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Les types de médiations de l'œuvre révélés par la gestualisation du corps-signifiant du visiteur. Pour une ethnographie de l'expérience de visite

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par Audrey PEREZ
Université Pierre Mendès France, Grenoble II  - Master 2 recherche en médiation, art et culture 2012
  

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B) Analyse du visiteur n°4 : Gilles

Ce visiteur est un homme d'une cinquantaine d'années, originaire de Bretagne. Il travaille en Ardèche comme cadre dans les équipements sportifs de montagne, notamment pour le ski, et vit au Bourget-du-Lac. Il est divorcé et père d'une petite fille, et sa compagne est le visiteur n°3 (Isabelle). Il n'a pas l'habitude de visiter des centres d'art et ne fréquente jamais d'autres types d'institutions culturelles. Il pratique le sport, la moto, et il aime les jeux de logique et la lecture.

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Le samedi 26 janvier 2013

Durée de visite : 8 minutes

Temps passé devant les oeuvres : 8 minutes

Il commence sa visite en jetant un coup d'oeil de haut en bas sur la série Tempête orange et se dirige vers le dessin mural Océan Pacifique (que nous considérons davantage comme un dispositif d'installation, du fait de la présence au sol du lino orange). A mi--parcours, il prend du recul pour regarder le triptyque (Tempête orange) dans son intégralité (Annexe 54 p. 39). Sa démarche est posée, les mains dans les poches et le regard scrutateur. Puis, il recule jusqu'à atteindre la bordure du lino orange, tout en continuant à regarder cette série.

Il s'arrête fixement face à La voiture et refait son trajet à distance de la série dans le sens inverse, en regardant la série au fur et à mesure de sa marche (Annexe 55 p. 39). Il regarde à nouveau Les palmiers, et sa distance par rapport à l'oeuvre est assez importante: il se situe au niveau du premier pilier de l'espace principal (Annexe 56 p. 40). Puis, il repart dans l'autre sens pour rejoindre Océan Pacifique.

Il avance jusqu'à l'angle gauche du lino orange et fixe du regard le dessin au fusain (Annexe 57 p. 40). Puis, il contourne ce dispositif par l'extérieur et jette un nouveau un coup d'oeil sur le dernier dessin de la série Tempête orange (La voiture).

Il atteint directement la série Castle Bravo, et en passant devant la succession des différents dessins, son regard se fait plus lent et progressif. Il s'arrête au niveau du 7ème dessin, à distance de la série et presque au fond de l'Espace n°2 (Annexe 58 p. 41).

Puis, il balaye plusieurs fois la série du regard et continue sa déambulation, en regardant très brièvement par la fenêtre de l'Espace n°2. Il va directement dans l'Espace n°3 de l'environnement Trame, en baissant un peu la tête dans le couloir du fait de sa grande taille.

Il s'arrête directement vers la fenêtre, en jetant un coup d'oeil au passage. Il s'asseoit sur le rebord de cette fenêtre, en croisant les mains et les jambes (Annexe 59 p.41). Il regarde l'oeuvre de haut en bas, de gauche à droite puis de bas en haut.

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Interprétation - Récit de visite

Je lui demande à quoi cet espace lui fait penser : « Pour l'instant, j'arrive pas... autant la première là-bas, je trouve qu'il y a un côté reposant, le premier grand qui ressemble un peu à ça ! La grande, centrale, avec un lino orange devant. Ça peut-être un mélange de sable, de nuages ou de brouillard, ça a un côté reposant, apaisant. Là, je n'arrive pas, je sais pas, c'est non définissable ! J'ai pas de... non, y a rien qui me fait penser à quelque chose. Y a rien qui se dégage de précis. Autant la première, ouais... là-bas (Océan Pacifique), oui très belle, très agréable... Là, je suis un peu... peu importe... On va déjà aller voir les autres. » Nous faisons marche arrière, et sa marche est alors plus rapide.

Il s'arrête sur le 7ème dessin de la série Castle Bravo : « Ben, il peut y avoir plusieurs lectures. Je dirais... de droite à gauche, ça fait carrément penser à un nuage atomique, ouais, qui vient souffler... » Ainsi me décrit-il la série, en balayant de la main... (Annexe 60 p. 42) « ... les palmiers, swchitt ! Rasez tout çà pour faire disparaître tout le truc! On démarre de là... » dit-il en pointant l'index vers le premier dessin: « Jusqu'à... jusqu'à la disparition totale ! Vraiment, la première impression, c'est ça ! C'est vraiment le balayage suite à un champignon atomique, au souffle... qui réduit tout ça ! Je disais qu'il y avait deux lectures possibles... en fait, non!

Yen a qu'une comme ça... » dit-il, en me montrant le trajet de sa lecture du bout des doigts. « C'est étonnant, parce que t'en as un qui est beaucoup plus jaune que les autres. Est-ce que c'est vraiment volontaire... ou pas ? » Je lui explique que c'est une erreur de papier et il me répond: « Arff ! C'est ce que je me suis dit, je ne comprenais pas pourquoi il y avait des différences de nuance ! » « Non mais vraiment... ça, la plage de palmiers, puis wwoufff ! Fuuuttt ! et... plus rien!»

