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Répercussions qualitatives et quantitatives des mutations agricoles récentes sur les systèmes d'irrigation traditionnels dans le bassin versant de la Vaigai- Periyar, Inde du sud

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par François Mialhe
Université Paris 7 Diderot - Master 2 environnement, milieux, techniques, sociétés 2006
  

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Méthodologie

Tout travail scientifique doit s'appuyer sur l'élaboration d'une méthodologie adaptée. Celle-ci s'est construite sur le principe des emboîtements d'échelles, qui a permis d'articuler l'étude à travers différents niveaux d'analyse géographique. Cette méthodologie, en appréhendant les phénomènes à plusieurs échelles, permet de faire intervenir des concepts interdisciplinaires selon le niveau adéquat. La complexité des problématiques environnementales s'exprime de plusieurs manières. Compte tenu de la variété des interactions et des interdépendances entre des éléments, aussi hétérogènes que nombreux, il a été nécessaire d'aborder cette complexité par une approche systémique. Ceci est d'autant plus vrai dans le cadre d'une étude sur l'Inde qui, parmi les grandes civilisations, est l'une des plus complexes et des plus éloignées, en terme de valeurs, de la civilisation occidentale. Afin de démêler cette complexité, il est donc apparu nécessaire de présenter, dans une première partie, les éléments principaux qui composent le monde rural indien et le système auquel il appartient. Le niveau d'analyse correspondant ici est l'échelle macro-régionale. S'en est suivie l'analyse plus détaillée du bassin versant de la Vaigai, subdivisée en deux parties, correspondant pour chacune d'entre elles à une échelle spécifique, adaptée à l'étude d'un phénomène en particulier. Dans le même temps, de nombreuses passerelles ont été identifiées entre les différentes sous-parties afin de d'établir des liens de causalité entre les éléments. Cette approche, que l'on peut qualifier de systémique, est fondamentale pour appréhender, au mieux, des systèmes complexes faisant intervenir des concepts propres aux sciences humaines et aux sciences naturelles, et qui se caractérisent aussi par des degrés de corrélation très variés et parfois subtils.

L'ensemble de la réflexion s'est appuyé sur des travaux de télédétection originaux, réalisés spécifiquement dans le cadre de ce travail. Ceci a tout d'abord été permis par la disponibilité d'images de territoires identiques à des dates différentes. Selon les thèmes traités, des méthodologies spécifiques ont été utilisées. Ainsi, afin de savoir quelles évolutions connaissent les lits de tanks, des masques, réalisés à partir des tanks en eau à une certaine date, ont permis de suivre à trois dates différentes les changements des états de surface. L'interprétation des résultats s'est ensuite opérée en croisant les informations obtenues à partir des cartes réalisées et des données sociales et environnementales obtenues grâce à divers travaux antérieurs. Une démarche similaire a permis d'interpréter les autres cartes réalisées.

Au total, la méthodologie employée s'est appuyée sur une démarche qui se veut avant tout systémique. L'approche multiscalaire a constitué le cadre de référence, dans lequel, au fur et à mesure de l'avancée de la réflexion, sont venus se greffer des éléments et des concepts issus d'autres champs scientifiques. Cette démarche est, semble-t-il, adaptée aux problématiques sociales et environnementales du cas étudié.

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Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

1. Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

En raison du climat semi-aride, l'irrigation constitue l'originalité principale de l'agriculture au Tamil Nadu. Le système agricole n'est cependant ni homogène ni statique ; il a évolué et s'est adapté à l'environnement physique, social et économique. Cette partie est donc consacrée à la présentation et à la description du monde rural : les éléments physiques et sociaux qui le structurent, son fonctionnement institutionnel et traditionnel, ainsi que les nouveaux problèmes auquel il est confronté.

1.1 L'irrigation comme réponse sociale face à la contrainte climatique

Les tanks sont omniprésents dans le paysage agricole au Tamil Nadu et plus largement dans le sud de la péninsule indienne. Certains sont très anciens (plus de 1000 ans) et furent avant tout le résultat d'une adaptation technique de la société aux conditions environnementales et principalement climatiques. C'est en effet la disponibilité réduite des ressources qui a forcé les populations à concevoir des systèmes en adéquation avec les conditions du milieu et qui a débouché sur une organisation collective particulière dans le contexte culturel indien.

1.1.1 Les caractéristiques climatiques du Tamil Nadu

La position géographique du Tamil Nadu lui confère un régime climatique particulier, différent du reste de l'Inde. Ce régime est, entre autres, caractérisé par une importante variabilité interannuelle et intra-annuelle des précipitations limitant naturellement la disponibilité en eau « utile » et rendant nécessaire la pratique de l'irrigation.

Figure 1- Carte de localisation du Tamil Nadu (Source : Sipis & US CIA)

Le régime de mousson

Le Tamil Nadu est soumis à un climat tropical modifié par le régime des moussons. En effet, deux moussons affectent annuellement l'ensemble du sous-continent indien.

La mousson d'été est celle qui engendre l'essentiel des précipitations pour la majorité du pays durant les mois de juin à septembre. La barrière montagneuse des Ghâts occidentaux, dans l'état occidental méridional du Kerala, perpendiculaire au flux de mousson (flux de sud-ouest), provoque d'importantes pluies orographiques sur tout le massif et assèche par effet de foehn les flux d'air de cette mousson, limitant ainsi les précipitations dans la partie orientale du sud de la péninsule. La mousson d'été contribue à environ un tiers des totaux pluviométriques du Tamil Nadu. Celui-ci est par contre affecté par d'importantes

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Les facettes sociales et physiques du monde rural indien

précipitations plus tard dans l'année, durant les mois d'octobre à décembre par ce qu'il est convenu d'appeler la mousson du nord-est, dite « retardée ». Cette mousson est générée par des centres de très basses pressions qui se créent au-dessus du golfe du Bengale et se déplaçant d'est en ouest. Ces dépressions peuvent aussi prendre un caractère cyclonique et déverser des trombes d'eau sur les côtes orientales du Tamil Nadu. La mousson d'hiver1 et les précipitations qui lui sont associées, représentant environ 50% des totaux pluviométriques régionaux, sont les phénomènes climatiques fondamentaux sur lesquels reposent les activités agricoles.

La variabilité interannuelle des précipitations

Le Tamil Nadu reçoit, en dehors des zones montagneuses plus arrosées, entre 700 et 1000 mm de précipitations en moyenne sur l'année. Les cyclones tropicaux qui balaient la région durant les mois de mousson du NE provoquent localement des augmentations très marquées des précipitations, généralement concentrées sur un mois (Palayan, 2003). Les totaux annuels dans le district de Ramanathapuram*2, sur une série de 69 ans, vont de 402 mm à 1285 mm, soit du simple au triple, même si il convient de considérer ces valeurs comme extrêmes et donc de fréquence moyenne (cf. figure 2). Sur la série, 35 années sur les 69 sont inférieures à la moyenne annuelle de 735,84 mm, ce qui donne une répartition générale globalement homogène. Néanmoins, une analyse plus fine de la moyenne mobile fait apparaître des cycles pluviométriques différentiels. Une succession d'années déficitaires est apparue du début des années 1950 jusqu'au milieu des années 1960. Un second cycle déficitaire a occupé une partie de la décennie des années 1970 (de 1969 à 1976) et enfin, un dernier, plus court, de 1986 à 1991. Deux éléments peuvent être tirés de cette analyse. Le premier est que les cycles déficitaires sont plus marqués et généralement plus longs que les cycles bénéficiaires durant la période considérée, ce qui est le témoin de l'occurrence importante d'années très déficitaires marquées par des sécheresses. Le second élément tient au raccourcissement des cycles depuis 25 ans et à une stabilisation de la moyenne mobile dans des valeurs moyennes. Cette extrême variabilité de l'aléa provoque une augmentation substantielle du risque global encouru par le monde agricole, très dépendant des conditions climatiques.

La variabilité climatique intra annuelle

La répartition annuelle de la pluviométrie est calquée sur le régime des moussons qui est le principal pourvoyeur des précipitations. Ce régime, irrégulièrement réparti sur l'année, provoque des totaux mensuels disparates. Du fait des températures relativement homogènes sur l'ensemble de l'année, la définition des saisons climatiques s'établit principalement d'après les retombées pluviométriques. C'est donc davantage l'irrégularité des précipitations que leur quantité qui définit le climat du Tamil Nadu. D'après les données du district de Ramanathapuram (district littoral), la période de la mousson du NE, d'octobre à décembre, apporte 57% des précipitations totales annuelles (736 mm), ce qui permet de la définir comme saison des pluies.

1 Afin de refléter l'importance de cette mousson dans la vie quotidienne des paysans, on peut noter que certains témoignages utilisent la mousson comme unité temporelle de référence : « cela fait maintenant depuis deux moussons que..., je me souviens il y trois moussons en arrière..., etc. » (Racine, 1995).

2 Le symbole * indique des villes, taluks, ou district localisés sur la carte en annexe 1.

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Figure 2 - Données pluviométriques du district de Ramanathapuram de 1936 à 2004 (Source : Ramanathapuram website, http://www.ramnad.tn.nic.in/)

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D'après le même ratio, la période de janvier à mars apporte 10% des précipitations, la période d'avril à juin 14% et la période de juillet à septembre 19% (cf. figure 3)1. Il faut aussi noter une distribution annuelle des jours pluvieux très irrégulière ; il y a en effet une cinquantaine

Figure 3 - Diagramme pluviométrique des moyennes mensuelles du district de Ramanathapuram de 1936 à 2004 (Source : Ramanathapuram Website)

de jours humides dans l'année dont une dizaine par mois durant la mousson du NE, inférant des retombées brutales (Adiceam, 1966). Ces précipitations intenses et concentrées ne sont pas naturellement favorables à l'agriculture et peuvent en revanche engendrer des crues. Initialement, la disponibilité naturelle de l'eau est donc ici un facteur limitant pour les activités anthropiques. Comme on l'a dit plus haut, il y a de faibles amplitudes thermiques annuelles pour des valeurs absolues fortes, caractéristiques des climats tropicaux. La différence entre les mois les plus chauds et les mois les plus frais oscille entre 4 °C et 6 °C (5.6 °C pour Madurai* à l'intérieur des terres et 4.1 °C pour Pamban* sur le littoral). Les moyennes annuelles se situent généralement entre 25 et 30 degrés (27.5 °C à Madurai) avec des valeurs maximales atteintes en mai et juin. Malgré cette homogénéité générale, deux saisons thermiques se distinguent : une saison fraîche et une saison chaude. La première occupe les trois premiers mois de l'année et la seconde le reste de l'année. L'impact principal de ces fortes températures réside dans l'évapotranspiration élevée, qui, couplée aux précipitations irrégulières, constitue un facteur limitant les potentialités des réserves hydriques.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille