3. Effets des incendies sur la séquestration du
carbone dans le sol
La détermination précise d'évolution des
stocks de C est une condition préalable pour comprendre le rôle
des sols dans le cycle global du C et de vérifier les variations de
stocks en raison de pratiques humaines. L'un des phénomènes
provenant des pratiques humaines est le déclenchement des incendies de
forêts qui peut aboutir à des variations des stocks de C dans les
sols forestiers. Étant donné que le pool pédologique est
le pool terrestre le plus important, ces évolutions ainsi que les
modifications des propriétés du sol dues aux incendies peuvent
avoir des implications importantes sur les sols forestiers en tant que puits de
C.
Tableau 10 : L'évolution des stocks de
C organique total dans le sol des sites étudiés
Sites
|
I
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II
|
III
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IV
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COstock
|
57,23 #177; 4,78 b
|
28,68 #177; 8,68 a
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31,37 #177; 6,68 a
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22,56 #177; 7,02 a
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(t/ha)
|
(65,23 #177; 19,88 b)
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(16,91 #177; 3,33 a)
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(49,51 #177; 28,26 ab)
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(35,01 #177; 5,19 ab)
|
ÄCOstock (%)
|
- 12,28 ns
|
+ 69,59 ns
|
- 36,65 ns
|
- 35,57 ns
|
Les valeurs entre parenthèses représentent les
données des sites témoins correspondant à chacun des sites
incendiés alors que les différentes lettres indiquent les
différences significatives entre les sites selon le test de Tukey - HSD.
Les différences entre les sols de sites incendiés et non
incendiés : (ns) non significative; (*) p < 0,05; (**) p < 0,01;
(***) p < 0,001
Les résultats obtenus sur les stocks de C se
présentent sur le Tableau 10 ainsi qu'à la
Figure 8 pour l'appréciation visuelle de leur
évolution suite au passage du feu. Les stocks de C variaient de 22,56
t/ha (site IV) à 57,23 t/ha (site I) sous les sites incendiés
alors qu'aux sites témoins, ils étaient compris entre 16,91 et
65,23 t/ha respectivement sous les sites II et I. La variabilité des
stocks de carbone au sein des sites incendiés est assez faible, avec des
écarts types, variant entre 47,80 t/ha et 70,24 t/ha (soit 8,35%
à 31,14% de variabilité) respectivement sous les sites I et IV
alors que sous les sites témoins, ils se situent entre 5,19 t/ha et
28,26 t/ha (soit 14,81% à 57,08% de variabilité)
68
respectivement sous les sites IV et III. En ce qui concerne la
variabilité inter sites, l'on a observé une différence
très hautement significative (p < 0,001 : Annexe
2.2.3) parmi les sites, avec le feu semblant diminuer
légèrement cette variabilité (Tableau
10).
Le feu semble avoir eu un effet négatif sur les stocks
de C, trois (I, III et IV) des quatre sites d'étude présentant
une diminution. Les sites III et IV sont ceux qui ont connu plus de pertes en
stocks de C présentant respectivement la diminution de 36,65% (-18,14
t/ha) et 35,57% (-12,46 t/ha) des stocks initiaux de C (Tableau 10 et
Figure 8). En ce qui concerne le site (II) ayant
présenté une augmentation, les gains sont de l'ordre de 69,59% de
stock initial soit +11,77 t/ha. Bien que ces changements aient
été observés, ils ne sont pas significatifs comme le
montre le test d'analyse de la variance (Annexe 2.2.3). Cette
observation pourrait s'expliquer par le fait que le feu n'était pas
suffisamment intense pour provoquer des changements considérables dans
les stocks de carbone organique sous ce site. Les températures maximales
atteintes lors de la combustion ainsi que la durée des feux sont des
facteurs importants qui entrent en jeu. Les études ont montré que
la plupart des pertes en C des sols ont lieu lorsque le feu est localisé
sur une surface limitée, pendant une longue période de temps
permettant le transfert de chaleur dans le sol minéral. Dans la
présente étude, l'on pourrait conclure que les changements ont
été essentiellement limités à la partie
supérieure du sol étant donné que l'intensité du
feu était probablement faible à modérée avec une
durée courte (moins de 24 heures pour la plupart des cas).
Les pertes significatives de C après le passage des
feux dans le sol minéral sont assez rares, sauf dans les cas où
les feux d'intensités élevées sont impliqués.
