C) Analyse du visiteur n°6 : Kevin
Ce visiteur est un jeune homme de 28 ans, célibataire
et vivant en couple avec une Brésilienne à Grenoble. Il est
titulaire d'une licence en histoire de l'art et passionné par la
photographie, le dessin et l'expographie. Il pratique le yoga. Il est
actuellement magasinier, et gère son association de projets
interculturels qui lui a permis récemment de voyager dans le cadre d'une
exposition photographique au Cambodge.
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Le mercredi 30 janvier 2013
Durée de visite: 15 minutes
Temps passé devant les oeuvres : 12
minutes
Il commence sa visite en passant entre les deux piliers de
l'espace principal, pour rejoindre le milieu de la série
Tempête orange. Il s'arrête un court instant pour regarder
ce triptyque, puis il tourne la tête vers le dessin au fusain de
l'installation Océan Pacifique. Il se retourne à nouveau
en direction du dernier dessin de la série (La voiture). Sa
démarche est lente et tranquille.
Il avance dans le 1er couloir, tout en regardant la
série Castle Bravo. Il s'arrête, les mains dans les
poches, au niveau du 9ème dessin et balaye du regard la
série dans son intégralité, dans le sens inverse de sa
déambulation. Il fait ce geste plusieurs fois, puis il prend du recul et
refait le trajet en sens inverse pour rejoindre le 1er dessin en
regardant la succession des dessins (Annexe 68 p. 46) ; et il jette un coup
d'oeil vers le 9ème dessin. Il recule à nouveau en se
penchant légèrement en arrière, et repart dans le sens
initial de sa marche pour rejoindre l'Espace 3.
Sa marche est plus lente, il s'arrête à la
lisière de l'oeuvre dans cette zone infra--mince entre scène et
oeuvre (Annexe 69 p. 46), et regarde autour de lui. Il s'approche du mur droit
pour analyser de plus près le tracé des lignes, et regarde au
sommet de l'angle gauche de ce mur tout en dessinant du regard un cercle, du
haut en bas de l'oeuvre. Puis, il s'approche de l'angle droit. Il prend un
certain recul et regarde le bas du dispositif, puis revient sur ses pas en sens
inverse.
Il jette au passage un bref coup d'oeil sur la série
Castle Bravo et continue sa déambulation en direction de
l'installation Océan Pacifique. En contournant le pilier de
droite il regarde le lino, puis le dessin mural au fusain, et à nouveau
le sol orangé. Puis, il s'arrête juste devant le lino face
à l'oeuvre, à la lisière du lino et presque en
équilibre sur la pointe des pieds. Il prend du recul et s'avance vers
l'angle droit de l'installation, et il jette un coup d'oeil du haut en bas.
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Il regarde à nouveau le lino, puis le bas du dessin au
fusain, et avance en direction de Tempête orange en restant
à distance de la série (derrière le
2ème pilier de l'Espace).
Il regarde un court instant vers l'entrée du VOG, puis
s'approche de la série en longeant un à un les 3 dessins de ce
triptyque. Tout d'abord il s'approche de La voiture, en se
plaçant du côté de l'angle droit de ce dessin, presque
entre celui-ci et Le Monochrome, et promène son regard de
haut en bas.
Il fixe le liséré inférieur des dessins
de cette série, en regardant attentivement le mouvement infligé
au papier. Puis, il tourne la tête vers le Monochrome et Les
palmiers, en fixant un moment les traits constituant les dessins.
Interprétation - Récit de
visite
Quelques temps après, je lui demande quelles
impressions il a à cet instant de sa visite. « Hum... hum ! Mes
impressions ? » Il se retourne vers l'installation Océan
Pacifique, puis après un bref silence, je comprend qu'il est un peu
gêné par la présence de la caméra lorsqu'il prend la
parole. Je décide donc de baisser le focus de mon
téléphone portable, pour qu'il se sente plus à l'aise
(Annexe 70 p. 47).
Il soupire et me dit: « C'est très... savoir
ce qu'elle a voulu dire, c'est bien, mais... » Il se retourne vers la
série Tempête orange et me dit: « J'aime bien
les couleurs, ça me fait penser aux couleurs du Maghreb. Le lino, c'est
marrant comme support, c'est assez sympa. Parce que c'est du vinyle, ça
aussi ? » Demande-t-il en désignant la série
Tempête orange. Je lui réponds que c'est du crayon de
couleur. « Sur quoi ? Sur du papier ? (...) D'accord. Ah ouais (...)
et là-derrière, y a une photo (derrière le dessin)? (...)
