1.2. Les facteurs de risques de pénibilité
Le rapport Struillou (2003), l'enquête SUMER
(2002/2003), les travaux relatifs à la pénibilité au
travail (Nicot et Roux, 2008 ; ANACT, 2004 ; INRS, 2012) mais également
le décret du 30 mars 2011 (article D. 4121-5 du code du travail)
recensent trois catégories de facteurs de pénibilité
(tableau 1):
1- Les facteurs organisationnels comprenant les horaires
atypiques et le rythme de travail tels que le travail de nuit, travail à
la chaîne ou répétitif, cadences imposées, longs
déplacements fréquents;
2- Les facteurs d'environnements agressifs, matériels
et humains (température, intempéries, bruit, poussières,
produits toxiques) ;
3- Les efforts physiques lourds (manutentions, port de
charges, vibrations, contraintes posturales et articulaires).
Tableau 1 : Facteurs de pénibilité au travail,
(INRS, pénibilité, tous concernés 2012)
![](Analyse-de-lactivite-et-evaluation-des-facteurs-de-penibilite-du-travail-Le-cas-des-marecha1.png)
Ces facteurs, bien qu'objectifs, ne rendent cependant pas
aisée l'évaluation de la pénibilité qui se mesure
à partir d'une variété de facteurs. Cette
évaluation se complexifie dés lors que le versant psychologique
de la pénibilité, la problématique des risques
psychosociaux, est à prendre en compte. A ce sujet, la notion de
surcharge mentale est très importante et l'existence de tension au
travail rend ce dernier encore plus pénible. Ces tensions sont de deux
types : celle liée à l'intensification du travail et celle
née du rapport conflictuel avec le public et la hiérarchie (De
Taillac, 2012). De la même manière, Coutrot (2008) évoque
les contraintes organisationnelles comme « un travail de plus en plus
haché » (page 35) ou des rapports avec le public dans lequel les
salariés perçoivent un risque d'agressions physiques. Les
facteurs rencontrés dans les situations de « job strain » :
décalage entre les objectifs fixés et les ressources dont
disposent l'individu, faible degré de latitude décisionnelle,
reconnaissance insuffisante associée à l'accomplissement de sa
tâche sont sources de pénibilité psychologique.
L'enquête Survey on Health Ageing and Retirement in Europe (SHARE)
réalisée en 2004 propose une analyse des corrélations
entre pénibilité au travail et état de santé des 50
ans et plus en emploi. La pénibilité est ici
évaluée sous trois dimensions : la demande psychologique
(pénibilité physique perçue et pression psychologique), la
latitude décisionnelle et la récompense reçue
(monétaire ou non) (IRDES, 2007). Les résultats montrent qu'une
forte demande psychologique est associée à une probabilité
plus importante de se juger en mauvaise santé, que recevoir une
récompense élevée est corrélée à une
probabilité plus faible de se déclarer en mauvaise santé
et enfin que le soutien au travail et que
la sécurité de l'emploi sont des facteurs
importants pour se percevoir en bonne santé (figure 1).
![](Analyse-de-lactivite-et-evaluation-des-facteurs-de-penibilite-du-travail-Le-cas-des-marecha2.png)
Figure 1 : Relations entre pénibilité
psychologique et santé des séniors en Europe (IRDES,
2007).
1.3. Pénibilité au travail, santé au
travail et amélioration des conditions de travail
? Pénibilité et risques
professionnels
Pénibilité au travail et santé au travail
sont toutes deux fortement influencées par les conditions de travail.
Nous définirons ici la pénibilité comme un «ensemble
d'effets liés aux conditions de réalisation du travail qui
contribuent à altérer, de façon réversible ou non,
les capacités des personnes à agir, et qui les conduisent
à des situations d'inadaptation professionnelle plus ou moins
prononcée » (Nicot et Rioux, 2008). Il semble pourtant
nécessaire de préciser que pénibilité et risques
professionnels ne peuvent être confondus (INRS, 2012). En effet, si
l'employeur n'identifie pas des facteurs de pénibilité tels que
définis dans le Code du Travail, il reste tenu d'évaluer les
risques professionnels pour garantir la sécurité des
salariés. Cependant ces notions ne sont pas non plus totalement
indépendantes. En effet, les risques professionnels peuvent
résulter du caractère pénible du métier ou du
poste. D'ailleurs les enquêtes SUMER, enquête de
surveillance médicales des risques professionnels sont
systématiquement citées lorsque l'évaluation de la
pénibilité physique au travail est évoquée. Les
risques professionnels sont également mentionnés à
plusieurs reprises dans les articles supportant la réglementation de la
pénibilité au travail (LOI n° 2010-1330 du 9 novembre 2010
portant réforme des retraites).
- Article L. 4121-1 complété :
Au nom des principes généraux de
prévention des risques professionnels, l'employeur doit désormais
prendre les mesures nécessaires pour assurer la prévention de la
pénibilité au travail.
- Article. L. 4121-3-1 :
Pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs
facteurs de risques professionnels déterminés par décret
et liés à des contraintes physiques marquées, à un
environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail,
l'employeur, en lien avec le médecin du travail, consigne dans des
conditions fixées par décret les conditions de
pénibilité auxquelles le salarié est exposé et la
période au cours de laquelle cette exposition est survenue. Le
modèle du document servant de support à cette information est
fixé par arrêté du ministre chargé du travail.
- Article L.4612-2 complété:
Le Comité d'hygiène, de sécurité
et des conditions de travail en plus de ses autres missions doit à
présent procéder à l'analyse de l'exposition des
salariés à des facteurs de pénibilité.
? Pénibilité au travail : les actions de
l'entreprise.
