2. Une stratégie de plan
Ce qui apparaît comme spécifique à la
stratégie des papillons, c'est ce qu'on peut appeler le besoin de
plan : « le besoin d'avoir une vue d'ensemble leur permettant de
repérer ce qu'ils cherchent110.» J'ai
constaté la présence de la systématisation de ce type de
visionnement, chez ces visiteurs en quête d'une « vue d'ensemble
».
3. Une stratégie de « dézoom
»
Visiteur n° 2 - Laurence:
Elle a découvert tout d'abord le dessin
intitulé La voiture (série Tempête orange), et a
continué sa déambulation à reculons en 3 ou 4 pas pour
faire un Dézoom général sur l'intégralité de
la série.
Visiteur n° 6 - Kevin:
Il a fait ce geste plusieurs fois, puis il a pris du recul
et a refait le trajet en sens inverse pour rejoindre le 1er dessin
en regardant la succession des dessins (...). Il a reculé à
nouveau en se penchant légèrement en arrière et est
reparti dans le sens initial de sa marche pour rejoindre l'Espace 3.
Il a pris un certain recul et regardé le bas du
dispositif, puis il est revenu sur ses pas en sens inverse.
Ainsi, j'ai aussi analysé chez ces visiteur, la
présence de plusieurs « retours en arrière » qu'Eliseo
Veron appelle degré zéro de la visite. Cela pourrait
à mon avis correspondre à l'une des modalités gestuelles
de l'expression de ce besoin de plan dans le visionnement de l'oeuvre.
Or, d'après Jean--Claude Passeron et Emmanuel Pelder, cette
stratégie de retour en arrière signalerait: «
l'existence d'une sorte de code muséal (...) On peut conjecturer qu'est
intervenu ici un effet de disposition muséologique. Il pourrait aussi
bien s'agir d'un aspect spécifique de
l'effet-tableau111.»
Visiteur n° 2 - Laurence:
« Elle a continué à déambuler
dans l'espace d'exposition, en essayant de créer une jonction visuelle
entre les trois pans de mur. »
Visiteur n° 6 - Kevin:
« Situé au niveau du 9ème
dessin et il a regardé la série en enfilade selon un point de vue
très précis. » « Il s'est approché à
nouveau du 1er dessin pour prendre le même point de vue en
sens inverse. »
110 Ibid., p. 79.
111 Jean-Claude Passeron et Emmanuel Pelder op.cit., p.
108.
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« Il a pris à nouveau du recul en se
plaçant de telle sorte qu'il puisse embrasser tous les dessins d'un seul
coup d'oeil. »
Ainsi plus que vers un « effet-tableau », les visiteurs
se sont projetés dans ce qu'Eliseo Veron appelle la dimension «
photographique de l'art112», comme le
révèlent les fragments de leurs récits ci-dessous.
Visiteur n° 2 -
Laurence:
« Les tons, en fait, je ne sais pas si on a des
souvenirs en noir et blanc, ou en couleur ? »
« Celui-là en revanche, c'est comme si
j'étais au cinéma... Je sais pas pourquoi... c'est
peut-être le format. C'est comme un écran d'ordinateur!
»
Visiteur n° 6 - Kevin:
« D'accord. Ah, ouais (...) et
là-derrière,y a une photo (derrière le dessin) ?
»
« J'ai vraiment une impression de vieille photo...
d'anciennes photos, une espèce de vieux daguerréotype ou alors
une révélation de photo argentique : quand tu la passes dans les
bains, l'image apparaît petit à petit! »
« Ça fait vraiment impression photographique (la
série) avec cette tempête de sable. »
Notons l'importance de ce dernier fragment, qui met en
évidence la construction de la compréhension de l'oeuvre à
travers la production mentale d'un point de vue photographique par ce
visiteur:
« La vie est dans le sable... et en fait, quand on
prend l'avion au début, on voit un petit peu la ligne, la skyline, puis
au fur et à mesure qu'on s'envole, on voit ce nuage orange,
orangé-marron qui fait penser à celle-là. »
Ainsi, la négociation du Papillon serait marquée
par une stratégie spécifiquement orientée vers la
motivation à l'égard du thème de l'exposition. Dans le
cadre de ce critère d'intentionnalité, il sait ce qu'il est venu
chercher. La négociation correspondrait donc bien au niveau culturel
où l'exposant a défini son objet.
Selon Eliseo Veron, Le Papillon serait le visiteur qui
déploie le mieux la maîtrise de son rapport à la culture.
Son corps signifiant semblerait modelé par la figure de la
lecture proprement dite, c'est-à-dire du livre.
112Eliseo Veron et Martine Levasseur, op.cit., p.
77.
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