècles, les détenteurs de la cure
épiscopale n'ont cessé de manoeuvrer pour déboulonner
leurs ministériaux et dévitaliser leur pouvoir et leur influence.
Leur premier fait d'arme fut l'unification à
l'évêché, par Louis VI, des offices onéreux de
vidame et de prévôt du Laonnois sous la condition expresse qu'ils
ne seront jamais aliénés208, les plaçant ainsi
sous l'autorité directe des évêques de Laon. Ainsi, si l'on
observe les moyens mis en oeuvre à la concrétisation de cette
politique, on remarque que celle-ci s'opère selon deux principes
concomitants : la décrédibilisation politique et sociale
accompagnée d'un dépouillement foncier, soit les fondements de
leur pouvoir.
L'évêque et les vidames du Laonnois
Concernant la vidamie du Laonnois, si son unification
à l'évêché remonte à 1125,
l'évêque Barthélémy n'hésitant pas, à
la mort du roi, à conférer la charge à un seigneur local,
Gérard de Clacy209, il faut attendre près d'un
siècle pour que cette dévitalisation soit effective, comme en
témoigne le tableau ci-dessous :
207 Ibid., p. 77.
208 AD Aisne, G 2, n° 29, 1125.
209 Histoire de la maison de Châtillon-sur-Marne,
DUCHESNE André et PICART Jean, 1621, p. 587-588.
137
Acte
Date
|
Emetteur
|
Contenu
|
25
|
1218 (juin)
|
Gobert de Clacy, vidame
|
Vend ce qu'il possède comme vidame à Anizy,
Septvaux, Pouilly et Versigny moyennant 600 livres provins
|
|
|
1218
|
Philippe Auguste
|
Ratifie la vente définitive des domaines d'Anizy,
Pouilly, Septvaux et Versigny faite par Gobert, vidame & seigneur de Clacy,
à l'évêque Anselme
|
|
|
1125
|
Louis VI
|
Unit à l'évêché de Laon les
offices onéreux de vidame et de prévôt du Laonnois sous la
condition expresse qu'ils ne seront jamais aliénés
|
|
|
1219 (avril)
|
Gobert de Clacy
|
Inquiété par l'évêque, avoue qu'il
n'a ni command ni droit sur les commands dans les domaines épiscopaux.
En outre il est émendé devant ses pairs
|
|
|
idem
|
idem
|
Gobert atteste que l'évêque a ajourné
à Noël sa décision pour déclarer le droit qu'il
aurait dans garenne du Laonnois
|
|
|
1218 (juillet)
|
idem
|
Cession d'usufruit faite par Gobert, vidame du Laonnois et
seigneur de Clacy, à Anselme, évêque de Laon, moyennant une
rente annuelle de 25 livres parisis payable au Noël dans la maison
épiscopale, des revenus de sa vidamie, sous la réserve de ses
sergents et de son prévôt communs entre lui et ledit
évêque, de la garde des prisons et de ses redevances, et notamment
de ses droits de justice et d'amende de 22 sous et demi.
|
|
|
idem
|
idem
|
Doit garder les prisonniers à l'aide de 4 sergents qui
n'auront aucune action en dehors de la vidamie
|
|
|
1214
|
idem
|
Transige avec l'évêque au sujet des droits de
vidamie du Laonnois pour la durée de l'épiscopat dudit
évêque Robert
|
|
|
1219 (avril)
|
A., doyen ;
Helluin, archidiacre ; R., chantre église de Laon
? pairs de Gobert
|
Reconnaissance de la charte 25, conforme à l'aveu dudit
Gobert
|
74
|
|
|
1219
(décembre)
|
Gobert de Clacy
|
Reconnaît qu'il ne peut changer son prévôt
et ses 4 sergents de la vidamie sans permission de l'évêque
|
163
|
|
|
1221
|
Gérard de Clacy,
vidame
|
Approbation de la vente faite par Gobert, vidame, leur
frère, à Anselme de ce qu'il possédait comme vidame
à Anizy, Pouilly, Septvaux et Versigny
|
|
|
1221
|
Jacques, évêque de
Soissons
|
idem
|
|
|
1222 (mai)
|
Gérard de Clacy
|
Rédime l'évêque, moyennant 60 livres
monnaie de Provins, d'une rente de 5 muids de blé mesure de Laon
|
|
|
1223 (janvier, vigile de Saint- Rémy & Saint-
Hilaire
|
Chanoines de Laon
|
Attestent que Gérard de Clacy, cité au chapitre
parce qu'il n'avait point rendu à la demande de l'évêque
divers prisonniers détenus à Mons, s'est amendé
|
|
|
138
44
1218 (mai)
|
Alard, seigneur de Chimay et sa femme, Mathilde, vidamesse
|
Cèdent à l'évêque, la vie de ce
dernier durant et celle de ladite Mathilde, leur part des extrahières et
tailles de la vidamie du Laonnois, moyennant 120 livres 100 sous parisis
|
|
|
|
idem
|
Et en outre, cèdent leur part éventuelle de droits
sur les garennes du
|
45 &
|
idem
|
|
Laonnois pour le même laps de temps
|
72
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Mathilde
|
Abandonne à l'évêque les droits
d'extrahière dus à cause de la terre
|
46 &
|
1220 (février)
|
|
d'Herbert de Lizy, sous l'épiscopat de Robert
|
106
|
|
|
|
|
|
Alard de Chimay
|
Ratifie l'accord qu'il a fait avec l'évêque
Anselme, par l'intermédiaire de
|
47 &
|
1218 (mai -
|
|
son frère, trésorier de Laon, Henri Putefins,
chevalier, et Yvon Leroux,
|
100
|
lendemain de la
|
|
citoyen de Laon
|
|
Cantate)
|
|
|
|
|
Gobert de Clacy
|
Promet de ne plus porter atteinte aux droits de
l'évêque et à ne plus inquiéter
|
48 &
|
1218 (juillet)
|
|
les vassaux de ce dernier
|
267
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Gobert de Clacy
|
Renonce à ses droits sur les garennes du Laonnois durant
l'épiscopat de
|
49
|
1218
|
|
l'évêque Anselme
|
|
(novembre)
|
|
|
|
|
Baudouin
|
Promet de s'en rapporter à l'arbitrage de G. seigneur
de Dercy, archidiacre de Soissons, et de Pierre Petit, chanoine de Laon, pour
juger ses différents avec Guillaume, évêque. En cas de
désaccord entre ces arbitres, Michel de