Ainsi, dans ces conditions, les pertes de C organique sont essentiellement
liées à la combustion de la MO, l'oxydation et donc la
volatilisation du C et l'élimination et/ou la redistribution des cendres
avant qu'elles soient incorporées dans le sol minéral.
Étant donné que les feux d'intensités
élevées peuvent ne pas avoir eu lieu dans ces sites, alors la
diminution des stocks de C dans le sol minéral sous les sites I, III et
IV, notamment par la volatilisation, qui commence de 500 à 700 °C,
pourraient avoir été assez limitées.
D'autres phénomènes, plus probables, pouvant
expliquer les pertes en stocks de C dans le sol après les incendies sont
ceux d'érosion par le vent et/ou ruissellement. La combustion de
végétation, en particulier le sous-bois, rend le sol nu et
susceptible aux processus subséquents d'érosion et de
ruissellement. La zone d'étude se trouve dans une région dont la
topographie est très accidentée et dont le substrat est
très friable. À ces faits s'ajoute les évènements
pluvieux qui peuvent favoriser les processus d'érosion du sol,
étant donné que la région soit parmi les plus
arrosées au Maroc. En effet, les valeurs les
69
plus élevées au Maroc en termes d'érosion
ont été enregistrées dans cette région. Cela
pourrait expliquer le cas des sites III et IV (ayant subi une coupe rase) qui
se trouvent dans la même zone de Bab Taza (~ 1 km l'un de l'autre) et
dont le sous-bois était presque non existant (Image sur
Annexe 5). En outre, ces deux sites ont également
présenté la plus de perte en stocks de C par rapport aux autres
sites (Tableau 10 et Figure 8). Ainsi, cette
explication est en accord avec de nombreuses études. Kimble et al.
(2001) aux USA ont enregistré des pertes de COS dues à
l'érosion dans les 25 premiers cm du profil du sol sous quatre sites.
De nombreuses études ont montré que la
diminution en stocks de C par érosion et ruissellement se fait par
déplacement ainsi que la redistribution de COS. La dégradation
des agrégats du sol favorise la minéralisation de CO, ce qui
accentue la libération ainsi que les pertes de C dans
l'atmosphère (Lal, 1995). Un autre facteur favorisant la
minéralisation de CO est l'augmentation de la température du sol
en absence de sous-bois car le sol est plus exposé au soleil. Cela
pourrait aussi expliquer les pertes en stocks de C sous les sites III et en
particulier IV dont le peuplement a subi une coupe rase.
Influence des incendies sur les stocks de carbone
organique
-12,28% +65,59% -36,65% -35,57%
700
COS (t/ha)
400
600
500
300
200
100
0
Site
I II III IV
Non incendié Incendié
Figure 8 : L'évolution des stocks de C
dans le sol suite aux incendies de forêts
La teneur du sol en argile pourrait également
être appelé à expliquer l'évolution des stocks de C
après le feu, en particulier dans le site II qui a
présenté une augmentation. Les argiles présentent une
grande stabilisation de la COS en protégeant la MO des
décomposeurs (Duchaufour, 1983; Six et al., 2002). Cependant,
le cas des sites I, III et
70
IV était paradoxal car l'on a observé une
diminution en stocks de C malgré l'augmentation de la teneur en argiles
pour chacun d'eux.
Au niveau du site II, l'augmentation des stocks de C pourrait
s'expliquer par le fait que le site était défriché et dont
le feu était probablement de faible intensité. Ces
résultats coïncident avec ceux de plusieurs auteurs y compris
Pardini et al. (2004) sous un peuplement de chêne-liège
en Espagne, Kara et Bolat, (2009) sous une plantation de pin noir en Turquie et
Zhao et al. (2012) en Chine. Cette évolution est souvent
liée à une faible combustion de la MO ainsi que du C suivi par
l'accumulation et l'incorporation des dépôts (résidus)
partiellement brulés dans la surface du sol. Ainsi, les particules de
charbon résultant de la combustion incomplète de la biomasse
peuvent être incorporées dans la matrice du sol résultant
à l'augmentation et au stockage du C.
Cette étude n'a pas signalé d'effets
considérables des incendies sur la séquestration du carbone dans
le sol. Ce sont des observations qui sont courantes où les incendies
ayant eu lieu étaient de faible gravité à
modérée. Considérant que ce fut généralement
le cas dans la présente étude, les résultats obtenus
n'étaient pas tout à fait surprenants.
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