2.5 Complété d'un corps pour une
valuation
2.5.1 Corps normés
Définition 2.5.1. Soit K un corps. Une norme
sur K est une application x 7? |x| de K dans R+
vérifiant les trois propriétés
suivantes:
(i) |x| = 0 ? x = 0
;
(ii) |xy| =
|x||y|;
(iii) |x+ y| =
|x|+|y|.
Une norme sur K est dite non-archimédienne ou
ultramétrique si l'on peut remplacer la troisième condition par
la condition plus forte
(iii') |x + y| =
max(|x|,|y|).
·.
Proposition 2.5.1. -- Si | | est une norme
sur un corps K , alors les conditions suivantes sont
équivalentes:
(i) | | est ultramétrique;
(ii) | | est bornée sur l'image de Z
dans K ;
(iii) |x| = 1 quel que soit x ? Z
. ·
2.5. COMPLÉTÉ D'UN CORPS POUR UNE
VALUATION
Démonstration. -- On a (i) -
(iii) - (ii) de manière évidente; il suffit
donc de prouver que (ii) - (i) . Si on suppose que
|m| < M quel que soit m E Z et si
x, y E K et n E N,
alors
|x+ y|n =
|(x+ y)n| =
|
~~~~~~~
|
Xn i=0
|
Cinxiyn-i
|
~~~~~~~
|
< (n+
1)Msup(|x|,|y|n
.
|
27 A.Belkhadir
On en déduit le résultat en prenant la
racine nime des deux membres et en passant
à
la limite.
Corollaire 2.5.1. -- Si K est un corps de
caractéristique p , alors toute norme sur K est ultramétrique.
·
Si K est un corps muni d'une norme | |, et
x, y E K , on pose
d(x, y) = |x - y|
, les propriétés (i) et (iii) des normes assurent que d
est une distance sur K et donc définit une topologie sur
K .
Lemme 2.5.1. -- Si I I est
ultramétrique et |x| |y| ,
alors |x + y| =
sup(|x|,|y| .
·
Démonstration. -- Quitte à
permuter x et y , on peut supposer |x| >
|y| . On alors
|x+ y| < |x| = |(x
+ y) - y| < sup(|x +
y|,|y|
de la deuxième inégalité on
déduit que sup(|x + y|,|y| =
|x + y| (sinon on aurait |y| >-
|x|), d'où |x + y| =
|x| = sup(|x|,|y| .
EXEMPLES -- (i) On peut munir n'importe quel
corps K de la norme triviale définie par |x| = 1 si
x 0 . La topologie associée est alors la topologie
discrète sur K .
(ii) Norme induite.-- Si K est un
sous-corps d'un corps normé L, on peut munir K de la
norme obtenue par restricion de celle sur L .
(iii) Normes sur Q . -- Comme Q est un sous-corps de
C, on peut le munir de la norme | |oo usuelle. Par ailleurs, si p est
un nombre premier, on peut munir Q de la norme p-adique | |p
définie par Ip =
pvp(b)-vp(a) , où, si n E Z
{0} , vp(n) est le plus grand entier v
tel que pv divise n (autrement dit, c'est
l'exposant de p dans la décomposition de n en produit
de facteurs premiers). La norme | |p est clairement
multiplicative et
28 A.Belkhadir
2.5. COMPLÉTÉ D'UN CORPS POUR UNE
VALUATION
vérifie l'inégalité
ultramétrique car |z| < 1 pour tout z E Z et la
condition (iii) de la proposition 2.5.1 permet de conclure.
Le résultat suivant est une conséquence
immédiate de l'unicité de la décomposition d'un entier en
produit de facteurs premiers.
Théorème 2.5.1(Formule du produit). --
Si x E Q* alors
Y|x|oe.
|x|p = 1.
p premier
Si K est un corps normé, on note
K l'ensemble des suites de Cauchy à valeurs dans
K . Soit I c K l'ensemble des suites convergentes
vers 0.
Lemme 2.5.2. -- (i) Si
(an)nEN E K, alors la
suite de terme général |an| converge
dans R+.
(ii) Si on suppose de plus que
| | est ultramétrique et que a
I , alors la suite de terme général
|an| est constante à partir d'un certain
rang.