|
|
1263 (6e férie
|
|
La Fère, chanoine de Soissons, apportera solution
définitive
|
71
|
avant la Saint-
|
|
|
|
Thomas, apôtre)
|
|
|
|
|
Gérard de Clacy
|
Reconnaît que sur les mandements de l'évêque,
il est chargé du
|
81
|
1223
|
|
recouvrement des tailles et des revenus du Laonnois,
même par contrainte et prise de gages qui sont gardés
jusqu'à parfait paiement
|
|
|
1214 (février)
|
Alard de Chimay & Mathilde
|
Approuve accord fait entre Gobert, vidame du Laonnois &
Robert, évêque de Laon, pour toute la durée de son
épiscopat
|
|
|
1241 (juin)
|
Jean de Blois, chanoine & official de Reims
|
Atteste que Mathilde, mère de Gérard, vidame du
Laonnois, a abandonné à Garnier, évêque de Laon, les
droits qu'elle possédait à Anizy et Septvaux
|
|
|
|
Gérard de Clacy
|
Reconnaît s'être accordé avec
l'évêque Garnier et avoir mis fin à des difficultés
survenues entre l'élection dudit Garnier jusqu'au lendemain de la
|
94
|
1239 (juin)
|
|
St-Barnabé 1239, sans tirer à
conséquence pour leurs droits respectifs de possession et de
propriété
|
|
|
|
Gui, seigneur de Dercy / Pierre de
|
Compromis pour vider les différends opposant
l'évêque Itier et Baudouin, vidame, sur le serment dû par ce
dernier, ses exigences trop grandes à
|
95
|
1254 (mars)
|
Sens, dit Petit, chanoine de Laon
|
l'égard des prisonniers incarcérés
à Mons-en-Lannois, ses droits dans les garennes, et sur les marchands
|
|
|
1230 (avril)
|
Gérard de Clacy
|
Vend, du consentement de sa Marie, sa femme, et de Mathilde
la vidamesse, sa mère, à l'évêque des droits de lods
et ventes, justice et cens à Laon
|
|
|
139
134
1244 (avril)
|
Louis IX
|
Approuve cession faite au mois d'octobre 1244 par
Gérard de Clacy, vidame, à l'évêque Guillaume, de
divers droits qu'il avait en cette qualité sur garennes du Laonnois
|
|
|
1236
|
Gérard de Clacy
|
Ratifie vente faite par Gobin Le Chat, sa mère, et
Guillaume, mari de celle-ci, à l'évêque Anselme, de leurs
droits de vicomté à Mons-en-Laonnois, Laniscourt, Bois-Roger et
les Creuttes, sous réserve de rouage, maison, prés. Habitants de
Tierret, Clacy, Mons et des villages voisins, conserveront leurs droits de
pâturage.
|
|
|
1221
|
Gérard de Clacy, Jacques, évêque de
Soissons, son cousin
|
Vidimus des cessions et ventes faites par Gobert de Clacy
à Anselme, à savoir la cession viagère des revenus des
domaines d'Anizy, Pouilly, Septvaux et Versigny, pour la durée de
l'existence dudit évêque
|
142
|
1230 (avril)
|
Gérard de Clacy
|
Promet à l'évêque de faire ratifier par
sa femme la vente de droits de cens, justice, lods et ventes à Laon
|
|
|
|
|
|
|
Gérard de Clacy
|
Accord sur ses droits dans les garennes et sur les
prisonniers
|
145
|
1245 (octobre)
|
|
|
|
|
|
|
148
|
1239 (juillet - 2e férie après
|
Pierre de Bercenay, chanoine de Laon ;
|
Indiquent termes d'un accord entre évêque et ses
sergents du Laonnois, d'une part, et Gérard de Clacy, vidame, pour
l'attribution des droits de cour
|
|
division des apôtres)
|
Gilles de Trucy, chevalier
|
des officiers de justice du Laonnois
|
|
1239 (juin -
|
|
Accord entre Gérard, vidame, et Garnier sur la jouissance
du bois de
|
|
dimanche après
|
Gérard de Clacy
|
Ronceloi, des terrages, estrahières, gîtes, et cour
dans les maisons des francs
|
152
|
fête de St-
|
|
sergents de l'évêque
|
|
Barnabé, apôtre)
|
|
|
|
|
Mathilde
|
Ratifie la vente faite par son fils Gérard à
évêque Anselme, de droits de
|
160
|
1230 (avril)
|
|
cens, justice, ventes, rentes, et plaids
|
|
|
|
|
|
|
Gobert de Clacy
|
Reconnaît qu'il a assigné à Jean de Dercy,
sur ce que lui doit l'évêque, 40
|
164
|
|
|
livres parisis en 2 termes égaux, Noël 1218 &
Noël 1219, outre 40 muids
|
&
|
1218
|
|
de vin également en 2 termes, aux fêtes de
Saint-Martin des mêmes années
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266
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217
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Guillaume de Cepy, official de Laon
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Vidimus d'une charte d'avril 1230 portant vente par
Gérard de Clacy, vidame, à évêque Anselme des lods,
ventes, cens & droits de justice à Laon
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Compromis pour régler par voie d'arbitrage, leurs
différends entre l'évêque
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218
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1219
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Garnier et Baudouin, vidame
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Tableau 8 : Tableau récapitulatif des actes
émanant de ou portant sur la vidamie du
Laonnois
Ainsi, on remarque l'essentiel de ces actes portent sur une
période relativement courte, essentiellement entre 1214 et les
années 1220. Si les premières occurrences concernent Mathilde,
vidamesse du Laonnois et veuve de Gérard II de Clacy, et Alard IV de
Chimay, son époux en secondes noces, les chartes suivantes sont issues
de sa descendance : Gobert II de Clacy (1218-1219), sans descendance,
Gérard III de Clacy (1221-1230), son frère, Gérard IV de
Clacy (1239-1245), fils de ce dernier, et Baudouin
140
(1254-1263), frère de Gérard IV210.