Il avance en direction de l'Espace n°1 et se retourne vers moi : « L'autre là-bas, la pièce du fond, je suis vraiment... » me dit-il en se pinçant les lèvres et en secouant sa tête de droite à gauche, comme pour dire non de façon gestuelle (Annexe 61 p. 42) : « J'arrive pas à voir quelque chose de... » me dit-il en retournant sur ses pas pour essayer de revivre l'expérience de l'environnement Trame. Dès qu'il entre à nouveau, il se frappe la cuisse pour affirmer qu'il n'arrive pas à comprendre, à connaître la signification que cette oeuvre lui procure: « Nan, c'est... Sans toucher, je peux me rapprocher?»

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Je lui fais comprendre qu'il peut. Il se rapproche du mur de droite, les mains dans les poches et la tête légèrement inclinée vers l'avant, le regard fixe et les sourcils froncés (Annexe 62 p. 43).

Il balance ensuite sa tête en arrière pour faire progresser sa vision jusqu'en-haut du dispositif (Annexe 63 p. 43). Puis, il fixe du regard la ligne la plus foncée au milieu de l'oeuvre ; et il balaye du regard la moitié de ce pan de mur en diagonale pour rejoindre (du regard) l'extrémité gauche de ce mur. Il continue sa progression vers le mur du centre, en considérant le milieu de l'oeuvre et en longeant les murs. Puis, il regarde en arrivant près de l'extrémité droite du mur de gauche, et finit son trajet comme s'il venait de suivre approximativement une trajectoire circulaire à l'intérieur de l'environnement: « Je vais être très cru... c'est du papier, quoi! Ouais... nan, ça ne m'inspire pas du tout, du tout... du tout! » (Annexe 64 p. 44). Il ressort du couloir et regarde au passage la série Castle Bravo, en revalidant sa première impression: « J'ai pas de deuxième lecture, je suis arrivé tout en enfilade, j'ai tout de suite vu... tac... tac... tac... » me montre-t-il en balayant de la main les dessins de la série... « Les successions d'images qui font disparaître... ouais, ce que je considère comme des palmiers, des arbres et... » (Annexe 65 p. 44)

Il se met à rire, de façon un peu ironique ou bien cynique... (Annexe 66 p. 45) « ... Le souffle atomique qui balaye tout ça ! » me dit-il en continuant d'avancer vers l'installation Océan Pacifique et en jetant un coup d'oeil au passage sur la série Tempête orange.

Il se place vers le milieu de l'oeuvre, et me dit: « J'y vois beaucoup de choses... le reflet de la mer, les nuages, le sable. C'est calme, c'est reposant, c'est sympa ! » Il se retourne en direction de la série Tempête orange en disant: « Là, bon... » (il se met à inspirer)... « ... Ca pourrait être une tempête de sable orange en Australie, ça m'inspire moins... »

Pour clore cet entretien, je lui demande quelles oeuvres l'avaient le plus, et ensuite le moins attiré pendant sa visite. Je lui demande à la lueur de ses réactions, si effectivement d'après ce que j'avais pu voir et comprendre, si celle du fond était celle qui l'avait le moins attiré; et si l'oeuvre du début de son parcours était celle qu'il avait le plus appréciée. Il confirme mes hypothèses et me dit que « Oui, c'est celle que j'ai le plus appréciée, mais aussi la série des petits... (Castle Bravo) ».

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Il se retourne vers la série Tempête orange: « là... nan, ouais non... non, j'arrive pas... » Il se gratte le nez... « Suivant la teinte, le fait que les phares soient allumés, mais voilà... Tempête de sable australienne, mais y a des voitures, donc ce n'est pas dans le désert! Par contre, ça (Océan Pacifique) c'est joli, ouais... ça peut--être plein d'éléments différents: aussi bien du sable que le mouvement de l'eau, un temps de brouillard... » Il se met à sourire. (Annexe 67 p. 45) «... Ca oui, ça c'est très joli. Par contre, le lien avec ça ? (le lino orange) Je ne sais pas, mais bon... » Je lui explique pourquoi l'artiste a décidé de placer ce lino devant son dessin au fusain. Et qu'il est situé devant le dessin pour pouvoir se refléter, les jours de beau temps, à l'intérieur du dessin au fusain. Cependant, il ne peut pas en effet le constater de façon flagrante, étant donné le manque de luminosité à l'extérieur ce jour--là: « On le voit vaguement en bas! Effectivement, ouais... donc ça donne une autre dimension, une autre vision différente, ouais... là alors, là d'accord... parce que tel qu'il est là, on ne voit pas... Okay ! »

A la fin de sa visite, il choisit 4 images

1) La première, « Bikini nucléaire », lui fait penser à la série Castle Bravo et au mouvement de propagation de l'onde de choc d'une bombe atomique dans un paysage insulaire.

2) La seconde image, « Mer de brouillard », lui fait penser à l'abstraction d'une côte dans le brouillard.

3) La troisième, « Tempête de sable à Sydney », lui fait penser à la série Tempête orange.

4) Il finit par une quatrième image des plus surprenantes, « Prison », représentant les barreaux d'une prison qui pour lui, reflètent le sentiment de son incapacité à percer l'environnement Trame.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe