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Répercussions qualitatives et quantitatives des mutations agricoles récentes sur les systèmes d'irrigation traditionnels dans le bassin versant de la Vaigai- Periyar, Inde du sud

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par François Mialhe
Université Paris 7 Diderot - Master 2 environnement, milieux, techniques, sociétés 2006
  

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1.1.3 L'inscription spatiale et sociale des tanks

On a vu de quelle manière le tank répondait à des besoins sociaux ; il est dorénavant important de décrire la distribution et l'agencement particulier des tanks par rapport aux différentes sources d'approvisionnements en eau. Nous tenterons ensuite de déterminer les avantages ou bénéfices et les inconvénients, de ce système d'irrigation.

1 Eleusine coracana de la famille des millets originaire d'Afrique et introduit en Inde il y a environ 4000 ans. Les graines sont plus petites que celles de la plupart des autres espèces de mil. En Inde du Sud, la farine de ragi sert à la préparation du traditionnel ragi mudde (littéralement pâte de ragi) accompagné la plupart du temps de sambar, soupe de légumineux et de légumes.

2 Surface dépendant d'un système d'irrigation

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Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

Figure 4 - Organisation schématique et réelle des tanks : A- Rainfed tank ; B-System tanks ; C- Cascade tanks (source - Landsat MSS du 21/01/1973-canaux 4-2-1)

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Une distribution spatiale organisée

Comme nous l'avons dit plus haut, c'est sans doute de manière empirique que les tanks ont d'abord été imaginés. Les plus anciens tanks correspondent en effet à des dépressions naturelles dans lesquelles les eaux se concentraient saisonnièrement. On en a pour preuve des inscriptions sur des mégalithes de la fin du Néolithique, disposés près du lit des tanks (Palayan, 2003). Ce serait ensuite par l'adoption d'une approche possibiliste1 du milieu que les populations ont tenté de concevoir une organisation de ces tanks. Succédant à de probables ajustements historiques, trois catégories de tanks occupent désormais l'espace et participent au « maillage » du territoire : (i) ceux qui dépendent des précipitations in situ et du ruissellement sur l'aire contributive associée et qui ne sont pas reliés aux tanks amonts et avals du même versant par quelque canal ou chenal que ce soit ; ce sont des tanks isolés dit rainfed tanks2 ; (ii) ceux faisant partie d'une chaîne de tanks reliés par des chenaux qui drainent les surplus d'eau de l'amont vers l'aval ; on les appelle cascades tanks ; et (iii) les tanks alimentés par des canaux de dérivation connectés directement à des cours d'eau ou à des réservoirs artificiels, les system tanks (Vaidyanathan, 2001). Depuis l'occupation britannique qui a tenté de formaliser un certain nombre d'éléments de la culture indienne, deux qualificatifs, toujours usités, font la distinction entre les system tanks et les non-system tanks. Les system tanks englobent la troisième catégorie tandis que les non-system tanks font référence aux deux premières catégories. Les system tanks s'établissent donc dans les bas-fonds alors que les non-system tanks complètent le maillage de l'espace en profitant des systèmes de pentes des versants (cf. figure 4). L'espace consacré à un tank3 est schématiquement divisé en trois parties. L'aire contributive, qui est la surface de ruissellement et de récolte des précipitations, chargée donc de drainer les écoulements vers le lit du tank, mais qui comprend aussi les canaux et chenaux d'approvisionnement, hormis pour les rainfed tanks ; le tank à proprement parler, composé du lit régulièrement inondé, d'une digue4 dont la partie centrale est perpendiculaire au sens des écoulement, des vannes qui permettent l'alimentation des champs et ainsi que d'autres éléments structurels que nous verrons plus en détail ; et enfin l'ayacut, c'est à dire l'espace irrigué5, en contrebas du tank et morcelé par une multitude de parcelles et de casiers rizicoles.

Les avantages/bénéfices

Le bénéfice premier du tank tient naturellement à l'eau qu'il fournit aux terres cultivées en contrebas, et ceci de manière continue dans des endroits où les précipitations sont discontinues (Durand-Dastès, 1968). En allongeant la saison agricole et en augmentant la production dans des zones en proie à des sécheresses, il permet de réduire la vulnérabilité face aux aléas climatiques. De manière générale, plus un tank est grand, plus sa fiabilité de fourniture en eau est élevée. Cela tient bien entendu au fait qu'un tank de grande dimension possède une aire contributive plus étendue. Cette affirmation doit cependant être fortement

1 Concept de Paul Vidal de la Blache (géographe, 1845-1918) qui repose sur le précepte : « La nature propose, l'homme dispose » par opposition au déterminisme de la nature.

2 Ils sont principalement logés dans les dépressions formées par les mouvements de terrain ou dans les creux façonnés par l'érosion au pied des montagnes, des collines granitiques ou des buttes latéritiques.

3 Eri en Tamoul qui signifie élevé en rapport à sa position par rapport aux zones irriguées plus basses.

4 Il est fréquent que la digue soit végétalisée par de nombreuses espèces (en particulier par le Ficus Benghalensis L., qui se rencontre fréquemment dans les bois sacrés, fournissant latex, fruits et racines mais qui est aussi une plante aux vertus médicinales). Cette végétalisation renforce la digue mais elle peut être aussi le signe d'un désintérêt croissant caractérisé par des opérations de maintenance limitées.