Or, si les actes les plus anciens ont été
produits par Mathilde, ceci est surement dû au fait que ses fils
étaient trop jeunes pour occuper l'office en 1214. C'est pourquoi la
première mention de Gobert ne daterait que de 1218. Celui-ci mourant en
1221, à un âge surement inférieur à 25 ans, c'est
donc à cette date que l'on a connaissance des premiers actes de
Gérard, son frère cadet. De ce fait, il est possible d'avancer
l'hypothèse que le jeune âge de ces deux vidames ait
été un facteur essentiel quant à la réussite des
acquisitions foncières opérées par l'évêque
Anselme, contrairement à la conjecture d'Alain Saint-Denis, qui affirme
que ces ventes étaient surtout dues à l'endettement cumulé
des différents titulaires de la charge211.
L'évêque et les prévôts du Laonnois
Quant à la prévôté du Laonnois,
les périodes et les procédés de changent guère,
comme le signale le tableau ci-dessous :
29
|
1125
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Louis VI
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Unit à l'évêché de Laon les
offices onéreux de vidame et de prévôt du Laonnois sous la
condition expresse qu'ils ne seront jamais aliénés
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Renonce en faveur d'Anselme à sa part des droits
d'extrahière d'Herbert de
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54
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Geoffroy
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Lizy
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/
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1219 (avril)
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268
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Officiaux
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Attestent qu'Enguerrand, dit Geoffroy, prévôt, se
trouvant dans la chambre
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57
|
1217 (lendemain
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|
de l'évêque en son palais, a reconnu que
l'évêque l'avait autorisé à remplacer
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/
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de la conversion
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Renier par Robert en qualité de l'un de ses sergents
libres, sans constituer
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270
|
de St-Paul)
|
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un service spécial dudit Geoffroy
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S'amende à l'occasion de la prise de sergents libres
d'Anselme, et reconnaît
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58
|
1217 (lendemain
|
Geoffroy
|
qu'il ne peut instituer ou révoquer aucun sergent que du
consentement dudit
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/
|
de la conversion
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évêque
|
147
|
de St-Paul)
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|
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Consent à unir son manoir de Valavergny à la
prévôté du Laonnois pour
|
59
|
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Geoffroy
|
n'en constituer qu'un seul fief vassal de
l'évêché
|
/
|
1223 (mai)
|
|
Renonce à des droits de terrage qu'il réclamait
dans les domaines
|
272
|
|
|
épiscopaux, et abandonne à Anselme ses droits
de garenne tant que celui-ci sera évêque
|
|
|
210 Ibid. ; Dictionnaire de la Noblesse,
AUBERT DE LA CHESNAIE DES BOIS François-Alexandre, 1774, p. 467.
211 SAINT-DENIS Alain, op. cit., p. 210.
141
60
1217
(décembre)
|
Albéric, archevêque de Reims
|
Relate une transaction intervenue entre évêque
Anselme et Geoffroy. Ce dernier conservera son héritage et ses rentes,
sa part des droits d'amendes consistant en 2 sous et demi sur 22 et demi, une
rente de 50 livres parisis exigible à Noël ; l'évêque
pourra faire remise des amendes. Cette transaction recevra son effet pendant
toute la durée de l'épiscopat d'Anselme
|
/
257
|
|
|
1217
(décembre)
|
|
Accord entre Enguerrand, dit Geoffroy, prévôt de
Laon, et l'évêque, fixant leurs droits sur les amendes
|
|
|
1214 (mars)
|
Geoffroy
|
Affirme s'être entendu avec l'évêque pour
la fixation de sa part concernant les droits d'amendes, de tailles et
d'extrahières
|
|
|
1257 (mai)
|
Simon de Valavergny
|
Indique l'extension de ses droits de chasse dans le Laonnois
|
|
|
1217
(décembre)
|
Geoffroy
|
Reconnaît que dans les amendes de 22 sous et demi, sa
part est de 2 sous et demi, et qu'une rente annuelle de 50 livres lui est due
par l'évêché pour sa part d'extrahière et de taille,
tant que vivra l'évêque Anselme
|
|
|
1293 (?)
|
Simon de Valavergny
|
Vend à l'évêque, moyennant 400 livres
parisis, une rente de 20 livres parisis sur la grande taille du Laonnois
|
|
|
1293 (janvier - lundi après fête de St-Rémy
& St-Hilaire)
|
Simon de Valavergny ; Marguerite, sa femme
|
Vendent à l'évêque la moitié des
amendes auxquelles ils ont droit dans les domaines épiscopaux
|
/
235
|
|
|
1301 (lundi après
l'Épiphanie)
|
Jean, châtelain de Thorote, sire d'Honnecourt &
chevalier
|
Accord au sujet de la châtellenie de Laon, de
Barenton-Cel et de 20 livrées de terre parisis sur la
prévôté de Valavergny qu'il revendiquait comme
héritier par représentation de Gaucher de Thorote, son
père, et de Robert de Thorote, évêque. Reconnaît la
validité des droits de l'évêché qui solde le
reliquat du prix de vente entre les mains de Clément de Choisy,
mandataire dudit Jean
|
|
|
Tableau 9 : Tableau récapitulatif des acte
émanant de ou portant sur la prévôté du
Laonnois
On remarque en effet qu'il existe une première phase
de transactions répartie entre 1217 et 1223, sous la titulature
d'Enguerrand, dit Geoffroy, puis sous celle de Simon II de Valavergny dans les
années 1290. Or, il semble qu'ici l'hypothèse d'Alain Saint-Denis
sur la vente de biens et de droits due à un endettement des
prévôts du Laonnois se confirme : tout d'abord, si Geoffroy et
Simon Ier de Valavergny - émetteur de la charte de 1257 -
possédaient le statut de chevalier, Simon II de Valavergny, quant
à lui, se définit en tant qu'écuyer212, ce qui
démontre la relative déchéance sociale des titulaires de
la charge, et indique dans les actes n° 208 et 211 qu'il vend ses biens et
droits « pour [sa]
212 MELLEVILLE Maximilien, Dictionnaire historique du
département de l'Aisne, Rééd. 1979 (Impression
anastalique de l'édition de Laon, 1865), vol. 2, p. 396.
142
nécessité et dou conseil de [ses] amis
», ce qui semble bien renvoyer à un endettement certain.
Dès lors, en vertu de la théorie des vases
communicants, on note qu'en dévitalisant le pouvoir et l'autorité
de leurs ministériaux, les évêques de Laon ont vu les leurs
croître de manière inversement proportionnelle. Par le biais de
ces acquisitions, c'est donc l'assise du pouvoir épiscopal qui a eu
tendance à s'étendre et s'affirmer. Ainsi, c'est en
renforçant sa base territoriale que les l'évêché de
Laon put tendre à revendiquer et défendre ses positions
périphériques, sources de conflits avec les seigneurs
concurrents.
L'évêque et les seigneurs
concurrents
Contrairement aux deux précédents types de
rapports socio-politiques, fondés sur un principe de
cospatialité, c'est-à-dire un rapport de force s'exerçant
au sein d'un même espace, le rapport de force entre évêques
et seigneurs locaux répond davantage à un modèle de
rivalité d'interface, c'est-à-dire un rapport de force
s'exerçant sur un espace de contact commun entre deux entités,
une telle zone étant souvent en proie aux dissensions et aux
conflits.
L'un des protagonistes les plus récurrents au sein du
cartulaire demeure le seigneur de Coucy, dont la famille était l'une des
plus influentes de la période213. En effet, le manuscrit
contient de nombreux actes réglant des conflits entre les seigneurs de
Coucy et les évêques de Laon, notamment autour du bois de
Ronceloi214, parcelle de l'actuelle forêt domaniale de
Saint-Gobain et zone de contact entre les deux seigneuries, à
l'ouest du Laonnois. Mais il est aussi question de plusieurs
ventes effectuées par Enguerrand dans plusieurs de ses fiefs, à
savoir Laval, Nouvion-le-Vineux, Mainmeçon, Mailly215 -
sud du Laonnois -, ainsi que de la constitution d'une rente de
200 livres parisis sur ses vinages de Crécy, Marle et Vervins -
nord du Laonnois - pour se rédimer de
l'évêque216. De même, il est question d'un
hommage rendu par Enguerrand de Coucy à l'évêque pour sa
ville teutonique de Sissone - est du Laonnois217.
Dès lors, on remarque que l'étendue géographique de ces
différents actes se répartie équitablement entre les
quatre points cardinaux, signe que la politique épiscopale se concentre
essentiellement sur le maintien et la défense d'une zone concentrique au
sein de laquelle s'exerce sa souveraineté.
213 BARTHELEMY Dominique, Les deux âges de la
seigneurie banale : pouvoir et société dans la terre des sires de
Coucy : milieu XIe-milieu XIIIe siècle, préface de Pierre
Toubert, 2e édition augmentée d'une postface, Paris, Publications
de la Sorbonne, 2000.
214 AD Aisne, G 2, n° 32, 63 et 175.
215 AD Aisne, G 2, n° 132, 1267.
216 AD Aisne, G 2, n° 189, 1287 ; id., n°
230, 1287
217 AD Aisne, G 2, n° 22, 1225 ; n° 150, 1225
143
Autre manifestation de conflits d'interface, ceux opposant
l'évêché de Laon aux comtes de Soissons, au sujet notamment
de leur frontière commune, à savoir la rivière de
l'Ailette218. De fait, les chartes produites lors de ces conflits
portent essentiellement sur les droits de chacun des deux seigneurs - taille,
péage, amendes, pêche, vinage - ainsi que la limite
en-deçà de laquelle ils prennent effet. La rivière de
l'Ailette symbolise donc cette interface, source de conflits et
frontière naturelle de chacune des seigneuries. De plus, il est
intéressant de noter que l'immense majorité des actes faisant
référence à des acquisitions foncières dans le sud
de l'évêché se situent en-deçà de cette
limite naturelle, preuve que les évêques de Laon avaient à
coeur de renforcer leur influence sur un territoire géographiquement
instable.
Toutefois, ce type de rapport de force ne se perçoit
qu'avec des seigneurs dont le rang et l'autorité égalent ceux des
évêques de Laon. En effet, lorsqu'il est fait mention de seigneurs
de moindre rang, les relations tendent le plus souvent à être au
bénéfice des évêques de Laon, qu'il s'agisse de
transactions219, d'amendes honorables220 ou
d'hommages221. Ainsi, on remarque le principe de coopétition
qui se fait jour ici : les évêques de Laon tolèrent la
présence de ces seigneurs sous condition de contreparties. Quoiqu'il en
soit, la cartularisation demeure un moyen de légitimer et de conforter
une situation socio-politique favorable à l'évêché,
dans une période où l'institution épiscopale se sentirait
menacée. Par ce biais, le cartulaire apparaîtrait comme instrument
politique destiné à rehausser symboliquement la place des
évêques de Laon au sein d'un centre de décision ainsi
qu'à consolider leur ancrage socio-économique sur un
arrière-pays en plein redécoupage222.
218 AD Aisne, G 2, n° 110, 1262 ; n° 141, 1225 ;
n° 154, 1260.
219 AD Aisne, G 2, n°19 et 237, 1247 : Roger , seigneur
de Rozoy, vends à l'évêque ses biens sis à Martigny,
Bruyères, Montbéraut, Vorges, Chéret et Cherequel,
consistant en dîmes, vinages, rentes, moyennant 1820 livres parisis
payés comptant ; id., n°50, 1229 : Gérard,
chevalier et seigneur de Caulaincourt, ratifie en tant que suzerain la vente
faite à l'évêque par Anselme par Baudouin de Chevregny,
fils d'Hellin, chevalier, et de Jeanne, sa soeur, de rentes en argent, chapons,
avoine, et de droits de justice. Abandonne en outre ses droits de
suzeraineté sur les biens vendus ; id., n°115, 1234 :
Hector, seigneur d'Aulnois, et Cécile, sa femme vendent à
l'évêque Anselme 6 muids de terres à Aulnois ainsi que des
aisances de marais pour amendement de ces terres : id., n°248 et
249, 1297 : Gaucher, sire de Châtillon et connétable de Champagne,
vend à l'évêque Robert de Thorote sa châtellenie de
Laon ainsi que son domaine de Barenton-Cel moyennant 4000 livres petits
tournois payés comptant, et mande alors à ses vassaux desdits
lieux mentionnés d'obéir désormais à
l'évêque.
220 AD Aisne, G 2, n° 66 et 263, 1229 : acte de Louis IX
relatant un accord où Gautier, chevalier et seigneur d'Autremencourt,
qui, pour avoir fait injustement la guerre à l'évêque
Anselme et s'être livré à des voies de fait contre ses
hommes, prêtres et clercs, avait été bannis du royaume,
puis s'était avisé de revenir malgré ce bannissement et,
pour ce fait, avait été incarcéré. Sorti de prison,
Gautier était venu devant roi et avait promis sous caution de bien se
comporter ainsi que d'abandonner sa terre à l'évêque dans
le cas contraire, sans aucun recours, et de rester banni.