(iii) Si a = (an)nEN
et b = (bn)nEN sont deux éléments
de K différant
par un élément de I ,
alors lim
n?+oe
|
|an| = lim
n?+oe
|
|bn|.
|
Démonstration. --
L'inégalité triangulaire implique que l'on a
||an+1|-|an|| < |an+p
-an| quels que soient n et p, et
donc que la suite de terme général |an| est
de Cauchy. On en déduit le (i).
D'autre part, si a =
(an)nEN E K I, il existe b > 0
tel que ait |an| >_ b pour une
infinité de n et la limite de la suite |an| est donc
supérieure où égale à b . Il
existe donc N E N tel que si n >_ N , alors
|an| >
23b et
|an+1-an| < 2b quel que
soit p EN . Ceci implique |an+1 - an|
< |an| et donc, comme | | est
supposé ultramétrique, |an+p| =
|an| quel que soit p E N ; d'où le
(ii).
On a
||an|-|bn|| < |an
-bn| et l'hypothèse implique que cette
dernière suite tend vers
0, d'où le (iii).
Lemme 2.5.3. -- K est un anneau et I
est un idéal maximal de K .
·
29 A.Belkhadir
2.5. COMPLÉTÉ D'UN CORPS POUR UNE
VALUATION
Démonstration. -- Le fait que
K est un anneau et I un idéal est immédiat.
L'élément unité de Kest la suite
constante 1 dont tous les termes sont égaux à 1. Si a =
(an)n?N ? K rI, d'après ce qui
précède, il existe ô > 0 et
N ? N tels que l'on ait |an| =
ô si n = N . La suite a
= (an)n?N définie par bn = 0
si n < N et bn
= a-1 n si n = N est de Cauchy
et ab-1 est un élément de I, ce qui montre que a
est inversible dans K/I et
permet de
conclure au fait que I est maximal. ~
Il résulte du lemme précédent
queKà = K/I est
un corps.
Nous allons identifier tout a ? K
avec la classe de la suite
{a,a,a,...}
? Kà et écrire K ? Kàainsi que
a au lieu de
{a,a,a,...}.
De plus on étend la norme | | à Kàen
écrivant
|a| = lim
n?8
|
|an|. Cette limite existe et unique
d'après le lemme 2.5.2.
|
Proposition 2.5.2. -- ||
est une norme sur Kà , et
Kà est complet pour cette norme et
contient K comme sous-corps dense.
Démonstration. -- La
multiplicativité de la norme et l'inégalité triangulaire
(resp. ultramétrique) passent à la limite. D'autre part,
|a| = 0 ? lim
|an| = 0 ? a ?
I,
n?8
donc | | est une norme sur Kà
qui est ultramétrique si | | l'est sur K .
Maintenant, si a = (an)n?N ?
Kà, alors |a - an| = sup
|an+p - an| tend vers 0 quand
n
p=1
tend vers +8 puisqe la suite a =
(an)n?N est de Cauchy. On a donc a = lim
n?+8
|
an dans
|
K àet donc que K est dense dans
Kà.
Finalement, si a = (an)n?N
est une suite de Cauchy dans Kà , comme K
est dense dans Kà, on peut trouver pour chaque n
un élément bn de K tel que l'on
ait |an - bn| = 2-n
et la suite bn est de Cauchy dans K
donc converge dans Kà vers une limite qui est
aussi
celle de la suite (an)n?N ; ce qui
prouve que Kà est complet. ci
Définition 2.5.2. -- Le corps
Kà (muni de la norme |
|) s'appelle le complété de K pour la norme
| |.
Proposition 2.5.3. -- Soit K un corps normé
complet et V un espace vectoriel de dimension finie sur K , alors toute les
normes sur V (compatibles avec la norme sur K , i.e. Vérifiant
||Ax|| =
|A|.||x|| si
A ? K et x ? V) sont
équivalentes et V est complet pour n'importe laquelle d'entrre
elles.
30 A.Belkhadir
2.5. COMPLÉTÉ D'UN CORPS POUR UNE
VALUATION
Démonstration. -- Il suffit de prouver
qu'elles sont toutes équivalentes à la norme du sup., ce qui se
fait par récurrence sur la dimension de V . Si cette dimension
est 1, il n'y a rien à faire. Sinon, soit
(e1,e2,...,en)
une base de V ; on a :
||x1e1 +x2e2
+...+xnen|| =
(||e1||+...+||en||)sup(|x1|,...,|xn|),
d'où l'une des deux inégalités
à vérifier. Pour démontrer l'autre, raisonons par
l'absurde, supposons qu'il existe une suite ||x(k) 1
e1||+...+||x(k)
n en|| qui tende vers 0
pour
la norme || || mais pas pour la norme du sup. Il existe
alors C > 0, i ?
