1.1.2 La nécessité d'augmenter la
disponibilité de l'eau par le biais des tanks
Dans de telles conditions climatiques, les hommes ont
dû imaginer et concevoir des techniques permettant d'augmenter la
disponibilité de l'eau pour répondre non seulement aux besoins de
l'agriculture mais aussi à leurs propres besoins
élémentaires.
1 La distribution annuelle
des précipitations à l'intérieur des terres se
démarque quelque peu par une mousson d'été plus
arrosée, en particulier durant les mois d'août et
septembre.
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Les facettes sociales et physiques du monde rural
indien
La disponibilité de l'eau
Répartie temporellement de manière
inégale, l'eau se caractérise aussi par une distribution spatiale
dépendante de facteurs physiques tel que le sol, la géologie ou
encore la topographie. La définition du régime semi-aride est
basée sur le nombre de mois à pluviosité
déficitaire et non sur le total pluviométrique (Bourgeon, 1988).
Sont considérées comme semi-arides les zones où
l`ETP1 n'est satisfaite par la pluviosité qu'entre deux et
sept mois par an. En utilisant la méthode de Gaussen2, qui
permet une extrapolation approximative de l'évapotranspiration à
partir des données thermiques, on compte quatre mois humides, de
septembre à décembre, qui correspondent à la fin de la
mousson d'été et à la totalité de la mousson
retardée du NE. C'est durant cette période que le bilan
hydrologique3 s'équilibre et devient positif, permettant
théoriquement non seulement l'écoulement de surface mais aussi la
constitution des réserves hydriques dans la tranche superficielle du sol
et des réserves hydrologiques plus profondes. Les sols, par leur
capacité de rétention différentielle, sont capables
d'influencer localement la disponibilité. Malgré celà,
l'intensité et la soudaineté des précipitations sur
l'ensemble de la région provoquent une dégradation de la surface
du sol ainsi qu'une saturation relativement rapide de la tranche superficielle.
Ceci favorise le déclenchement du ruissellement de surface au
détriment de la constitution des réserves hydriques et surtout
hydrologiques qui permettent pourtant d'allonger la disponibilité de
l'eau (Cosandey et al., 2000). La présence, le volume et
l'accessibilité des nappes captives dépendent en grande partie de
la géologie. La partie basse du bassin versant de la Vaigai-Periyar est
composée essentiellement de zones d'alluvions entrecoupées de
buttes latéritiques tandis que la partie médiane et haute du
bassin repose sur un socle métamorphique. Les nappes de socle sont en
règle générale plus difficiles d'accès et ont des
volumes et débits plus incertains que les nappes alluviales. De
manière générale, les techniques d'accès aux
réserves hydrologiques sont plus avancées que celles du stockage
des eaux de ruissellement et leur ont donc souvent succédé dans
l'histoire des populations. En dépit de totaux pluviométriques
annuels non négligeables, la quantité d'eau utile est donc
restreinte par des processus de transferts brutaux caractéristiques des
zones semi-arides.
Les besoins en eau
Selon les variétés, une récolte
de paddy4 demande au Tamil Nadu de 1150 à 1650mm d'eau par an
(Gourou, 2000) ; or durant la saison des pluies, Madurai reçoit en
moyenne aux alentours de 400 mm et Ramanathapuram 420 mm. Le déficit est
donc très grand, même en saison des pluies et à plus forte
raison encore durant la saison sèche, ce qui ne permet pas de soutenir
une récolte. Certaines phases cruciales du cycle cultural, comme la
floraison, doivent par exemple, sous peine de chutes importantes du rendement,
se dérouler pendant la période humide, c'est à dire
lorsque la pluviométrie est supérieure à l'ETP (Racine,
1994). De la même manière, une quantité massive d'eau est
nécessaire pour la préparation du terrain avant le repiquage.
Cette période doit donc, sur un laps de temps très court,
recevoir d'importants apports d'eau. Jusqu'à la floraison de la plante,
la rizière doit rester inondée et il est donc nécessaire
d'alimenter régulièrement les parcelles. Durant son cycle de
croissance, l'eau requise par la plante ne doit donc pas lui être
distribuée uniformément (Adiceam, 1966). Si le
1 Evapotranspiration : c'est
la combinaison de l'évaporation physique et de la transpiration
biologique.
2 Méthode qui
consiste à porter sur un graphique la courbe des moyennes mensuelles des
températures exprimées en degrés celsius et la courbe des
moyennes mensuelles des précipitations exprimées en
millimètres, l'échelle des degrés centigrades étant
le double de celle des millimètres. Selon la position des courbes, dites
ombro-thermiques, le mois est considéré sec ou
humide.
3 Bilan hydrique
(échelle stationnelle) ou hydrologique (échelle du bassin
versant) : P=Q+ETR+?R(u+h), avec Q :débit ; ?Ru : recharge des
réserves en eau du sol et ?Rh : recharge des réserves du
sous-sol
4 Riz recouvert de sa
balle
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Les facettes sociales et physiques du monde rural
indien
riz est la principale culture en pays Tamoul, d'autres
céréales sont cultivées, comme le
ragi1 ou le cholam (sorgho), qui sont moins
demandeuses en eau, mais qui sont également moins
appréciées par les populations, et donc diffusées moins
largement. Ces millets constituent le socle traditionnel de l'agriculture
pluviale des régions semi-arides de l'Inde péninsulaire, mais ont
subi un déclin relatif en raison de la concurrence et de
l'attractivité du riz irrigué. En année sèche, les
récoltes de céréales pluviales de ce genre peut
dépasser les récoltes, mauvaises, de riz, et permet
d'éviter les disettes. Les besoins en eau concernent aussi les usages
domestiques et l'alimentation du bétail.
Dans un but de subsistance, il a donc fallu que les
sociétés intègrent les connaissances qu'elles avaient du
milieu, basées sur des observations empiriques, afin d'élaborer
des techniques susceptibles de répondre de manière satisfaisante
à leurs besoins en eau.
Le stockage de l'eau par tanks
On estime que l'existence des tanks remonte au minimum
à l'époque médiévale. Les tanks de Satyamangalam,
à PudukkottaiK, portent des inscriptions qui laissent présumer
leur existence dès le 13ème siècle (Roussary,
2003). Si ils ne sont pas, à l'échelle du monde, les plus anciens
systèmes de récolte des eaux, ils constituent toutefois une forme
d'emprise spatiale relativement unique. L'objectif d'un tank réside dans
le stockage de l'eau atmosphérique et sa restitution progressive dans le
temps afin d'allonger en particulier la saison culturale. Le principe de base
repose donc sur le captage et le stockage des eaux de ruissellement et des
précipitations in situ. A la faveur de la topographie locale,
le premier type de tank consiste simplement à profiter des
dépressions naturelles captant les écoulements de versants
alentours, et ne nécessite que quelques travaux
élémentaires d'aménagement afin de distribuer les eaux
stockées vers les ayacuts2. Le deuxième mode
s'appuie sur la construction d'une digue (terre ou brique) perpendiculaire au
sens de l'écoulement, en forme de U allongée latéralement,
afin de bloquer et de diriger de manière centripète et selon le
sens de la pente, les eaux de ruissellement. Ces ouvrages sont en
général de plus grande dimension. L'excavation, enfin, est la
troisième technique de construction d'un tank. L'origine structurelle
des tanks est cependant souvent hybride et il n'y a pas de cloisonnement net
entre les techniques précédemment décrites.
Nous verrons aussi que les facteurs édaphiques
et topographiques, ainsi que la présence d'un réseau
hydrographique pérenne, influencent de manière significative la
forme, la taille et la capacité de restitution, qui à leur tour
déterminent la performance potentielle des tanks. La maximisation de ce
potentiel dépend également de l'organisation et des choix de la
société et des communautés.
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