221 AD Aisne, G 2, n°121 et 146, 1248 : Milon, seigneur
de Soupir, abandonne à l'évêque Garnier la
suzeraineté de son fief de Dammarie, arrière-fief de
l'évêché, attesté par jean de Juvincourt,
chevalier.
222 BARTHELEMY Dominique, « Aux origines du Laonnois
féodal : peuplement et fondations de seigneuries aux XIe et XIIe
siècles », in Mémoires de la Fédération
des sociétés d'histoire et
144
Une légitimation symbolique de l'ordonnancement
traditionnel du monde
Nous venons de le voir, le cartulaire s'apparente à un
instrument performatif permettant un recentrage du pouvoir épiscopal au
sein de la société laonnoise, place que le ministère
accordé par Dieu est censé occuper. En effet, « la parole
écrite s'incarne dans une forme matérielle qui lui est propre et
cesse de faire plus ou moins partie intégrante de la culture pour
assumer un rôle distinct, quelques fois déterminant, doté
d'une plus grande autonomie structurelle », c'est-à-dire que la
finalité du cartulaire serait moins de rendre compte d'une vision du
monde que de transmettre une idéologie223. Dès lors,
en plaçant scripturairement les évêques au centre du jeu
social imposé par la société laonnoise224, le
cartulaire devient le support d'une réorganisation symbolique de
l'ordonnancement traditionnel de son contexte de production.
Un usage ritualisé de
l'écrit
S'il est possible de mettre en évidence le
caractère performatif du cartulaire, ceci est avant tout dû
à la dimension profondément ritualisée de l'écrit.
Or, avant d'illustrer notre propos, il semble nécessaire de clarifier la
notion de rite : pour Nicolas Offenstadt225, le rite s'apparente
à des règles et cérémonies en usage, ou à
tout acte répétitif, bien que n'est pas rituel tout acte de la
vie sociale, les paroles, gestes ou objets en présence devant
nécessairement prendre un sens autre que leur sens quotidien et
focaliser l'attention individuelle et collective. C'est alors que le rite
devient un instrument d'ordre social, vecteur d'autorité, ainsi qu'un
marqueur identitaire, car derrière les gestes se dévoilent les
structures. De la sorte, une telle mise en scène de la tradition est
censée permettre le retour à l'ordre après le
désordre, le consensus après la tension.
d'archéologie de l'Aisne, tome XXVI, 1981, p.
67 : ici, l'auteur avance l'idée qu'à partir de la fin du
XIIe siècle se sont affirmées de multiples zones
marginales du pagus épiscopal, unités
micro-territoriales acquérant une consistance sociale nouvelle et
s'émancipant peu à peu du pouvoir central. C'est pourquoi face
à ces évolutions, s'est mis en place un encadrement plus
serré du territoire, dont le cartulaire illustre les évolutions
et permet d'en mesurer les effets.
223 GOODY Jack, La logique de l'écriture : aux
origines des sociétés humaines, Paris, Armand Colin, 1986,
p. 33.
224 Nous faisons clairement référence ici
à la conception du jeu établie par Bourdieu dans Le sens
pratique. En effet, pour lui, le jeu social s'apparente à l'espace
où le sens pratique, c'est-à-dire la capacité des acteurs
à agir et à s'orienter selon la position occupée dans
l'espace social, selon la logique du champ et de la situation dans lesquels ils
sont impliqués, s'exprime. Or, le cartulaire représente justement
un outil permettant à l'institution épiscopale d'agir et de
s'orienter au sein de la société dans laquelle elle
s'insère.
225 OFFENSTADT Nicolas, « Le rite et l'histoire.
Remarques introductives », Hypothèses, 1, 1997, p. 714.
145
C'est donc en ce sens qu'il est possible d'analyser le
cartulaire dans sa qualité intrinsèquement ritualisée, la
cartularisation étant le fait de répéter une parole
consignée dans un premier écrit et l'objet cartulaire
étant un objet de communication, relationnel, à l'interface avec
le monde extérieur et le personnel de l'institution226, tout
document représentant un objet symbolique destiné à
être manipulé publiquement lorsqu'est conclu l'accord. De plus,
comme nous l'avons précisé plus haut dans le
développement, la confection du cartulaire fut instaurée par
l'évêché dans une période où il se sentait
menacé, ce qui fait écho à la définition que
propose Nicolas Offenstadt du rite, à savoir qu'il est censé
favoriser le retour de l'ordre après un épisode de
désordre, de tension ou de conflit. Dès lors, c'est bien
grâce à une analyse d'ordre anthropologique qu'il nous est
possible de formuler une hypothèse concrète sur les conditions de
réalisation du cartulaire, à défaut d'informations
contextuelles et documentaires.
Ainsi, c'est après avoir démontré que le
cartulaire répondait d'un usage ritualisé de l'écrit,
qu'il nous est possible de concevoir la cartularisation, par le biais de
l'écrit, comme une mise en scène de l'ordre social permettant une
légitimation symbolique de l'ordonnancement traditionnel de la
société médiévale.
L'écrit comme mise en scène de l'ordre
social
Pour commencer, si l'on se réfère à
l'analyse structurale de Lévi-Strauss, le cartulaire apparaîtrait
comme une mise en avant de symboles, de constructions et de codifications
symboliques, c'est-à-dire par lesquels l'idéal s'incarnerait dans
des réalités matérielles et des pratiques, liées au
langage - à savoir l'écrit -, l'évêché
mettant en ordre une représentation du monde qui diffère de
l'ordonnancement réel du monde, afin de justifier son entreprise. Le
codex correspondrait alors à ce que Maurice Godelier nomme
l' « imaginaire du symbolique », ou la «
représentation que les humains se font de la nature, de l'origine des
choses, des êtres, réels ou irréels, qui peuplent la nature
»227, c'est-à-dire le monde idéel via
lequel l'évêché a distingué et ordonné
les choses. De ce fait, le Grand cartulaire de l'évêché de
Laon représente à la fois une production culturelle -
basée sur des représentations - et sociale - correspondant aux
pratiques des individus en société -, ayant pour trame
principale, nous l'avons vu, les rapports socio-politiques et religieux des
protagonistes, mais créant dans le même temps sa propre
symbolique. Or, c'est dans cette optique que l'historiographie culturelle a
renouvelé son approche des cartulaires, supports d'un langage
créant sa propre réalité qui, par rapport à la
réalité sociale, est une fiction qui cache cette même
réalité. Ce qui induit que le discours devient alors un objet
226 JEANNE Damien, « Une "machina memorialis".
Les cartulaires des léproseries de la province ecclésiastique de
Rouen », Tabularia « Études », n° 12, 2012,
p. 42.