{1,2,..,n} et une sous-suite infinie
telle que l'on ait |x(k)
i | = C et donc la suite de terme
général
vk =
x(k)
nx(k) en tende vers
0 pour || ||. On en déduit le fait que ei est dans
i
x(k)
1
x(k) e1 + ...
+
i
l'adhérence de W =
Vect(e1,...,ei-1,ei+1,...,en)
qui est complet d'après l'hypothèse de récurrence, ce qui
implique ei ? W et est absurde puisque les ei
forment une base de
V .
2.5.2 Normes ultramétriques et
valuations
Si K est un corps muni d'une norme
ultramétrique | | et si A < 0, alors v :
K ? IR+ ? {+8} définie par
v(x) = Alog|x| est une valuation
sur K .
Réciproquement, si v est une valuation
sur K et 0 < a < 1 ,
alors |x| = av(x) est une norme ultramétrique
sur K .
Il est équivalent de raisonner en termes de
norme ultramétrique ou en termes de valuation, et on définit de
manière évidente le complété K d'un corps
K muni d'une valuation v . Il faut toutefois faire attention
au fait que les inégalités se trouvent renversées. Les
formules étant en général nettement plus agréables
en termes de valuations que de normes. Par exemple, pour toute suite {
n} = { 0, 1,...,
n,...} d'élé-ments
de K on a :
lim
n?+8
|
n= ?
lim
n?+8
|
v( n - ) = +8.
|
Remarque 2.5.1. -- (i) -- si K
est un corps muni d'une valuation v, il résulte de (ii) du lemme 2.5.2
que v( K*) = v(K*) .
31 A.Belkhadir
2.5. COMPLÉTÉ D'UN CORPS POUR UNE
VALUATION
(ii) -- Une suite d'éléments de K est
de Cauchy si et seulement si lim
n?+8
|
v(un+1 -un) =
+8.
|
Donc si K est complet, une suite converge si et
seulement si lim
n?+8
|
v(un+1 - un) =
+8. De
|
|
même, une série converge si et
seulement si la valuation de son terme général tend vers
+8.
(iii) -- Si | |v est la
norme ultramétrique associée à la valuation v,
alors:
1. Rv = {x ? K |
v(x) = 0} = {x ? K,
|x|v = 1} est l'anneau de
valuation de K pour v , on l'appelle aussi l'anneau des entiers de K pour la
valuation v ;
2. Mv = {x ? K |
v(x) > 0} = {x ?
K, |x|v
< 1} est l'idéal maximal de
K pour la valuation v.
EXEMPLE -- Soit Qp
le complété de Q pour la valuation p-adique
vp . On note Zp l'anneau de ses
entiers. Son idéal maximal Mv est
pZp , en effet, d'après (i) de la remarque
2.5.1 on a : v(Q*p) =
v(Q*) = Z, et donc, si vp(x)
> 0 , alors vp(x) = 1
, d'où Mv ? pZp .
L'inclusion réciproque est évidente.
Lemme 2.5.4. -- Pour tout n ? N on a
:
Z/pnZ
Zp/pnZp
.
Démonstration. -- Soit p
: Z ?
Zp/pnZp
l'application qui à x fait correspondre
p(x) = x +
pnZp . On a pnZ ?
pnZp d'où
pnZ ? kerp. Si,
maintenant x ? kerp , alors x
? ZnpnZp , d'où
vp(x) = n, ce qui signifie que x
est divisible par pn dans Z. i.e.x ?
pnZ. Ainsi on a : kerp =
pnZ. Prouvons la surjectivité de p
. Soit x ?
Zp/pnZp
et x ? Zp ayant pour image x
modulo p. Comme Q est dense dans Qp , il existe
r ? Q vérifiant
( )
vp(x - r) = n
, donc x-r = pny avec
vp(y) = 0 , et vp(r)
= vp(x-pny) = inf
vp(x),vp(pny)
;
en particulier vp(r) = 0.
Écrivons r sous la forme a b , avec
a,b ? Z. Comme
vp(r) = 0, on a vp(b)
= vp(a) et quitte à tout diviser par
vp(b), on peut supposer
pgcd(b,p) = 1.
