3. Aller vers le « punctum »
Chez la sauterelle, l'exposition serait ici perçue
comme un divertissement plutôt que comme un objet culturel
sérieux: « l'espace n'étant pas ressenti comme
structuré d'une façon plutôt que d'une autre. La sauterelle
va alors capter sur cette surface plus ou moins amorphe comme si elle tendait
un pseudopode, les éléments de son propre
désir117. »
Chez Gabrielle, cette attirance ponctuelle a été
accentuée par une volonté de mise en contact directe avec
l'oeuvre. Selon moi, il s'agirait d'une modalité empirique liée
à la construction du sens.
Visiteur n° 7 -
Gabrielle:
Elle a regardé vers le haut du dessin, l'a
effleuré d'un doigt, et à nouveau a regardé vers le haut
du dessin.
117 Eliseo Veron., op.cit, p. 86.
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D'après Eliseo Veron et Martine Levasseur, la
sauterelle se livrerait à une appropriation purement subjective qui
semblerait être associée à une certaine image du Centre
d'art. Dans mon étude, Gabrielle s'est concentrée sur la
restitution subjective de son expérience en faisant appel à son
vécu (mode intime - mode privé : Roger Odin).
Visiteur n° 7 - Gabrielle:
« C'est pas gratuit si je parle de l'Australie !
»
« Bah... parce qu'il y a un... quelqu'un de ma famille
qui vient de faire un voyage en Australie »
« Mais c'est tout à fait subjectif, ce que j'ai
dit! »
« Je continue avec mon fantasme d'incendie dans la
nature... »
« Enfin, c'est tout à fait personnel... ce que je
dis! »
De plus, la présence des sauts, au cours de la
déambulation de la Sauterelle, viserait à chaque fois un
élément qui éveille sa curiosité, son souvenir et
sa mémoire: « L'espace semble être reconstitué au
rythme des pulsions.118 » J'ai perçu entre--autres,
chez Isabelle, une sorte d'attitude ludique face à l'expérience
de sa visite:
Visiteur n° 3 - Isabelle:
« Je ne sais pas pourquoi, mais ce palmier, ça
me fait penser à la crête d'un Iroquois, tu vois là... on
dirait sa tête, et là sur le dessus... les plumes de sa coiffe
»
« On dirait une tempête de sable qui aurait
enseveli ce paysage ! J'aime beaucoup la chaleur et le flouté de la
couleur, dans ce dessin ! »
Elle s'est arrêtée un instant pour regarder ce
dessin et s'est approchée de la couleur des phares de voitures.
Il est intéressant de constater que ce visiteur a
essayé de marcher sur le lino orange en ne sachant pas que cela
était interdit.
Elle m'a dit que cela lui faisait penser aux
méandres de la pensée: « ça me fait penser au
côté un peu compliqué du cerveau, à l'inconnu aussi.
»
Elle m'a demandé quelle était la technique
employée par l'artiste, car elle voulait savoir si l'oeuvre était
bien faite au cordeau de maçon.
En effet, c'est son attirance et sa reconnaissance de la
technique employée (qu'elle avait préalablement utilisée
pour tirer des traits sur des charpentes de toiture) qui ont stimulé
118 Eliseo Veron., op.cit, p. 87.
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Isabelle dans l'élaboration de la construction du sens
de l'environnement Trame. Elle a donc reproduit le geste technique de
ce souvenir en pinçant d'une main les lignes de manière
virtuelle. Il est intéressant de constater qu'à la suite de cette
reconnaissance, elle a pu engager une réflexion poétique autour
de sa perception de l'oeuvre à travers la sensation kinesthésique
de la vibration que j'avais moi--même expérimentée lors de
mon analyse de l'acte de création (Chapitre 1).
« Y a une sorte de vibration dans le dessin,
ça me fait penser à des ondes, à des ondes
cardiaques», m'a--t--elle dit en dessinant de la main un mouvement de haut
en bas reproduisant de façon gestuelle le schéma d'un
électrocardiogramme.
Ainsi, la stratégie de la sauterelle serait celle qui
nous apparaîtrait comme étant plus franchement en rupture avec
l'univers du discours culturel. Tel un voyage subjectif: « la sauterelle
désarticulerait la surface structurée où
s'étalerait le propos culturel proposé, pour ne retenir que les
quelques points avec lesquels elle se sentirait en
résonnance119. »
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