Tout ça au crayon de couleur ! » fait-il, un peu
étonné.
Je comprends, à cet instant, qu'il souhaite avoir des
indications sur les différentes techniques employées. Je me
permets donc de lui expliquer chacune des techniques employées sur les
différentes oeuvres présentées : « Dis-donc, y a
vraiment de la matière, c'est cool ça ! » En regardant
à nouveau Les palmiers, il me dit: « Du coup,
ça fait des effets de vagues ! »
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Il avance en direction du Monochrome sans vraiment le
regarder, et s'arrête vers le 3ème dessin (La voiture) en
regardant de plus près, presque nez à nez avec l'oeuvre, la
couleur des phares de voitures; puis il prend du recul et regarde le haut du
dessin. Il traverse la série du regard dans le sens inverse, sourit de
manière un peu gênée et me dit à demi-mot:
« Je ne sais pas quoi te dire ! » (Annexe 71 p. 47)
Je lui demande alors ce à quoi cette série lui
fait penser: « Moi, honnêtement... ça fait très
tempête de sable, ces trois--là! Ça fait vraiment une
espèce de tempête de sable, c'est ça ! Comme dans un pays
sans doute maghrébin, avec le orange (l'orange). J'aime bien
son orange, c'est très sympa ! Mais ce n'est pas que du orange, en fait!
En fait, y a plusieurs couleurs. » Il se rapproche du Monochrome
presque nez à nez avec le dessin (Annexe 72 p. 48), et me dit
« Parce qu'il y a du jaune, du blanc et du noir! Elle a dû y
passer du temps, ouais (...) C'est du coloriage ! » me dit-il avec un
sourire amusé.
Puis, il repart en direction de la série Castle
Bravo et s'arrête au milieu cette dernière: «
Ça, c'est de la mine de plomb ? » Il se rapproche d'un des
dessins pour observer en détail les différents tracés
(Annexe 73 p. 48) : « C'est vraiment sympa, l'espèce de
dégradé! Surtout quand on est là ! » Il se situe
au niveau du 9ème dessin et regarde la série en
enfilade, selon un point de vue très précis (Annexe 74 p. 49). Il
s'approche à nouveau du 1er dessin pour avoir le même
point de vue en sens inverse, et dit: « J'ai vraiment une impression
de vieille photo... d'anciennes photos, une espèce de vieux
daguerréotype. Ou alors... une révélation de photo
argentique: quand tu la passes dans les bains, l'image apparaît petit
à petit ! » Il prend à nouveau du recul, en se
plaçant de telle sorte de pouvoir embrasser tous les dessins d'un seul
coup d'oeil (Annexe 75 p. 49). Puis il revient vers le 9ème
dessin, et avance dans le couloir pour rejoindre l'environnement
Trame.
Il avance cette fois-ci directement à
l'intérieur de l'oeuvre, et prend du recul: « Et là,
ça fait des lignes ! » remarque-t-il en souriant.
Il s'approche du mur de droite en regardant de près la
ligne la plus sombre du dispositif (Annexe 76 p. 50). « Ouais, quand
tu sais que c'est fait à la graphite, (au graphite), ça
me fait penser aux mines de crayons B et HB : plus ou moins
grasses que d'autres, donc qui font plus de... qui s'étalent plus! C'est
marrant... Là, y a du 8 H et là, du 8 B » me dit-il en
sélectionnant du doigt des lignes dans l'environnement.
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Il regarde à nouveau en haut et en bas, prend du recul
et dit: « Après, est-ce que c'est de la déco ? Ou est-ce
que c'est... Je suis sceptique par rapport à ça ! » Il
prit du recul en ressortant progressivement de cette immersion et dit:
« J'ai pas forcément de ressenti, tu vois... des lignes
verticales... Je ne sais pas si y a une espèce de déformation de
l'espace ! » Il regarde le sommet de l'oeuvre, (Tempête
orange), et repart dans l'autre sens.
Il retourne vers l'installation Océan Pacifique
et se place à nouveau à l'angle gauche de l'oeuvre (Annexe
77 p. 50) : « C'est sympa aussi, c'est dommage qu'on ne puisse pas
marcher sur le lino. Je pense que la réaction, quand tu peux marcher sur
l'oeuvre... change! Et tu entres directement en interaction avec l'oeuvre.
Surtout quand elle est au sol comme ça ! Celle-là
(l'oeuvre), elle appelle à marcher dessus ! » Je lui
explique pourquoi Lina (l'artiste) avait conçu cette « masse
colorée » comme une zone interdite à la déambulation,
propice à la réflexion de la lumière orangée sur le
dessin mural au fusain. « D'accord, ça fait une masse orange.
Ça peut être un espace pas mal pour la méditation, parce
que c'est assez reposant comme image. Le orange, c'est quelque chose qui est
vachement expressif dans les couleurs chaudes: c'est la joie, c'est pas mal de
choses... C'est le soleil aussi... Après, bah ! » Il se
retourne vers la série Tempête orange: « dans les
chakras, je crois que ça se situe au niveau du ventre, je crois! Annexe
78 p. 51) C'est tout ce qui est dé-stress. Après, je ne suis pas
assez calé par rapport aux zones des chakras... J'adore les couleurs! En
fait, c'est du coloriage... En fait, lorsque tu sais que ça a
réellement été fait à la main, ça donne une
autre idée ! Bon, le seul qui dévie un peu, là-bas, c'est
celui avec les voitures. Ça fait vraiment impression photographique
(la série), avec cette tempête de sable... »
Il décide d'aller prendre le fasicule d'explication. En
lisant le titre de l'exposition : « C'est sûr que la
poussière... est bien représentée ! »
Il lit pendant quelques instants la page de
présentation de l'exposition et feuilleta les 4 premières pages
en jetant un regard vers Océan Pacifique: « il est sympa ce
catalogue, il est vraiment sympa... Il est simple, il est pas trop... Il est
pas plein de texte!
C'est vraiment agréable! Après... dedans,
ils parlent de destruction et du nucléaire... Y a des choses
éparpillées, des choses qui se... Comment on dit? Une
déflagration justement, qui ruine le paysage. Ça c'est vrai, je
ne l'ai pas vue tout de suite... Quand on le sait, dans la démarche
ça marche aussi, c'est pas mal ! »
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Je lui explique que la série Tempête orange
a été réalisée à partir de
photographies d'une tempête de sable prises à Ryad en Arabie, en
2009. Il me répond: « J'ai pris l'avion quand je suis
allé au Cambodge et j'ai fait pas mal d'escales, dont une à Doya.
Et en partant de Doya, on voit cette espèce de grosse... fin
(enfin), c'est dans le sable, en fait. La vie est dans le sable... et
en fait, quand on prend l'avion, au début on voit un petit peu la ligne,
la skyline, puis au fur et à mesure qu'on s'envole (Annexe 79 p.
51), on voit ce nuage orange, orangé-marron qui fait penser à
celle-là. Bon, c'est moins inquiétant. Mais c'est vraiment
ça aussi ! » Il avance et dit: « C'est marrant, le
seul petit point de vue », en parlant du 3ème
dessin (Le Monochrome).
Je lui demande si ce dessin l'intrigue: « Du coup
oui, parce qu'il est figuratif... enfin, on reconnaît les choses, donc il
appelle plus... Il met l'Homme en scène plus que les autres ! »
Je lui demande ensuite de préciser quelque peu le contexte de
naissance de son souvenir de Doya sous le sable: « En fait, quand on
décolle, du coup on voit la ville, petit à petit on ne la voit
plus quand t'es en hauteur. On voit plus rien, parce que justement, tout est
noyé dans le sable ! » Puis je finis mon analyse en lui
demandant si parmi ses photographies, il n'a pas une photo aérienne de
la ville de Doya.
A la fin de la visite, il choisit 5 images:
1) La première, « Sable », lui
fait penser à l'atmosphère générale de
l'exposition.
2) La seconde, « Pompidou -
Fassbinder », lui fait penser au dispositif de mise en
scène de l'image de la série Castle Bravo.
3) La troisième, « Doya », lui
rappelle la série Tempête orange.
4) La quatrième, « La terre est bleue comme
une orange », lui fait penser à l'espace de
méditation s'inspirant de l'installation Océan
Pacifique.
5) La cinquième, « Mandala »,
lui fait penser à travers la symbolique de la couleur orange, aux divers
remplissages de couleur correspondant à des espaces de
méditation.
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