V. Analyse des images liées à
l'atmosphère globale de l'exposition
Seuls 3 visiteurs ont restitué de façon
iconographique leur ressenti global de l'exposition comme s'ils faisaient un
bilan, une synthèse émotionnelle de leur expérience de
visite (Annexe 75 p. 61). Sable (visiteur n° 6),
Nuages de poussière (n° 7) et Globe
(n° 8) retracent en quelque sorte l'empreinte laissée par
l'exposition chez ces visiteurs.
En effet, il semblerait que ces images reflètent assez
bien la problématique que nous propose Lina au travers d'un
questionnement autour du devenir-Homme. Ainsi, du point de vue de la
production de ses images (collectées au cours des trois derniers
entretiens), je peux me demander si de façon implicite je n'aurais pas
inconsciemment orienté progressivement le cadre de l'interaction vers ce
mouvement de synthèse.
Il est tout de même important de rappeler que cette
étude n'entend pas enfermer la gestualisation du visiteur dans
une simple production illustrative du récit.
Cependant, cela me permet d'essayer d'envisager le
récit comme un des mouvements inhérents à
l'activité de visite, au même titre que la production d'images qui
m'a permis de mettre en évidence les différentes étapes de
la construction du sens (Annexe 7 p. 21).
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En ce qui concerne les modalités énonciatives
inhérentes à la production iconique et socioculturelle de ces
images, je pourrais tout d'abord remarquer que les visiteurs n° 6 - Kevin
et n° 1 - Fatma ont fait appel à des référents
artistiques, comme Roger Odin136 a pu le souligner. Le mode
artistique « dans sa forme pleine, est l'établissement d'une
relation obligée entre les caractéristiques de l'Objet et un
énonciateur désigné par un nom propre. Le mouvement qui
relie Objet et nom propre s'effectue dans les deux sens: du nom propre vers
l'Objet ou de l'Objet au nom propre. Dans les deux cas, c'est le nom propre qui
est au coeur de la relation à l'Art. (...) Le mode artistique
apparaît de la sorte comme reposant essentiellement sur un processus
énonciatif (l'étiquetage ou l'énonciation d'un nom propre)
et sur des processus discursifs137. »
Ainsi, Pompidou - Fassbinder, Pollock, La terre est
bleue comme une orange, ont été choisis en faisant
référence au domaine artistique. Il est intéressant de
voir, à cette étape, la façon dont peut intervenir
l'ancrage socio-culturel. En effet, ces deux visiteurs ont suivi pendant leur
scolarité, des études de graphisme et d'histoire de l'art.
En ce qui concerne une modalité de rapprochement que
nous pourrions qualifier de culturel, j'ai appris au cours de mes entretiens
que deux de ces visiteurs, le visiteur n° 1 - Fatma et le visiteur n°
5 - Hédia, étaient de nationalité tunisienne.
Ces deux femmes ont toutes deux retranscrit de façon
iconographique certaines des oeuvres, à travers la représentation
d'un store fermé de garage: Rusty - Shetter (visiteur
n° 1) et Rideau de fer (n° 5). Cependant, cette
proximité visuelle ne s'est pas matérialisée à
partir des deux mêmes oeuvres dans cette exposition.
L'une faisant référence à l'installation
Océan Pacifique (visiteur n°1), et l'autre à
l'environnement Trame (n° 5).
En outre, malgré l'analogie visuelle de ces deux
images, il semble que cela ne se réfère pas à la
même émotion face à l'oeuvre. L'une, perçue de
façon positive (visiteur n°1) se réfère à une
codification liée à l'appréciation esthétique de
l'installation Océan Pacifique; quant à l'autre, elle
serait davantage liée à la perception d'une zone
d'insécurité et d'un rejet face à l'environnement
Trame (visiteur n°5).
136 Roger Odin, Les espaces de communication, introduction
à la sémio--pragmatique, PUG, Grenoble, 2011, p. 74.
137 Ibid., p. 75.
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Concernant un rapprochement que nous pourrions qualifier de
géographique, la persistance de la « mer » semble avoir
été beaucoup plus présente chez les visiteurs ayant eu
dans leur vie un contact régulier et un souvenir affectif avec celle-ci.
C'est le cas de Mer de brouillard (visiteur n° 4) et de
Jetée (n° 3) qui ont toutes deux fait référence
à la côte bretonne. Ce qui est assez pertinent, sachant qu'ils
sont tous deux originaires de Bretagne, qu'ils vivent en couple et ont
effectué leur visite de l'exposition l'un après l'autre.
Finalement à la lueur de cette analyse, j'ai pu
constater un certain nombre de rapprochements inhérents aux
différents contextes de productions de ces images au cours de la visite
de ces 8 visiteurs. Cette ethno-photographie m'a permis de mettre en
évidence la variété des propositions
interprétatives que j'ai pu observée à travers
différents types d'émotions, par la production de
différents gestes, de différents récits de visites, ainsi
que différentes modalités mémorielles et culturelles
révélant la richesse et la diversité des formes
d'appropriation et de négociation de chacune des oeuvres
présentées dans cette exposition.
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