227 GODELIER Maurice, Au fondement des
sociétés humaines. Ce que nous apprend l'anthropologie,
Albin Michel, 2007.
146
d'étude pour lui-même, déconstruit et
historicisé, nous permettant dès lors d'accéder à
une presque réalité. D'où le nécessaire apparat
critique dont doit se doter l'historien concernant l'étude de
cartulaires, qui apparaissent comme des objets performatifs,
c'est-à-dire créateurs de sens et de réalité, bien
que cette performativité ne soit pas absolue.
Quoi qu'il en soit, l'écrit, en tant que discours
construit et codifié par une série de
symboles matériels, permet effectivement un réagencement
symbolique de l'ordre social, car il permet de fixer un état de fait et
de garantir sa probité. Par exemple, lorsqu'un acte fait mention d'un
hommage effectué par un seigneur à l'évêque de Laon,
c'est bel et bien sa mise par écrit qui garantit sa valeur effective,
par le seul fait qu'il est plus difficile de contester un fait social lorsqu'il
est consigné par écrit et corroboré par des
témoins. On rejoint alors l'analyse précédente sur l'usage
ritualisé de l'écrit, destiné à réordonner
une situation désordonnée, c'est-à-dire ne respectant pas
l'ordre qu'elle devrait suivre. De plus, l'emploi du conditionnel renvoie ici
à la dimension profondément idéelle et symbolique qui
entoure le processus de cartularisation, à savoir l'ordonnancement du
monde tel qu'il devrait être, et non tel qu'il doit
être.
L'acte n° 222 : une mise en scène de la
cérémonie d'expiation après la révolte communale de
1295
De ce fait, le recours à l'écrit apparaît
comme un moyen d'action sur le monde environnant. Or, afin d'illustrer au mieux
notre propos, attardons-nous sur un des actes les plus significatifs du
cartulaire pour ce qui concerne notre axe de réflexion : l'acte n°
222228. En effet, après la révolte des bourgeois de la
ville de 1295, le pape Boniface VIII les excommunia et jeta l'interdit sur la
ville229, action suivie par Philippe IV le Bel, qui décida
d'abolir la commune230, bien que rétablie quelques temps
après231 sous certaines conditions, qui font l'objet de
l'acte n° 222. Dans cette sentence, une commission royale, composée
de l'évêque de Dôle, de Guillaume de Crépy,
coûtre de Saint-Quentin, de Pierre Flote et Hugues de Bonville,
chevaliers, ordonne qu'aux premières fêtes solennelles, cent
excommuniés, tête et pieds nus, sans cotte ni ceinture, dont les
noms seront donnés au bailli du Vermandois, iraient processionnellement
deux à deux derrière les porte-croix, les chanoines et les
membres du clergé, depuis le bas de la montagne, de Semilly à la
cathédrale ; qu'à la porte de Saint-Martin, trois d'entre eux
porteraient une statut de cire du poids de 20 livres jusqu'à l'autel de
la cathédrale, pour réparation des crimes commis
228 AD Aisne, G 2, n° 222, 1297.
229 AD Aisne, G 2, n° 215, 1295 : le pape chargea
l'évêque de défendre aux réguliers et notamment aux
cordeliers, d'ouvrir les portes de leurs églises aux excommuniés
de Laon ainsi que d'enterrer les cadavres de ces derniers dans leurs
cimetières.
230 AD Aisne, G 2, n° 214, 1295.
231 AD Aisne, G 2, n° 219, 1296.
147
en ce lieu, à savoir le meurtre de trois hommes
d'église ; qu'en outre, la commune doterait d'une rente annuelle de 30
livres tournois une chapelle fondée dans ladite cathédrale et
à la collation du chapitre, et payerait une somme de 3000 livres
à l'église et son trésorier, condition sine qua non
pour que les chanoines prient le souverain pontife de lever l'interdit et
l'excommunication dont était affublée la ville.
Ainsi, à travers cet exemple mettant en scène
une cérémonie d'expiation, on s'aperçoit à quel
point l'écrit est devenu un outil de coercition au service d'un appareil
judiciaire, politique et religieux, destiné à assoir une
domination symbolique et sociale dans un environnement compétitif. En
effet, cet acte demeure avant tout un moyen permettant le rétablissement
de l'ordre social après le déséquilibre provoqué
par l'insurrection communale de 1295, le cartulaire participant au renforcement
d'une identité communautaire ecclésiastique, et la transgression
des droits de l'évêque contribuant à la fondation de sa
sacralité, par l'usage de l'écriture.
Les suscriptions ou la mise en scène scripturale de la
hiérarchie ecclésiastique
Mais outre la hiérarchisation des pouvoirs que tente
d'instaurer le codex, c'est une autre forme de hiérarchisation
qu'il tente d'ancrer : la hiérarchie spirituelle. En effet, pour
Lévi-Strauss, l'alliance apparaît comme un, si ce n'est le
principe constitutif de la parenté. Or, le cartulaire met
clairement en évidence la parenté spirituelle qu'il peut exister
entre l'évêque et les diverses institutions ecclésiastiques
qui lui dépendent, ou inversement, son principe de filiation avec le
Saint-Père.
Pour le premier cas, une telle hiérarchisation se
perçoit dans l'ordonnancement des suscriptions lorsqu'un acte est commun
à plusieurs prélats, comme l'illustre cet acte où les
abbés de Saint-Vincent et de Saint-Jean de Laon ratifient une vente
faite par Baudouin de Chevregny et Jeanne, sa femme, à
l'évêque Anselme, de rentes en argent, chapons, avoine, et de
droits de justice à Anizy, abandonnant ainsi leur droit de
suzeraineté sur les biens vendus232. Ce qu'il est
intéressant d'observer ici, c'est la place de chacun des abbés
dans le procédé de suscription : en effet, l'abbé de
Saint-Vincent est mentionné avant celui de Saint-Jean, ce qui s'explique
notamment par la hiérarchie des abbayes laonnoises, celle de
Saint-Vincent étant considérée comme le second
siège de la ville233.
232 AD Aisne, G 2, n° 52, 1229.
233 AD Aisne, G 1, n° 110, 975.
148
Mais au-delà d'une hiérarchisation horizontale,
s'est bien une hiérarchie verticale qu'impose le cartulaire, comme en
témoigne l'acte n° 92 où l'abbé de
Prémontré déclare à l'évêque Anselme
qu'en priant l'évêque de Séez234, présent
en ce monastère, de bénir une chapelle, ils n'ont pas eu
l'intention de se soustraire à la soumission ni à
l'obéissance dues à l'évêque de Laon. Il en va de
même concernant la relation unissant les évêques de Laon
à la papauté, qui se fait jour lorsque les titulaires de la cure
papale leur accordent des privilèges, comme par exemple le droit de
nommer les bénéficiaires de leur diocèse tout en leur
dispensant d'admettre les nominations provenant de la cour de
Rome235.
Quoi qu'il en soit, ces trois exemples soulignent nettement
une mise en scène scripturaire de l'ordre hiérarchique qu'il
existe au sein de la communauté ecclésiastique, certains
abbés étant supérieurs à d'autres, mais tous
inférieurs à l'évêque, qui lui-même
dépend du prélat suprême, le pape.
Le cartulaire en tant que catalyseur des relations
socio-économiques de la société laonnoise
Toutefois, si l'on se réfère à l'analyse
de Maurice Godelier, ces formes de parenté, si symboliques et
artificielles soient-elles, ne sauraient produire ce ciment social, base de
toute communauté, si ce n'est de toute société, qui se
caractérise plutôt par des liens supra-parentaux.
L'identité sociale se verrait alors davantage fondée sur des
rapports politico-religieux, c'est-à-dire que les actions collectives
dépasseraient et intégreraient les groupes de parenté dans
un tout plus vaste - la société - qui se transformerait en
même temps qu'elle se reproduirait. En effet, le cartulaire met en
évidence les relations qu'entretiennent les protagonistes de la
société laonnoise avec l'évêque, dans un
système d'échange généralisé. Or, ces
échanges peuvent être de nature économique236,
vassalique237 ou encore purement foncier238. Ainsi, il
apparaît que les « prestations », pour reprendre le terme
qu'emploie Marcel Mauss dans son Essai sur le don, ne sont jamais
individuelles, mais affectent des groupes contractants (laïques, famille
châtelaine des Coucy, habitants de Vorges, l'évêque en tant
que représentant institutionnel de l'Église), donnant alors
lieu
234 Siège épiscopal aujourd'hui situé dans
l'Orne, Basse-Normandie.
235 AD Aisne, G 2, n° 229.
236 AD Aisne, G 2, n° 15, 1269 : Louis IX accorde aux
laïques la possibilité, pour le salut de leur âme, de donner
ou vendre sans agrément royal aux églises les dîmes de sa
mouvance, l'évêché faisant évidemment partie des
bénéficiaires potentiels.
237 AD Aisne, G 2, n° 22, 1225 : Enguerrand de Coucy
reconnaît qu'il est homme lige de l'évêque pour la ville
teutonique de Sissonne et des fiefs relevant de Sissonne.
238 AD Aisne, G 2, n° 116, 1217 : l'évêque
vend aux habitants de Vorges un champ entre leur village et Ardon, moyennant
une rente solidaire de 3 muids de vinage exigible annuellement à la
fête de Saint-Martin
149
à des échanges cérémoniels, dont
le cartulaire fait acte. Dès lors, en consignant ces prestations, le
cartulaire rend compte de et favorise la bonne marche de ce système de
liens et d'échanges qui, si l'on croise les analyses que proposent
Marcel Mauss et Maurice Godelier, assure la reproduction de cette
société.
Ainsi, en favorisant l'ancrage d'une représentation
symbolique et traditionnelle de la société - «
re-présentation » dans le sens où le principe de compilation
consiste à présenter de nouveau un acte qui avait
déjà été présenté au préalable
-, et en replaçant la figure épiscopale au coeur d'un
système basé sur l'interdépendance des acteurs et la
hiérarchisation de leur rapport, le cartulaire se transforme en un
prisme à travers lequel s'esquisse une portion représentative de
la société laonnoise.
L'esquisse d'une analyse réticulaire de la
société laonnoise sous le prisme du Grand cartulaire de
l'évêché de Laon
Toute production documentaire tend à transmettre une
représentation de la société et des individus qui la
composent, axiome qu'il est possible d'affirmer au regard de l'anthropologie
fonctionnaliste qui replace systématiquement les faits sociaux dans leur
contexte, tout en partant de l'idée que ces faits décrits ont
tous une fonction visant à assurer l'équilibre de la
société et qu'ils sont en relation les uns avec les autres.
Ainsi, le cartulaire n'échappe pas à la règle et peut
s'étudier en tant que catalyseur d'échanges (économiques,
sociaux, féodaux, religieux239) constitutifs d'un maillage
familial et relationnel sur le territoire laonnois. Dès lors, il serait
intéressant d'étudier plus en détail la formation de ces
réseaux d'échanges que le codex nous permet de mettre en
lumière, bien que cette analyse réticulaire ne soit que le fruit
d'une analyse prosopographique des actes présents dans le cartulaire,
c'est-à-dire qu'elle ne saurait prétendre retranscrire de
manière exhaustive l'ensemble de ces réseaux240.
239 Tout échange correspondant à la recherche
d'un lien moyennant contrepartie - contrepartie financière pour une
vente, reconnaissance pour une relation sociale, protection et loyauté
pour un serment féodo-vassalique -, intégrer l'échange
religieux dans ce format n'a rien d'incongru : en effet bien le don à
une église ou une chapelle puisse apparaître comme
intrinsèquement désintéressé, ce dernier se voit
effectué dans la perspective symbolique du salut de l'âme du
donateur, participant alors à ce que Jacques CHIFFOLEAU nomme la «
comptabilité de l'au-delà ». C'est pourquoi la donation
pieuse rentre ici dans la catégorie des réseaux
d'échanges.
240 Pour un approfondissement de l'analyse
réticulaire, consulter les ouvrages suivants : LAZEGA Emmanuel,
Réseaux sociaux et structures relationnelles, Paris, PUF, coll.
« Que sais-je ? », n° 3399, 1998 ; DEGENNE Alain et FORSE
Michel, Les réseaux sociaux. Une analyse structurale en
sociologie, Paris, 1994 ; DEDIEU Jean-Pierre, « Approche de la
théorie des réseaux sociaux », in Réseaux,
familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l'ancien
régime, Paris, 1998, p. 7-
150
C'est pourquoi, grâce à un recensement minutieux
des auteurs, témoins et bénéficiaires de chaque acte, il
nous a été possible de réaliser un schéma
représentatif d'une analyse réticulaire de la
société laonnoise, où la figure de l'évêque
est centrale241. Pour ce faire, nous avons établi un
pourcentage d'occurrence pour chaque entité mentionnée,
pourcentage influant sur leur proximité avec l'évêque. A
noter cependant qu'ont été répertoriées ici
uniquement les entités comptant au minimum 5 occurrences, dans le but
notamment de faire ressortir les principales tendances constituant ces
réseaux d'échanges. C'est ainsi que nous obtenons le
schéma qui suit :
30. DEDIEU Jean-Pierre Dedieu et MOUTOUKIAS Zacarias, «
La notion de réseau en histoire sociale : un instrument d'analyse de
l'action collective », ibid. ; LEMERCIER Claire, « Analyse
de réseaux et histoire », in Revue d'Histoire Moderne et
Contemporaine, avril-juin 2005, n° 52-2, p. 88112.
241 ROSÉ Isabelle, « Modélisation et
représentation graphique des réseaux de pouvoir. Approche des
pratiques sociales de l'aristocratie du haut Moyen Âge, à partir
de l'exemple d'Odon de Cluny ( 942) », in Os medievalistas e
suas fontes. Leiturascruzadas sobre a Alta Idade Média., Actes du
Colloque international organisé par l'Université de São
Paulo et l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Evêque de Soissons
Abbayes diocésaines
Châtelains et maison de Coucy
Comte de Soissons
Seigneurs d'Aulnois
Archevêché de Reims
Seigneurs de Coucy
Eglise de Laon
Abbaye de Prémontré
Papauté
Gérard de Clacy
Maison de Clacy
Baudouin de Clacy
ÉVEQUE
Gobert de Clacy
Abbaye de Saint-Nicolas-aux-Bois
Commune de Laon
Roi et officiers royaux
Abbaye Saint-Jean
Abbaye Saint-Vincent
Geoffroy
Simon de Valavergny
Communes des domaines épiscopaux
Bailli du Vermandois
151
Figure 16 : Schéma résultant de
l'analyse réticulaire de la société laonnoise
152
Dès lors, ce schéma, bien que non-exhaustif,
nous aide à classifier les acteurs qui constituent la
société laonnoise aux XIIe et XIIIe
siècles : en effet, celle-ci se compose essentiellement d'un
clergé séculier, d'un clergé régulier,
d'institutions laïques, d'officiers royaux, d'officiers épiscopaux
et de seigneurs laïques. Telles sont les six composantes de la
société laonnoise en particulier, et de la société
médiévale en générale, ce qui tend à
confirmer la remarque de Pierre Chastang, qui conçoit le texte comme
« un lieu privilégié d'intelligibilité de la
société médiévale242 ».
°3)243.
Quoi qu'il en soit, s'il est possible de mettre en
évidence un schéma du système institutionnelle de la
société laonnoise, certain(e)s individus ou entités ne
sont mentionnés qu'une seule et unique fois, et ne peuvent donc entrer
dans cette configuration schématique. Néanmoins, les voix du
passé étant particulièrement lacunaires, ne les passons
pas sous silence et sachons les remettre à l'honneur, leur seule
présence au sein du cartulaire étant déjà une
commémoration de leur place et de leur rôle - direct(e) ou
indirect(e) - dans l'histoire épiscopale. C'est pourquoi il nous a
semblé nécessaire de créer une annexe où sont
référencés tous les individus composant le cartulaire et
ainsi la société laonnoise (cf. annexe n
De ce fait, la création d'un tel répertoire
d'individus, souvent portés dans l'ombre de la recherche
historique244, rend possible un relatif suivi de leur parcours, la
confrontation avec d'autres sources documentaires où ils se verraient
mentionnés pouvant permettre de compléter cette perspective de
recherche historique, prosopographique et sociale. De plus, rien que dans le
cartulaire, la place accordée aux femmes, en tant qu'acteurs sociaux,
pourrait servir d'argument aux axes de recherches fondés sur le
rôle socio-culturel des femmes dans la société
médiévale des XIIe et XIIIe siècles.
Aussi, l'analyse portée sur les noms de famille permettrait aux
historiens spécialistes d'anthroponymie de réaliser des travaux
de ce type sur les individus référencés ici. Les
perspectives sont multiples, mais elles dépassent le cadre de notre
étude, qui ne se poursuivra pas au-delà de ces mots.
242 CHASTANG Pierre, « Cartulaires, cartularisation et
scripturalité médiévale : la structuration d'un nouveau
champ de recherche », Cahiers de civilisation
médiévale, n° 49, 2006, p. 25.
243 Une telle démarche s'inspire notamment des travaux
d'Hélène Millet, une des pionnières de l'étude
prosopographique, notamment dans son ouvrage Les chanoines du chapitre
cathédral de Laon, 12721412 (1982), où elle parvient
à retracer le parcours des chanoines du chapitre cathédrale de
Laon durant la période mentionnée grâce à
l'élaboration d'une base de données élaborées ; 2
ans plus tard, elle dirigea le programme Informatique et
prosopographie, dont les actes furent édités en 1985 ;
aujourd'hui, Hélène Millet se trouve à la tête de
l'Opération Charles VI (LAMOP), base de données prosopographique
en ligne (www.vif.cnrs.rr/charlesVI/) pour les personnes actives sous le
règne de Charles VI (1380-1422).
244 Alain Saint-Denis, dans Apogée d'une
cité..., propose bien une description prosopographique, utile et
pleine de sens, mais celle-ci ne rend compte quasi-exclusivement que des
puissants et de leur famille, il n'est jamais question d'individus
lambda. C'est donc cet écueil que nous tentons d'éviter
ici, dans une perspective complémentaire à celle d'Alain
Saint-Denis.
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