Concrètement, qu'est il attendu de l'entreprise en
terme de pénibilité professionnelle? Tout d'abord, l'entreprise
doit rechercher et évaluer l'exposition potentielle à des
facteurs de pénibilité en déterminant quels facteurs de
pénibilités sont présents dans les activités et si
l'intensité, la fréquence et la durée des expositions
laisseront des traces durables, identifiables et irréversibles sur la
santé des travailleurs (INRS, 2012). En cas de réponse positive,
l'entreprise devra mettre en place les quatre étapes du dispositif de
pénibilité au travail à savoir :
1- le diagnostic qui permettra d'identifier les postes de
travail et les salariés exposés aux facteurs de risques de
pénibilité ;
2- la prévention qui visera à réduire ou
supprimer les expositions, à adapter les postes de travail, les horaires
et développer les compétences, l'aménagement des fins de
carrière et le maintien en activité (INRS, 2012) ;
3- la traçabilité qui consiste à
établir une fiche de prévention des expositions dans laquelle
sont consignées les conditions d'expositions du salarié, la
période d'exposition et les mesures de prévention mises en place
;
4- la compensation à savoir la possibilité de
partir à la retraite à l'âge de 60 ans au taux plein ou
toute autre mesure de compensation envisagée par l'entreprise.
? Usure professionnelle et pénibilité au
travail : enjeu de l'amélioration des conditions de travail
Un travail conséquent est amorcé depuis 2003 par
le réseau de l'Agence Nationale de l'Amélioration des Conditions
de Travail (ANACT) sur la prévention de la pénibilité.
D'une manière générale, ces travaux visent à «
mieux comprendre les processus par lesquels le travail et ses conditions de
réalisation [...] peuvent contribuer à la construction ou
l'altération de la santé, tout au long de la vie professionnelle
» (ANACT, 2008). En parallèle, des modélisations des
relations entre expositions aux facteurs de risques et perception d'une
mauvaise santé sont proposées (Enquête Santé 2003
Insee). Le tableau 2 présente la probabilité pour un
sénior « chômeur ou inactif non retraité » de se
percevoir en mauvaise santé. Ainsi trois pénibilités
cumulées ou plus, pendant au moins dix ans, multiplie par 1.8 la
probabilité de se déclarer en médiocre santé.
Un second repère pour l'action proposé par
l'ANACT consiste à analyser la situation. Bugand (2009) préconise
« d'identifier les populations concernées et repérer les
impacts sur la santé »
Tableau 2 : Modèle explicatif de la
probabilité pour un senior
« Chômeur ou inactif non retraité »
de se percevoir en mauvaise santé (Source : enquête Santé
2003 Insee, calculs Dares.)
Employé
|
1.25
|
Ns
|
Ouvrier
|
1.45
|
Ns
|
Modèle 1
|
Travail posté
|
1.25
|
Ns
|
Horaires atypiques
|
2.32
|
Ns
|
Poussières, fumées
|
1.50
|
Ns
|
Travail répétitif
|
1.24
|
Ns
|
Travail au rendement
|
0.54
|
Ns
|
Postures pénibles
|
0.83
|
Ns
|
Températures extrêmes
|
2.09
|
Ns
|
Port de charges lourdes
|
1.45
|
Ns
|
Bruit
|
0.69
|
Ns
|
Intempéries
|
1.73
|
Ns
|
Produits chimiques
|
0.82
|
Ns
|
Modèle 2
|
Trois pénibilités ou plus
|
1.76
|
'K'K'K
|
'K'K'K Indique une liaison significative au seuil de 1 %.
Comme exposé par l'ANACT (Bugand, 2009), comprendre la
notion de pénibilité nécessite de «
s'intéresser au travail » et plus précisément
comprendre comment les salariés travaillent et font face aux contraintes
(marges de manoeuvres, stratégies, compétences). Cela
nécessite également de « prendre en compte la
variabilité des situations », autrement dit si l'expérience
permet de développer des stratégies de compensation, il est
important de s'assurer que l'organisation du travail leur permettent de
s'exprimer. Il apparait également important de « tenir compte des
dimensions objectives et subjectives ». Nous avons exposé des
facteurs de pénibilités reconnus dans la législation mais
comme évoqué précédemment, la
pénibilité est également l'expression d'un vécu et
d'un ressenti individuel. Il faut donc pouvoir articuler ces deux versants. Une
des différences majeure avec les risques professionnels est probablement
la temporalité et il parait important de « faire le lien avec
l'histoire des individus et de l'entreprise ». Pour travailler sur la
pénibilité, il faut pouvoir mettre en concordance l'état
de santé et son exposition aux risques. Il faut également
être capable de connaitre et prendre en compte les différents
changements vécus par l'entreprise et ses salariés.
en rapprochant des données qualifiées de
sociales sur l'opérateur (métiers, ancienneté...) et des
indices comme les maladies professionnelles, les accidents du travail, le
turn-over, l'absentéisme, les troubles de la santé ou encore des
indices de performance. Une « analyse ciblée de la population
» sera ensuite nécessaire et permettra de prendre en compte le
point de vue du salarié et de son entourage sur la situation actuelle et
dans le temps. Enfin « l'analyse ciblée des situations de travail
» qui se fera par un repérage des contraintes et des moyens pour y
faire face permettra de recueillir des informations sur les sources de
pénibilité.
Il apparait donc que l'usure professionnelle,
considérée comme le résultat de la
pénibilité au travail, soit à considérer selon une
dimension temporelle et évolutive et que la complexité des
facteurs en jeu soit également importante. L'analyse des situations de
travail permet de comprendre l'écart entre les tâches prescrites
et celles réelles, compréhension indispensable pour
améliorer les conditions de travail et, comme nous l'avons
évoqué précédemment, pour évaluer et
prévenir de la pénibilité au travail.
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