Soit c l'inverse de b dans
Z/pnZ et c ? Z
dont la réduction modulo pn est c. On a
alors vp(r-ac) =
vp(a)+vp(1-bc) =
n et donc vp(x - ac) =
vp((x-r)+(r-ac))
=
( )
inf vp(x -
r),vp(r
- ac)= n, ce qui prouve que ac a pour image
x dans
Zp/pnZp
, d'où la surjectivité de p
. Le premier théorème d'isomorphisme permet enfin de
conclure
que
Z/pnZ
Zp/pnZp.
ci
Corollaire 2.5.2. -- Le corps résiduel de
Qp est Fp =
Z/pZ .
.
32 A.Belkhadir
2.5. COMPLÉTÉ D'UN CORPS POUR UNE
VALUATION
2.5.3 Extensions de corps valués
complets
Soit L/K une
extension séparable finie de degré n et
ó1,...,ón
les K-isomorphismes distincts de L dans
une clôture algébrique Q de K . On rappelle que la norme
de x ? L relativement à K est définie
par
n
NL/K(x) =
n ói(x) ? K.
i=1
Si de plus f(X) = Xm
+ a1Xm-1 + ...
+ am-1X + am est le
polyn àme minimal de x sur K , alors :
NL/K(x) =
((-1)mam)n/m
, m = [K(x) :
K].
1 ~ ~
w(x) = [L : K]v
NL/K(x) .
Théorème 2.5.2. -- Soit K un corps
complet pour une valuation v, et soit L une extension finie de K . Alors, il
existe une unique manière de prolonger v en une valuation w de L . De
plus, si x ? L, alors
Démonstration. -- On peut voir L
comme un espace vectoriel de dimension finie [L : K] .
Si v1,v2
sont deux valuations sur L prolongeant v
, alors v1 et v2 définissent la même
topologie sur L d'après la proposition 2.5.3, cette proposition
montre alors qu'il existe s ? R*+ tel que l'on
ait v2(x) =
s.v1(x) quel que soit x ?
L , et comme v2(x) = v1(x) si
x ? K , alors s = 1, d'où l'unicité
d'une extension de v à L .
Il reste à monter que w définit
bien une valuation sur L, il suffit de montrer que
w(x+ y) =
inf((w(x),w(y))
. Les autres conditions sont immédiates. Montrons d'abord que, si
x ? L vérifie
v(NL/K(x)) = 0 , alors
v(NL/K(1
+ x)) = 0 .
Soit f(X) = Xd +
... + a0 , le polynôme minimal de x
sur K . Ceci implique que d divise [L :K] et
NL/K(x) =
((-1)da0)[L:K]
d et donc
v(NL/K(x)) = 0 implique
a0 ? OK et l'irréductibilité de f
implique que ses coéfficients sont dans OK d'après
la proposition ?? . D'autre part, le polynôme minimal de 1 + x
est f(X - 1) et donc
NL/K(1
+ x) =
((-1)df(-1))[L:K]
d ? OK , ce qui permet de
conclure.
Maintenant, si x = 0 ou y = 0, rien
à démontrer. Si x et y sont non nuls tous les
deux, quitte à remplacer x par y, on peut supposer que
w(x) = w(y) . On a :
2.5. COMPLÉTÉ D'UN CORPS POUR UNE
VALUATION
x ! !
NL/K(1 +
x
w = w(x) - w(y)
~ 0 , ce qui est équivalent à v
NL/K(x
~ 0 v
y)
y y
|
!)~
|
1 + x !
0 ? w = 0 .
y 1 + x ! + w(y) ,
alors, w(x + y) ~ w(y) =
inf(w(x),w(y))
.
Or, w(x + y) = w
ci
y
Corollaire 2.5.3. -- Si K est une clôture
algébrique de K , il existe une unique manière de prolonger v
à K ; de plus
Aut(K/K) agit sur
K par des isométries. ·
Démonstration. -- L'unicité du
prolongement est une conséquence directe du théorème
précédent. Le reste de l'énoncé suit de ce que, si
x € K , et si a €
Aut(K/K),
alors
NK/K(x)
= NK(a(x))/K
(a(x)).
Corollaire 2.5.4. -- Si P €
K[X] est irréductible, alors toutes ses racines dans K
ont la même valuation. ·
Démonstration. -- les racines d'un
polynôme irréductible sont permutées
transitive-
ment par
Aut(K/K) , et le
corollaire précédent permet de conclure. ci
33 A.Belkhadir
34
|