B) Analyse du visiteur n°4 : Gilles
Ce visiteur est un homme d'une cinquantaine d'années,
originaire de Bretagne. Il travaille en Ardèche comme cadre dans les
équipements sportifs de montagne, notamment pour le ski, et vit au
Bourget-du-Lac. Il est divorcé et père d'une petite fille, et sa
compagne est le visiteur n°3 (Isabelle). Il n'a pas l'habitude de visiter
des centres d'art et ne fréquente jamais d'autres types d'institutions
culturelles. Il pratique le sport, la moto, et il aime les jeux de logique et
la lecture.
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Le samedi 26 janvier 2013
Durée de visite : 8 minutes
Temps passé devant les oeuvres : 8
minutes
Il commence sa visite en jetant un coup d'oeil de haut en bas
sur la série Tempête orange et se dirige vers le dessin
mural Océan Pacifique (que nous considérons davantage
comme un dispositif d'installation, du fait de la présence au sol du
lino orange). A mi--parcours, il prend du recul pour regarder le triptyque
(Tempête orange) dans son intégralité (Annexe 54
p. 39). Sa démarche est posée, les mains dans les poches et le
regard scrutateur. Puis, il recule jusqu'à atteindre la bordure du lino
orange, tout en continuant à regarder cette série.
Il s'arrête fixement face à La voiture
et refait son trajet à distance de la série dans le sens
inverse, en regardant la série au fur et à mesure de sa marche
(Annexe 55 p. 39). Il regarde à nouveau Les palmiers, et sa
distance par rapport à l'oeuvre est assez importante: il se situe au
niveau du premier pilier de l'espace principal (Annexe 56 p. 40). Puis, il
repart dans l'autre sens pour rejoindre Océan Pacifique.
Il avance jusqu'à l'angle gauche du lino orange et fixe
du regard le dessin au fusain (Annexe 57 p. 40). Puis, il contourne ce
dispositif par l'extérieur et jette un nouveau un coup d'oeil sur le
dernier dessin de la série Tempête orange (La
voiture).
Il atteint directement la série Castle Bravo,
et en passant devant la succession des différents dessins, son
regard se fait plus lent et progressif. Il s'arrête au niveau du
7ème dessin, à distance de la série et presque
au fond de l'Espace n°2 (Annexe 58 p. 41).
Puis, il balaye plusieurs fois la série du regard et
continue sa déambulation, en regardant très brièvement par
la fenêtre de l'Espace n°2. Il va directement dans l'Espace n°3
de l'environnement Trame, en baissant un peu la tête dans le
couloir du fait de sa grande taille.
Il s'arrête directement vers la fenêtre, en jetant
un coup d'oeil au passage. Il s'asseoit sur le rebord de cette fenêtre,
en croisant les mains et les jambes (Annexe 59 p.41). Il regarde l'oeuvre de
haut en bas, de gauche à droite puis de bas en haut.
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Interprétation - Récit de
visite
Je lui demande à quoi cet espace lui fait penser :
« Pour l'instant, j'arrive pas... autant la première
là-bas, je trouve qu'il y a un côté reposant, le premier
grand qui ressemble un peu à ça ! La grande, centrale, avec un
lino orange devant. Ça peut-être un mélange de sable, de
nuages ou de brouillard, ça a un côté reposant, apaisant.
Là, je n'arrive pas, je sais pas, c'est non définissable ! J'ai
pas de... non, y a rien qui me fait penser à quelque chose. Y a rien qui
se dégage de précis. Autant la première, ouais...
là-bas (Océan Pacifique), oui très belle,
très agréable... Là, je suis un peu... peu importe... On
va déjà aller voir les autres. » Nous faisons marche
arrière, et sa marche est alors plus rapide.
Il s'arrête sur le 7ème
dessin de la série Castle Bravo : « Ben, il peut y avoir
plusieurs lectures. Je dirais... de droite à gauche, ça fait
carrément penser à un nuage atomique, ouais, qui vient
souffler... » Ainsi me décrit-il la série, en balayant
de la main... (Annexe 60 p. 42) « ... les palmiers, swchitt ! Rasez
tout çà pour faire disparaître tout le truc! On
démarre de là... » dit-il en pointant l'index vers le
premier dessin: « Jusqu'à... jusqu'à la disparition
totale ! Vraiment, la première impression, c'est ça ! C'est
vraiment le balayage suite à un champignon atomique, au souffle... qui
réduit tout ça ! Je disais qu'il y avait deux lectures
possibles... en fait, non!
Yen a qu'une comme ça... » dit-il, en me
montrant le trajet de sa lecture du bout des doigts. « C'est
étonnant, parce que t'en as un qui est beaucoup plus jaune que les
autres. Est-ce que c'est vraiment volontaire... ou pas ? » Je lui
explique que c'est une erreur de papier et il me répond: « Arff
! C'est ce que je me suis dit, je ne comprenais pas pourquoi il y avait des
différences de nuance ! » « Non mais vraiment... ça, la
plage de palmiers, puis wwoufff ! Fuuuttt ! et... plus rien!»
