IV. Analyse des images liées à
l'environnement Trame:
Les propositions inférentielles
socio--sémiotiques concernant l'environnement Trame semblent
globalement liées tout d'abord à l'expression du « rejet
» à travers des images faisant référence à
« l'enfermement » telles que (Annexe 74 p. 60) : Prison
(visiteur n° 4), Rideau de Fer (n° 5),
Chambre d'hôpital psychiatrique (n° 8).
Visiteur n° 4 -- Gilles : « Prison
»
Là, je n'arrive pas, je sais pas, c'est non
définissable ! J'ai pas de... non, y a rien qui me fait penser à
quelque chose. Y a rien qui se dégage de précis. « J'arrive
pas à voir quelque chose de... » m'a t--il dit en retournant
sur ses pas pour essayer de revivre l'expérience de l'environnement
Trame. Dès qu'il y est entré à nouveau, il s'est
frappé la cuisse pour affirmer qu'il n'arrivait pas à comprendre,
à connaître la signification de cette oeuvre : « Nan,
c'est... Sans toucher, je peux me rapprocher ? » Je lui ai fait
comprendre qu'il le pouvait. Il s'est rapproché du mur de droite, les
mains dans les poches et la tête légèrement inclinée
vers l'avant, le regard fixe et les sourcils froncés.
Visiteur n° 5 -- Hédia : «
Rideau de fer »
« Non, ça me met mal à l'aise, c'est
vrai que ce sont des barres (en me montrant les lignes), des rideaux
foncés, des choses qui sont interdites, un truc... voilà ! »
Elle a fait un geste prompt des mains, de haut en bas, pour signifier la
distance qu'elle mettait entre elle et son ressenti de l'oeuvre.
92
« Des stores qui sont... un truc
fermé, qui fait un peu comme si... c'était interdit d'y aller,
interdit de voir... C'est vrai, en plus! Ce sont des stores, tu peux rien voir
à l'intérieur... Ça m'évoque pas quelque chose de
joyeux! J'ai senti comme si mon coeur se pressait. C'est comme s'il y avait un
enfermement, un truc qui... hop ! Stop ! n'avance plus (...) je sens comme si
c'était fermé... qu'il ne fallait plus avancer... C'est bon,
j'avancerai pas! » m'a-t-elle dit en riant.
J'ai appris plus tard, pendant notre conversation, que cet
espace souvent dédié à la production de dispositifs
d'installation ou d'environnement, lui était régulièrement
interdit d'accès durant les périodes d'exposition. Car
il ne fallait pas faire le ménage dans ce lieu, en raison de la
fragilité ou bien de la saleté des oeuvres qui y
étaient présentées.
Elle me donna comme exemple l'exposition d'Alain Bublex en
2012, qui avait décidé d'exposer une moto avec des torchons sales
au milieu, pleins de cambouis. Ce qui l'avait laissée alors assez
perplexe, compte tenu de sa relation professionnelle avec ce lieu.
Les visiteurs n° 2 et 3 ont ressenti une proximité
avec l'expression d'un langage presque imperceptible, proche d'une vibration
d'un message codé, en référence aux images:
Parchemin (visiteur n°2) et Ondes
extra-terrestres (n° 3).
Visiteur n°2 - Laurence:
« Parchemin »
Elle a soupiré à nouveau, et s'est
avancée vers le haut du dispositif, puis elle a fléchi les genoux
et a regardé à nouveau le mur du centre. « C'est comme
si j'étais dans un livre ! » m'a-t-elle dit face à
l'oeuvre, avec des mouvements de la main de haut en bas, comme pour me
décrire la répétition de la trame et l'effacement de son
écriture. « Y a des signaux, mais je ne les comprends pas !
» Elle a continué à déambuler dans l'espace
d'exposition, en essayant de créer une jonction visuelle entre les trois
pans de mur. Avec un regard haut-bas, elle m'a dit: « C'est dingue ce
truc, c'est impressionnant, c'est comme si y avait un message que je ne
comprends pas... »
« En fait, c'est peut-être à moi de
l'écrire! C'est... soit ça a été écrit...
» m'a-t-elle dit avec les paumes ouvertes vers le ciel, pour
m'expliquer sa théorie. « Je ne sais pas si ce sont des lettres
ou des chiffres... comme si c'étaient des signaux tous
délavés. »
« C'est comme s'il y avait une empreinte et qu'il
manquait quelque chose, pour... Ça me fait bizarre, en fait... Comme une
trace... » Elle a claqué des mains: « Quelque chose!
Tu t'éloignes de quelque chose et puis, ben... » Elle s'est
mise à souffler « ... C'est comme si c'était
caché derrière, c'est quelque chose qui est caché.
»
Visiteur n°3 - Isabelle:
« Ondes extra-terrestres »
Elle m'a dit: « Y a une sorte de vibration dans le
dessin, ça me fait penser à des ondes, pas des ondes
cardiaques», en dessinant de la main un mouvement de haut en bas
reproduisant de façon gestuelle le schéma d'un
électrocardiogramme.
« Mais des ondes radio, des trucs où tu peux
capter les messages de l'au-delà... tu vois, un truc qui vienne de je ne
sais où... » m'a-t-elle dit un peu amusée, avec des
gestes horizontaux de la main.
Enfin, l'image Les Abysses (visiteur
n°7) relate bien l'émotion rencontrée par ce visiteur
à l'intérieur de l'espace de l'environnement Trame.
93
Visiteur n°7 - Gabrielle :
« Les Abysses »
Lorsqu'elle a pénétré dans cet espace,
elle a essayé d'entrer en immersion dans l'oeuvre, mais a
été obligée de reculer comme si elle ne s'y sentait pas en
sécurité: elle l'a fait progressivement jusqu'au coin gauche
(côté fenêtre) en regardant au passage par la fenêtre,
de manière un peu perplexe.
« Y a un peu une idée de... d'enfermement...
d'enfermement pas complet, hein ! Euh... parce qu'on n'est pas dans une cage,
on n'est pas dans un quadrilatère fermé... Et voilà, j'ai
l'impression d'être au pied d'un mur de béton, et d'être
fragile et vulnérable: un peu perdue dans quelque chose que je
n'identifie pas. Ça peut être... je ne sais pas... cette oeuvre
moi, j'aurais pu l'intituler « Rien » ou bien « La peur ».
C'est-à-dire voilà, on est là... on n'avance pas, on ne
recule pas: une sensation d'écrasement de mon individu. Et en fait,
ça pourrait signifier... l'Univers, et avec tout ce que cela suppose de
notions parfaitement... des tas de choses que l'on ignore sur l'Univers, en
fait!
Y a plein de choses à découvrir que la
Science ignore, dont il faut nécessairement... Il y a une obligation
d'humilité et de questionnement, bah... voilà ! Je pars un petit
peu loin dans la métaphysique, parce que je ne retrouve rien de ce que
je connais...
Il n'y a pas de trace de vie, c'est tout à fait
abstrait, c'est abstrait et c'est vide, aussi ! J'ai l'impression qu'on peut le
regarder pendant des heures... de presque voir le mur d'en face reculer...
C'est, je ne sais pas... une certaine vastitude... Ce n'est pas cafardeux, ce
n'est pas triste... Il n'y a aucune réponse à mes questions,
aucune identification possible dans ce lieu. Si j'avais à l'intituler,
je dirais: « l'Individu et l'Infini», ou bien « L'Homme face
à l'Infini! »
|