III. 3ème jour d'observation : le 17 janvier
2013
Le montage d'exposition s'étant poursuivi le soir
précédent, je ne savais pas encore ce matin-là, dans quel
état j'allais retrouver l'espace. En attendant de pouvoir observer la
progression du montage, je regardais la neige tomber par la fenêtre du
tramway. 9h15, ce matin il semblerait que nous attendions un certain nombre de
personnes. Tout d'abord, j'ai pu observer le passage rapide d'une personne en
charge de l'affichage et de la communication visuelle donnant aux passants et
aux visiteurs les informations pratiques sur l'exposition: Lina Jabbour,
exposition du 24 janvier au 23 février 2013, de 14h à 19h, du
mercredi au samedi. (Annexe 29 p. 23)
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Ensuite j'ai vu arriver Zelda, une jeune enseignante en
formation au VOG, s'occupant actuellement de la gestion des procédures
et des textes relatifs aux demandes de mécénat. Puis, j'ai
assisté à une sorte de « cafouillage » entre les
personnels chargés du nettoyage des baies vitrées du VOG devant
intervenir vers 9h00, et l'afficheur de la communication visuelle.
En effet, tenus d'arriver dans les même créneaux
horaires, ils n'avaient pas été informés du passage les
uns des autres, d'où un léger contentieux dans l'ordre
d'exécution des tâches. En outre, l'afficheur de la communication
en charge du marouflage du sticker sur la vitre semblait assez pressé,
et nous a même confié qu'il venait là pour remplacer
exceptionnellement ses employés. Les deux hommes chargés du
nettoyage des vitres semblaient un peu perturbés, mais firent
tranquillement leur travail en suivant méticuleusement leurs gestes
respectifs, l'un étant à l'extérieur et l'autre à
l'intérieur du VOG.
Dans un brouhaha général, les acteurs se
démultiplièrent, remplissant singulièrement leurs
tâches. Lina, Clémence, Zelda, Anthony et moi-même avons
été un peu décontenancés au passage de ces divers
techniciens, assez pressés dans l'ensemble. Le contraste de
temporalité avec la cadence du monde extérieur, paraissait
saisissant.
De temps à autre et malgré la tempête
sévissant dehors, des passants au pas pressé jetaient quelques
regards furtifs vers l'intérieur, tout en continuant leur chemin.
Marielle et Lina regardaient la gestuelle technique des
laveurs de vitres, en observant cette tâche quotidienne. Anthony prit son
petit déjeuner, pendant que Clémence passait l'aspirateur dans la
salle d'à-côté sur le sol maculé de graphite. Zelda
discutait avec Marielle, pendant que Lina improvisait au fond du second espace
un lieu de travail à proximité de la lumière du jour, pour
déballer sa série de 9 petits dessins intitulée Castle
Bravo (Annexe 30 p. 23).
Vers 10h30, Lina réfléchit
à la gestion de son matériel de production, mais aussi aux
systèmes d'accrochage et d'exposition de ses dessins, en écoutant
nos suggestions. Zelda proposa d'aller chercher le matériel manquant:
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« clous à tête plate larges, de longueur
de 2 à 1,7 cm - bâche un peu épaisse - 2 rouleaux de scotch
double--face blanc ou beige, un peu épais de 2 et 7 cm57
». Pendant que Clémence et moi étions
occupées à noter les mesures du mur du 1er couloir
devant contenir la série Castle Bravo.
En discutant avec Lina des conditions et des mesures de son
accrochage, je me suis rendu compte qu'elle souhaitait installer ses dessins
à 1m 60 du sol, parce que cela correspond aux mesures d'accrochage
traditionnelles, mais aussi par souci de créer une vision d'ensemble
horizontale.
Ce qui est amusant, c'est que cette dimension correspondait
pratiquement à la hauteur du regard de Lina, comme si elle nous
proposait de manière physique une certaine proximité, une
certaine intimité anthropomorphique avec son regard.