5 Dans le cadre de l'irrigation par tank, on nomme aussi ces terres irriguées Nanjai, en Tamoul, par opposition aux terres Punjai, non irriguées.

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nuancée par le niveau de performance des tanks qui tend à diminuer avec la taille du tank, du fait de l'accroissement des opérations de maintenance régulièrement nécessaires. La durée de restitution des eaux stockées est variable, mais lors des bonnes années1, on peut l'estimer comprise dans une fourchette de trois à cinq mois après la fin de la saison des pluies. Le tank permet donc non seulement d'assurer la première récolte mais aussi d'envisager, toujours les bonnes années, une seconde récolte de cultures irriguées. Ceci ne se vérifie pas dans le cas des rainfed tanks, qui même lors des bonnes années ne peuvent assurer qu'une récolte (Balasubramanian et al., 2003).

Intégré dans son milieu physique, le tank permet certaines régulations qui contrebalancent les aléas naturels qui constituent des menaces pour les populations rurales. Dispersés sur l'ensemble des versants, ils réduisent la vitesse des écoulements et diminuent donc leur capacité, limitant de ce fait leur pouvoir érosif. Ils jouent aussi un double rôle, celui de bassin de rétention en régulant les crues, et celui de bassin de percolation en permettant la recharge des nappes phréatiques sous-jacentes, améliorant ainsi la performance des puits situés en contrebas. Il faut noter que l'accroissement de l'infiltration par percolation peut avoir pour effet la potabilité d'eaux souterraines autrement saumâtres (Prinz, 1996). L'espace tank autorise aussi une diversité d'activités dont profitent les populations alentours. Ainsi, la ponction des colluvions et des sédiments fluviaux fins argileux et limoneux du lit permet la fertilisation des champs cultivés. Elle permet aussi l'émergence d'une activité locale de briquetage. La colonisation temporaire et cyclique du lit par des pelouses constitue un pâturage appréciable pour le bétail. La végétation spontanée, l'agroforesterie et la foresterie sociale2 fournissent, quant à elles, du fourrage, du bois de chauffe et du charbon de bois. L'eau stockée permet, enfin, une pisciculture souvent rudimentaire ainsi que l'élevage de canards. Nous verrons que des règles traditionnelles d'allocation et de redistribution encadrent l'utilisation de ces activités et produits dérivés. Enfin, à titre de zone humide, le tank est un élément du milieu qui constitue un écosystème riche en biodiversité, se démarquant nettement de l'espace environnant semi-aride par la création de discontinuités, favorables par exemple à l'hivernage de nombreuses espèces d'oiseaux migrateurs (Gunnell, communication personnelle).

Les inconvénients

Le principal inconvénient de ce système est à rattacher au climat. La variabilité des précipitations engendre mécaniquement une variabilité du stockage et donc de la fourniture en eau diminuant, toutes choses égales par ailleurs, son intérêt premier. Si le maillage du territoire peut s'interpréter comme un facteur qui maximise la récolte des eaux atmosphériques, il peut aussi s'entrevoir comme soustrayant à l'agriculture des surfaces cultivables non négligeables, surtout dans un contexte de forte densité démographique. Gourou estime qu'au Tamil Nadu, la surface récoltée en saison des pluies est de 30000 km2 alors que la surface noyée est de 7000km2 (Gourou, 2000). Du fait des températures élevées, l'évaporation potentielle est intense, a fortiori durant la saison sèche. En raison de la faible profondeur des tanks, de quelques mètres au plus, le régime saisonnier des températures de l'eau n'est pas très différent de celui des températures de l'air et l'évaporation maximale intervient donc en saison chaude (Cosandey et al., 2000). En règle général, plus la surface exposée est grande, plus l'évaporation à prendre en compte est faible. L'humidité de l'air

1 Une étude portant sur 45 années de données pluviométriques dans le district de Ramanathapuram montre que sur une période de 10 ans, en moyenne, les tanks sont totalement remplis quatre ans, relativement bien remplis deux ans, insuffisamment remplis deux autres années et de manière très inadéquate par rapport à la demande deux ans aussi (Balasubramanian et al., 2003)

2 Principalement Prosopis juliflora

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ambiant est par ailleurs un paramètre fondamental. Plus l'air est humide, moins la surface exposée sera un facteur limitant de l'évaporation ; à l'inverse, un air sec engendrera une évaporation proportionnellement plus intense sur une surface de faible étendue. Les taux d'évaporation sont donc en priorité fonction de la saison, puis de la taille et dans une moindre mesure de la profondeur. Un autre type d'inconvénient n'est pas directement lié au tank même mais à sa gestion, qui, si elle est défaillante, peut entraîner une baisse de la performance générale (pertes par brèches, diminution de la capacité potentielle par comblement du lit et des chenaux d'approvisionnements, etc.). Nous aborderons plus précisément ces aspects dans la prochaine partie. Nous pouvons néanmoins d'ores et déjà affirmer que le tank présente des caractéristiques intéressantes dans un contexte de climat semi-aride, mais que son fonctionnement général ainsi que sa viabilité agronomique et écologique sur le long terme résultent non seulement des actions que la société met en oeuvre afin de maintenir le système dans un bon état mais aussi de l'environnement technique et technologique.

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"Nous voulons explorer la bonté contrée énorme où tout se tait"   Appolinaire