Il avance en direction de l'Espace n°1 et se retourne
vers moi : « L'autre là-bas, la pièce du fond, je suis
vraiment... » me dit-il en se pinçant les lèvres et en
secouant sa tête de droite à gauche, comme pour dire non de
façon gestuelle (Annexe 61 p. 42) : « J'arrive pas à
voir quelque chose de... » me dit-il en retournant sur ses pas pour
essayer de revivre l'expérience de l'environnement Trame.
Dès qu'il entre à nouveau, il se frappe la cuisse pour
affirmer qu'il n'arrive pas à comprendre, à connaître la
signification que cette oeuvre lui procure: « Nan, c'est... Sans
toucher, je peux me rapprocher?»
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Je lui fais comprendre qu'il peut. Il se rapproche du mur de
droite, les mains dans les poches et la tête légèrement
inclinée vers l'avant, le regard fixe et les sourcils froncés
(Annexe 62 p. 43).
Il balance ensuite sa tête en arrière pour faire
progresser sa vision jusqu'en-haut du dispositif (Annexe 63 p. 43). Puis, il
fixe du regard la ligne la plus foncée au milieu de l'oeuvre ; et il
balaye du regard la moitié de ce pan de mur en diagonale pour rejoindre
(du regard) l'extrémité gauche de ce mur. Il continue sa
progression vers le mur du centre, en considérant le milieu de l'oeuvre
et en longeant les murs. Puis, il regarde en arrivant près de
l'extrémité droite du mur de gauche, et finit son trajet
comme s'il venait de suivre approximativement une trajectoire circulaire
à l'intérieur de l'environnement: « Je vais être
très cru... c'est du papier, quoi! Ouais... nan, ça ne m'inspire
pas du tout, du tout... du tout! » (Annexe 64 p. 44). Il
ressort du couloir et regarde au passage la série Castle Bravo,
en revalidant sa première impression: « J'ai pas de
deuxième lecture, je suis arrivé tout en enfilade, j'ai tout de
suite vu... tac... tac... tac... » me montre-t-il en balayant de la
main les dessins de la série... « Les successions d'images qui
font disparaître... ouais, ce que je considère comme des palmiers,
des arbres et... » (Annexe 65 p. 44)
Il se met à rire, de façon un peu ironique ou
bien cynique... (Annexe 66 p. 45) « ... Le souffle atomique qui balaye
tout ça ! » me dit-il en continuant d'avancer vers l'installation
Océan Pacifique et en jetant un coup d'oeil au passage sur la
série Tempête orange.
Il se place vers le milieu de l'oeuvre, et me dit: «
J'y vois beaucoup de choses... le reflet de la mer, les nuages, le sable. C'est
calme, c'est reposant, c'est sympa ! » Il se retourne en direction de
la série Tempête orange en disant: « Là,
bon... » (il se met à inspirer)... « ... Ca pourrait
être une tempête de sable orange en Australie, ça m'inspire
moins... »
Pour clore cet entretien, je lui demande quelles oeuvres
l'avaient le plus, et ensuite le moins attiré pendant sa visite. Je lui
demande à la lueur de ses réactions, si effectivement
d'après ce que j'avais pu voir et comprendre, si celle du fond
était celle qui l'avait le moins attiré; et si l'oeuvre du
début de son parcours était celle qu'il avait le plus
appréciée. Il confirme mes hypothèses et me dit que
« Oui, c'est celle que j'ai le plus appréciée, mais
aussi la série des petits... (Castle Bravo) ».
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Il se retourne vers la série Tempête
orange: « là... nan, ouais non... non, j'arrive pas...
» Il se gratte le nez... « Suivant la teinte, le fait que
les phares soient allumés, mais voilà... Tempête de sable
australienne, mais y a des voitures, donc ce n'est pas dans le désert!
Par contre, ça (Océan Pacifique) c'est joli, ouais...
ça peut--être plein d'éléments différents:
aussi bien du sable que le mouvement de l'eau, un temps de brouillard... »
Il se met à sourire. (Annexe 67 p. 45) «... Ca oui,
ça c'est très joli. Par contre, le lien avec ça ? (le
lino orange) Je ne sais pas, mais bon... » Je lui explique
pourquoi l'artiste a décidé de placer ce lino devant son dessin
au fusain. Et qu'il est situé devant le dessin pour pouvoir se
refléter, les jours de beau temps, à l'intérieur du dessin
au fusain. Cependant, il ne peut pas en effet le constater de façon
flagrante, étant donné le manque de luminosité à
l'extérieur ce jour--là: « On le voit vaguement en bas!
Effectivement, ouais... donc ça donne une autre dimension, une autre
vision différente, ouais... là alors, là d'accord... parce
que tel qu'il est là, on ne voit pas... Okay ! »
A la fin de sa visite, il choisit 4 images
1) La première, « Bikini nucléaire
», lui fait penser à la série Castle Bravo et au
mouvement de propagation de l'onde de choc d'une bombe atomique dans un paysage
insulaire.
2) La seconde image, « Mer de brouillard
», lui fait penser à l'abstraction d'une côte dans
le brouillard.
3) La troisième, « Tempête de sable
à Sydney », lui fait penser à la série
Tempête orange.
4) Il finit par une quatrième image des plus
surprenantes, « Prison », représentant les
barreaux d'une prison qui pour lui, reflètent le sentiment de son
incapacité à percer l'environnement Trame.
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