Deux équipes étaient en train de se constituer:
D'un côté, Lina et Anthony commencèrent à
réaliser au fusain le dessin du mur de gauche dans l'espace principal,
à partir de la rétroprojection d'un dessin de Lina. Cette image
représentait de façon diffuse et presque abstraite, un paysage me
rappelant une vue de coucher de soleil avec une mer assez agitée (Annexe
31 p. 24). De l'autre, Clémence et moi étions en train d'investir
le mur du couloir faisant la jonction entre le 1er et le 2nd
espace d'exposition.
Durant leur production, Lina et Anthony ont été
confrontés à une nouvelle problématique technique. En
effet, lors de l'exécution du dessin, ils se sont rendu compte qu'il
leur manquait un certain obscurcissement de l'espace leur permettant de
visualiser précisément les traits du dessin rétro--
projeté.
Ils ont donc demandé à la Directrice s'il
était possible de baisser les stores des baies vitrées, afin de
créer un dispositif58 propice à la production
de ce dessin mural. Mais étant donné le problème
d'enroulement de ces derniers, Marielle refusa catégoriquement
d'assombrir l'espace.
57 Liste de fournitures écrite par Lina pour Zelda.
58 Jean Davallon, L'exposition à l'oeuvre,
Stratégies de communication et médiation symbolique,
L'Harmattan, Paris, 1999, p. 22.
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Cette problématique mit nos cerveaux en
ébullition, afin d'inventer un agencement59
permettant de faire ce fameux noir indispensable à
la réalisation de la pièce. Après quelques minutes de
réflexion, Lina demanda à Clémence où se trouvaient
les sacs-poubelle destinés au nettoyage du Centre d'art. Nous
commençâmes à découper ces larges masses opaques en
créant une sorte de tissage entre ces toiles plastique, ce qui permit
d'obscurcir de manière temporaire une bonne partie de l'espace
principal.
A 16h38, Clémence et moi avions fini
d'accrocher les 9 dessins Castle Bravo.
Ne connaissant pas encore très bien la nouvelle
Médiatrice du lieu, Clémence, j'ai pu ainsi nouer une nouvelle
forme de proximité avec elle. Lina et Anthony en étaient presque
à la moitié de la réalisation de leur dessin. Je me suis
sentie à cet instant-là, au même titre que toute
l'équipe de montage, plongée au sein du processus de fabrication
de l'oeuvre qui envahissait progressivement l'espace d'exposition.
L'atmosphère générale du montage me permettait de me
projeter dans les prémisses de cet événement.
Poursuivant leur dessein, Lina et Anthony s'étaient
assis sur des cartons leur permettant de s'installer plus confortablement dans
l'espace. J'eus l'impression d'observer le mouvement du spectacle de
l'existence: tous deux, fusain à la main, dessinant la métaphore
du passage de l'Homme sur Terre. Ce format carte postale me fit penser
à la représentation métaphorique de la mort à
travers le coucher du soleil, comme si ces deux acteurs étaient en train
de tracer un cheminement métaphysique de l'être en devenir (Annexe
32 p. 25). Faisant face au tumulte de l'Océan Pacifique (titre
de l'oeuvre) sur leur radeau de carton, ils tentaient de donner vie au son
infigurable, au cri de la vie (Annexe 33, p. 25).
Le remplissage des différentes strates de l'image
apparaissait comme au cours de la révélation sur le papier d'une
photographie argentique. Vers 17h 55, Lina définissait
un nouveau territoire lui permettant de déballer le reste de
ses dessins. Vers 18h46, Nous venions de découvrir la
série intitulée Tempête orange. En me rapprochant
de ce tryptique, je fus assez intriguée par l'analogie entre le motif de
la vibration colorée faite par le geste de Lina aux crayons de couleurs,
et le résultat énigmatique né de la capture photographique
par Philippe Trepier60 de l'environnement Trame.
59 Gilles Deleuze, Cinéma 1, L'Image-- mouvement,
Les Editions de Minuit, Paris, 1983, p. 220.
60 Photographe de la Ville de Fontaine.
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