3.1.6 : Renforcement des
capacités des populations
Le renforcement des capacités des organisations est un
maillon essentiel du processus d'appropriation et de pérennisation dans
une approche de développement communautaire.
Les objectifs visés
par le renforcement des capacités des populations
A travers ce renforcement de capacités, plusieurs
objectifs sont recherchés (Bonnal, 1995) :
- l'acquisition de compétences
nouvelles. La prise de responsabilité par les ruraux ne peut
s'opérer de façon efficace et durable que si elle s'accompagne
d'un transfert de compétences. Cela suppose notamment un accès
accru à une information diversifiée, véhiculée par
des canaux multiples et des efforts considérables et
suivis en matière de formation (appui à la
réflexion collective, formation et conseil technique et en gestion,
alphabétisation, etc.)
- La durabilité sociale. Elle suppose
que les actions de développement permettent (ou
accélèrent) une recomposition sociale qui intègre
l'héritage historique, social et culturel. Il ne s'agit pas de retour
à un ordre ancien, mais de l'élaboration, par la
société locale, de règles nouvelles nécessaires
pour répondre aux défis auxquels elle est confrontée et
qui se situent dans la continuité historique et socioculturelle. Elle
peut être appréciée à partir de l'émergence
de mécanismes explicites de décision, de gestion, de
concertation, d'évaluation et de contrôle, qui fonctionnent sans
appuis extérieurs permanents et qui sont reconnus par tous.
- La durabilité institutionnelle. Elle
suppose l'adaptation d'institutions existantes ou la création de
nouvelles institutions (à l'échelon villageois) qui puissent
garantir (en termes par exemple juridiques) les acquis obtenus à la
faveur des projets dans les domaines par exemple de la concertation entre
acteurs de développement, du contrôle (selon des modalités
concertées), de la sécurité foncière, etc.
L'approche participative permet en principe d'atteindre ces
objectifs en prenant en compte les savoirs populaires et en prêtant
attention aux processus d'évaluation et d'appropriation des
connaissances transmises. Mais dans la pratique, le renforcement des
capacités même mené selon une approche participative,
engendre des problèmes et connait des limites.
Les risques liés au
renforcement des capacités dans une approche participative
Comme le montre Bonnal (1995), lorsque le projet crée
délibérément, pour être efficace, de nouvelles
formes d'organisations qui se superposent aux formes d'organisations
traditionnelles, il risque d'écarter des groupes ou catégories de
personnes de la société, et de déstabiliser ainsi les
stratégies de fonctionnement endogènes, rompant les liens
traditionnels qui unissent des groupes et sous-groupes de la communauté.
Le projet porteur de modèles préétablis risque de se
tromper sur la représentativité des groupements qu'ils
créent, et ceux-ci ne sont parfois qu'une façade de circonstance
composée des plus opportunistes ou des représentants de la
famille dirigeante.
Dans tous les cas, la logique du projet renforce la position
des personnes choisies pour composer les organes de planification et de
gestion. Il se crée ainsi dans les villages d'intervention des
"élites" paysannes nouvelles appelés le plus souvent animateur
villageois. La rareté des ressources humaines au niveau village, fait
d'eux de véritables chargés de dossier `'développement
villageois'' ou de véritables "courtiers de développement"
(Olivier de Sardan et Bierschenk 1993). Ils deviennent des personnes
incontournables. Dans ces conditions, la fonction d'animateur rural tend
à devenir une véritable profession (Gaye 1987, Jacob 1991 in
Bonnal, 1995).
En matière de renforcement des capacités, la
grande limite des projets de développement exécutés par
les courtiers locaux de développement ONG est leur non emprise sur la
durée des contrats avec les partenaires financiers. Un projet est
toujours censé apporté une innovation. Selon Schumpeter, repris
par Lavigne Delville (2004), l'innovation est une combinaison nouvelle des
facteurs de production. Est innovation, dans une région
donnée ou une exploitation donnée, toute nouvelle pratique
impliquant une combinaison nouvelle de facteurs. Les innovations peuvent
être techniques et / ou organisationnelles. Il y a souvent des
liens étroits entre les deux types d'innovation. Ainsi, l'innovation
technique entraîne des recompositions de l'organisation familiale ou
villageoise. Les changements organisationnels sont apportés pour
permettre la viabilité de l'innovation technique. Dans les deux cas, les
innovations entrainent au niveau des villages d'intervention des confrontations
entre courtiers locaux et populations. Les courtiers locaux doivent oeuvrer
à une adaptation des technologies aux conditions économiques et
sociales des populations. Cela suppose une bonne connaissance des pratiques
sociales, économiques et culturelles des populations par les courtiers
locaux.
C'est là une tâche très difficile pour
plusieurs raisons. La photo qu'ont les courtiers locaux du développement
des pratiques sociales au contact d'un projet est en faite fortement
biaisée compte tenu des enjeux dont le projet est porteur. D'un autre
coté, ces réorganisations demandent du temps et des appuis
matériels, financiers, méthodologiques, en formation, etc. sont
nécessaires pour que les différents groupes sociaux acceptent de
s'engager dans un programme d'action qui s'inscrit dans le moyen et long terme,
mais qui doit, dès le départ, s'atteler à la satisfaction
des attentes immédiates.
De plus en plus, ce dont les courtiers locaux du
développement disposent le moins c'est justement du temps. Beaucoup de
projets mis en oeuvre par les courtiers locaux du développement ont une
durée de vie très courte. Les contrats entre les partenaires
financiers du Nord (ou leurs représentations situées au Sud) sont
annuels souvent même moins d'une année, pour une grande
majorité d'ONG nationales. Même lorsque ces contrats doivent
être reconduits, c'est après plusieurs mois de rupture. Par
ailleurs, bien de projets planifiés sur plusieurs années (3
à 5 ans) sont brusquement interrompus au bout d'une ou deux
années pour rupture de financement. A ce sujet évoquons le cas
de nos deux périmètres maraîchers. Ces deux projets
étaient prévus pour une durée de trente mois. Les deux
projets ont finalement pris fin au bout de deux années pour rupture de
financement. Du coup, les activités de renforcement devant faciliter
l'appropriation et la pérennisation n'ont pu être menées
à bout.
Dans un tel contexte de précarité, les courtiers
locaux du développement ne disposent plus d'assez de temps d'observation
pour faire la part entre les situations circonstancielles et les tendances plus
profondes au sein des sociétés cibles et de poser les bases
nécessaires permettant aux populations d'assurer la
révèle. Ainsi, même en adoptant une approche participative
dans la mise en oeuvre d'un projet, l'appropriation et la pérennisation
se trouvent fortement hypothéquées.
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