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Administrer par l'écrit : le grand cartulaire de l'évêché de laon

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par Romain RIBEIRO
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master II Recherche 2014
  

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Conclusions générales et perspectives de recherche

Bien que l'étude d'un cartulaire unique permette d'aborder une multitude de problématiques et d'axes de réflexion, il ne s'agit ici, au final, que d'une micro-analyse de la scripturalité laonnoise durant le Moyen-Age central, un grossissement volontairement orienté d'histoire locale. Néanmoins, ceci permet de mettre à jour, confirmer ou réfuter certaines théories formulées par ce courant historiographique.

Tout d'abord, l'un des éléments traité en filigrane de notre étude fut la dimension profondément pragmatique de l'écrit, tant dans sa conception matérielle que dans sa finalité pratique. En effet, les paragraphes consacrés aux systèmes de repérage graphique démontrent à quel point le recours à l'écrit nécessite l'utilisation de techniques intellectuelles propres à ce support. Il s'agissait alors, pour les cartularistes, de projeter une conception mentale de l'information, malléable, sur un support fixe et immuable. C'est pourquoi il fut intéressant d'observer les indices éclairant le travail préparatoire des cartularistes, notamment à travers l'exemple du cahier n°13, véritable mine d'informations sur les pratiques archivistiques médiévales, ainsi qu'à travers l'analyse de la table des matières, dont le listage des rubriques nous éclaire sur la rationalisation du travail intellectuel au Moyen-Age245. De plus, en mettant le cartulaire en perspective de l'ensemble de la production documentaire épiscopale, nous avons observés à quel point le manuscrit est le résultat d'un processus scriptural qui le dépasse. En effet, le cartulaire n'est jamais autoréférentiel, bien qu'il tende à le devenir, son contenu devant toujours être étudié en relation, directe ou indirecte, avec le chartrier et les codices qui l'ont précédé, ainsi qu'avec les traces d'utilisation postérieures, le cartulaire apparaissant alors comme un objet dont la finitude ne serait jamais réellement achevée et dont l'autorité ne s'acquerrait qu'avec le temps.

En outre, nous avons démontré au fil de l'analyse que les caractéristiques scripturales du cartulaire, au-delà d'un examen en soi, servaient à un dessein politique et idéologique, le cartulaire devant être perçu comme un vecteur matériel d'informations, sélectionnées et compilées de manière à ce qu'elles forment un tout cohérent. Ainsi, nous avons observés le cartulaire sous le prisme des différentes perspectives historiographiques, à savoir l'étude du cartulaire en tant qu'outil de gestion et en tant qu'outil de commémoration. Or, dans l'ultime chapitre de ce mémoire, nous nous sommes efforcés de montrer que vouloir choisir entre l'une ou l'autre hypothèse rendait l'analyse

245 Les ouvrages de Jack Goody restent la référence en matière de rationalisation de l'écrit, et de nombreux projets se basent sur ces travaux : c'est notamment le cas du projet « Listes et culture de l'écrit au Moyen Âge (c. 750-c. 1550) » initié par le LAMOP, et dont le programme de recherche s'applique parfaitement à l'étude des cartulaires, qui ne sont au final que des listes d'actes retranscris.

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quelque peu inopérante. En effet, utiliser l'écrit en tant qu'instrument de gestion permet d'ancrer cette politique gestionnaire dans l'histoire de l'institution, de même qu'avoir recours à l'écrit dans le but de monumentaliser un passé correspond à moyen de régir une histoire institutionnelle. Dès lors, nous avons tentés de dépasser cette dichotomie historiographique opposant gestion et mémoire, en concevant le cartulaire comme un instrument fusionnant ces deux principes, c'est-à-dire qu'il constituerait avant tout un moyen de légitimer symboliquement - littéralement « par le biais de symboles », à savoir l'écrit - l'autorité épiscopale, tant présente - les actes contemporains des phases de rédaction - que passée - les actes antérieurs. Ainsi, il semble que le cartulaire soit créateur d'une spatio-temporalité qui lui est propre, ordonnancée selon certaines représentations contextuelles influant sur les conditions mêmes de sa réalisation, le manuscrit devenant alors un outil performatif, un prisme à travers lequel l'institution épiscopale réagence l'ordre des choses.

Quoi qu'il en soit, il serait intéressant de réaliser une étude plus large regroupant l'ensemble de la production documentaire laonnoise afin de vérifier ou de nuancer ces conclusions, à la manière d'un Pierre Chastang, dont la thèse portait sur la production documentaire d'une région toute entière, à savoir le Bas-Languedoc, entre le XIe et le XIIIe siècle. Ainsi, si l'on suit cette logique méthodologique, l'une des perspectives de recherche serait de mettre en relation l'ensemble des cartulaires issus de la production documentaire laonnoise, c'est-à-dire les cartulaires épiscopaux, abbatiaux, canoniaux et communaux. Dès lors, il serait possible de confronter les visées et les méthodes de réalisation des différents documents afin d'en dégager les similitudes ainsi que les dissemblances. Ceci permettrait alors d'obtenir un panorama significatif des différents processus de cartularisation de la société laonnoise et ainsi de mettre en perspective les résultats obtenus avec les différentes études similaires réalisées jusque-là.

Aussi, il semblerait tout à fait pertinent d'envisager une prospection d'ordre socio-économique des mécanismes régissant la société laonnoise, notre analyse ne représentant au final qu'une partie - biaisée - de cet axe de recherche. En effet, une telle analyse permettrait d'éclairer la recherche historique sur les pratiques locales d'un territoire caractérisé par sa proximité avec Paris et de plus en plus sous influence du pouvoir royal. Il s'agirait alors d'axer un programme de recherche autour des notions d'intégration et d'(in)dépendance culturelles et territoriales au regard des pratiques socio-économiques. Dès lors, ce potentiel axe de recherche permettrait une relative mise en perspective de l'histoire institutionnelle de la France, au regard des débats contemporains autour du concept de décentralisation administrative et économique, la société laonnoise apparaissant comme un objet d'étude tout à fait opportun.

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Enfin, une dernière perspective de recherche, davantage tournée vers l'archivistique, consisterait en un projet d'édition du Grand cartulaire de l'évêché de Laon, à l'image de l'édition du chartrier de Saint-Yved de Braine, dirigée par Olivier Guyotjeannin. Par ce biais, il s'agirait de mettre en lumière un exemple de la production documentaire laonnoise, dont les fonds ne nous semble pas être assez mis en valeur, notamment au regard de certaines régions documentaires où se concentre la recherche historique récente - Cluny et le Mâconnais, le nord de la Loire, la Bretagne, etc. A titre personnel, au-delà du fait de prêcher pour ma propre paroisse, il s'agirait surtout de réévaluer l'histoire d'une région souvent délaissée, ou du moins sous-exploitée, par la recherche historique, ce mémoire ne représentant au final qu'une pierre qu'il serait possible d'apporter à un éventuel programme de recherche englobant un territoire et une production documentaire beaucoup plus vaste.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius