Introduction
La contrainte majeure pour les populations
d'agriculteurs qui vivent sous un régime climatique semi-aride est
liée à l'irrégularité interannuelle des
précipitations, à laquelle se surimposent parfois des cycles plus
progressifs, sur plusieurs décennies, de péjoration
pluviométrique. Les populations de l'Inde du Sud, majoritairement
rurales, ont dû s'adapter au climat tropical, caractérisé
dans cette région par le régime des moussons, en concevant des
systèmes de récolte et de stockage des eaux de surface, qui
permettent une restitution de ces eaux dans le temps, afin de satisfaire aux
besoins des cultures et aux besoins domestiques. Historiquement, l'apparition
des « tanks », ou étangs (« tangue » en portugais),
a permis de répondre à ces exigences. Ces systèmes
d'irrigation ont été mis au point de manière empirique par
les populations autochtones qui se devaient alors d'optimiser l'utilisation des
ressources environnementales dans un objectif de subsistance. Plusieurs
facteurs contribuent toutefois à maintenir un niveau de performance
élevé des tanks. Ces facteurs, d'ordre économique, social,
culturel, environnemental influencent les modes de gestion des tanks, qui
deviennent alors évolutifs et qui se différencient d'un
territoire à l'autre. En raison de ses caractéristiques
intrinsèques, la place du tank dans le paysage rural est donc
directement dépendante de ces modes de gestion sociale.
De nombreux travaux tendent à prouver que ces
tanks connaissent un déclin, depuis maintenant plusieurs
décennies, à travers l'affaiblissement de leur fonction
première, c'est-à-dire l'irrigation. Les causes semblent
être nombreuses et de natures diverses, mais s'expriment
généralement par une dégradation structurelle et un
désintérêt croissant des populations vis-à-vis de ce
mode d'irrigation. Cela se matérialise concrètement par une nette
diminution de la part des terres irriguées par tank dans plusieurs
états indiens méridionaux, dont le Tamil Nadu. Ces territoires
sont entrés dans une phase où les structures des tanks se
dégradent progressivement. Dans le même temps, leurs performances
et la dépendance des populations à leurs encontre se
réduisent. Il faut, pour comprendre leur enchaînement
chronologique et causal, replacer ces événements dans les
contextes politique, économique et culturel propre à chaque
situation. Le tank est un système d'irrigation indigène
traditionnel qui s'est plus ou moins bien adapté aux vicissitudes
politico-historiques et a été, dans le même temps,
approprié par les castes villageoises dominantes comme objet
d'affirmation de leur autorité à l'échelle locale. La
colonisation britannique, et l'organisation sociale qu'elle a promu, a
provoqué des heurts dans la gestion traditionnelle des tanks.
L'émergence d'autres sources d'irrigation, relayée par le pouvoir
politique indien post-colonial, a ensuite révélé de
manière patente les carences du tank en matière de
sécurisation des cultures. Depuis cette époque, la place centrale
du tank dans le paysage rural a été fortement remise en
cause.
On peut toutefois penser que cette phase de
décadence pourra trouver une fin dans une prise de conscience collective
des bienfaits sociaux, économiques et écologiques que promet une
intégration des tanks dans leur environnement. Néanmoins, il est
aujourd'hui indéniable de constater un déclin
général, de ce mode d'irrigation, qu'il convient d'étudier
à une échelle d'analyse adaptée. Les évolutions
récentes qui ont affecté l'Inde ont provoqué des
changements profonds dans la structuration du monde agricole et des
sociétés rurales. La matérialisation de ces changements se
manifeste, dans le temps et dans l'espace, à travers des réponses
différenciées. L'appréciation de ces transformations
permet, par un recoupement d'informations, de cerner les dynamiques agraires
récentes à l'échelle régionale. L'approche
proposée dans le présent travail envisage, comme l'ont fait
d'autres travaux réalisés à l'échelle locale, de
comprendre quels peuvent être les facteurs qui influencent localement les
choix et les actions des acteurs concernés par l'irrigation par tank et
quelles sont les dynamiques qui se singularisent et qui peuvent être un
signe précurseur des évolutions futures. L'approche synoptique,
autorisée par l'analyse multi-temporelle d'images
satellites,
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constitue en cela un apport original dans la mesure
où les précédentes études de terrain,
essentiellement à caractère économique, sociologique ou
anthropologique, n'ont pas exploité la cartographie comme outil de
connaissance, de comparaison et de quantification. C'est donc une sorte
d'étiologie régionale du système des tanks de l'Inde du
Sud que l'on propose ici, avec l'utilisation de la
télédétection comme méthode d'investigation rapide
et objective de l'agriculture et du développement durable.
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