1.2.2 Les modes de gestion institutionnels des
tanks
Afin d'exploiter l'ensemble du système
d'irrigation par tanks, la société indienne a mis en oeuvre au
fil du temps, et selon les contextes politiques qui ont jalonné les
derniers siècles, des modes originaux de gestion des ressources
naturelles.
Les anciens régimes agraires
Le système de gestion le plus ancien est alors
connu sous l'appellation de mirasi, qui impliquait la participation
des villageois à la maintenance des tanks et leur rétribution
réservée sur une partie des bénéfices du village
(Vaidyanathan, 2001). Il y avait alors des règles bien définies
sur l'allocation des eaux stockées et sur les réparations
à effectuer sous le contrôle du mirasidar auquel
était affecté l'autorité suprême. Des fonctionnaires
étaient nommés et avaient la charge de régler les
éventuels conflits. Dans ce système le droit
héréditaire sur le sol (kaniyachi) s'appliquait (Dupuis,
1960). On peut penser, même si les informations disponibles sont peu
nombreuses, que ce mode de gestion traditionnel était durable et
équitable en terme d'allocation, sans l'être totalement au niveau
de l'accès à la ressource. L'avènement de la colonisation
britannique a modifié les règles d'usage. Les colons ont
institutionnalisé deux systèmes : ryotwari et
zamindari. Le système ryotwari imposait un impôt
agraire régulier, basé sur les informations cadastrales, dans
lesquelles était notée la valeur des sols. L'état traitait
directement avec le raiyat (fermier), auquel est
attribué
1 Par exemple le
blanchisseur qui intervient lors d'une puberté et qui, en plus de sa
rétribution, a le droit de garder les vêtements
souillés
2 Par exemple la dot de
mariage
3 Tel est le cas pour de
nombreux paysans fortement endettés, ou bien des jeunes femmes dont la
dot de mariage jugée faible implique un déshonneur familial et
une stigmatisation, par la famille du conjoint, trop forte à supporter
(ce dernier cas est particulièrement vrai pour les hautes
castes)
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Les facettes sociales et physiques du monde rural
indien
un titre de propriété (patta,
feuille d'arbre en tamil) lui conférant une sécurité et
les droits qui caractérisent la propriété : vente,
métayage, hypothèque, legs, etc. (Dupuis, 1960). Le
système zamindari est une inféodation du sol, dans
lequel le zamindar est chargé de verser le pashkash
(cadeau, en hindi) à l'Etat, c'est-à-dire une somme
forfaitaire exigée par le fisc et récoltée auprès
des paysans. Ce système exigeait moins d'efforts de l'Etat mais
était moins rentable du fait que les zamindars abusaient de
leur pouvoir au niveau local. Beaucoup estiment que cette centralisation des
impôts agraires est une cause importante de la dégradation des
tanks, qui sont une forme décentralisée de gestion, en
abandonnant la responsabilité de leur gestion du local au national.
Conscient de l'importance des tanks et de son rôle direct dans le
paiement de l'impôt, l'administration britannique a par la suite
tenté de contrecarrer la dérive des performances des tanks en
introduisant une législation qui renforce les obligations communautaires
pour la maintenance et les réparations des tanks. L'échec de ces
réformes a forcé l'administration à intervenir
directement, en partie par la construction de nouveaux system tanks le
long de la Vaigai, avec l'objectif permanent d'augmenter ses revenus sous forme
d'impôts (Vaidyanathan, 2001). Ces systèmes et ces lois n'existent
officiellement plus, même si l'on parle encore des terres «
ex-zamindars ».
Les systèmes contemporains chargés de
la gestion des tanks
Au moment de l'indépendance (1947),
l'état s'est engagé dans des programmes de grands travaux
(barrages, canaux) et de promotion des systèmes d'irrigation modernes
(puits). Les systèmes mineurs d'irrigation, dont font partie les tanks,
étaient très représentés au Tamil Nadu (65%) mais
jugés insuffisants en terme d'efficacité, ce qui a motivé
des politiques volontaristes en matière de source d'irrigation
alternatives. Même si l'on a alors relégué les tanks
à un rôle secondaire, on a établi des modes de gestion
différents suivant la taille des ayacuts de chaque tank. Le
panchayat1 est responsable de la gestion des tanks ayant un
ayacut inférieur à 40 ha, alors que le Public Works
Department (PWD)2 est responsable de la maintenance et des
réparations des canaux et des tanks qui irriguent des ayacuts
supérieurs à 40 ha. La taille moyenne des ayacuts
dans le Tamil Nadu est de 26 ha alors que 77% des tanks ont un ayacut
inférieur à 40 ha, 22% entre 40 et 200 ha et seulement 1%
plus de 200 ha (ces derniers irriguent toutefois 25% de la surface
irriguée totale sous le commandement des tanks). On peut préciser
que le rapport entre la surface inondée et la surface irriguée
d'un tank est rarement supérieur à un, ce qui pose le
problème déjà cité de l'emprise spatiale des tanks
et de leur rentabilité. Concernant les system tanks, ils
représentent 10% de l'ensemble des tanks. Un faible nombre d'entre eux
ont des ayacuts inférieurs à 40 ha. Ils ont donc une
emprise spatiale élevée et une fourniture en eau sensiblement
moins élevée que les non system tanks (Vaidyanathan,
2001).
Organisation locale de gestion
Les droits octroyés aux panchayats et
aux PWD leur confèrent des obligations à propos de la gestion
locale des tanks. Les tâches principales des PWD sont la maintenance et
la réhabilitation. Les conflits qui font suite à des
mécontentements de certains agriculteurs sont eux gérés
localement. Il y a toutefois de fortes disparités d'un tank à
l'autre sur l'efficacité et la réalisation des opérations
qui dépendent pour partie de la présence ou de l'absence de
personnages clefs responsables précisément de certaines de ces
opérations. Ces acteurs peuvent être des fonctionnaires
employés par l'état ou des personnes de certaines
castes
1 Conseil traditionnel
assurant le fonctionnement de la collectivité villageoise.
2 Département des
Travaux Publics chargé de la construction, de l'aménagement du
territoire et de la maintenance des infrastructures publiques.
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Les facettes sociales et physiques du monde rural
indien
spécialisées comme les neerkatties
de la caste des Pallars (intouchables) qui ont la charge de
distribuer les eaux stockées aux parcelles de l'ayacut, de curer les
chenaux d'approvisionnement et d'autres tâches encore selon les villages.
Les bénéfices tirés des activités liées aux
tanks sont gérés par le panchayat. Ce dernier est
souvent aux mains de la caste dominante, et l'un des phénomènes
les plus courants est d'utiliser les bénéfices dans un but
d'augmenter l'honneur de ses membres en réinjectant l'argent dans la
réhabilitation des temples, par exemple, aux dépens de la
réhabilitation des tanks. Cela est préjudiciable pour les castes
rituellement peu élevées, qui sont les plus dépendantes
des eaux du tank.
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