4. Discussion
Cette partie est consacrée à la
synthèse des résultats de l'étude. Les dynamiques
observées permettent d'avoir une vision d'ensemble du bassin versant et
une réflexion générale sur les différents
problèmes et problématiques auxquels sont confrontés les
paysans. La figure 33 résume, à l'aide d'un schéma, les
variables en jeux et l'évolution, dans le temps, des principales
composantes agricoles.
4.1 Résultats
L'irrigation par tank apparaît, au regard des
résultats, assez complexe. Il convient donc, dans cette partie finale,
de démêler la situation en organisant la réflexion autour
de trois thèmes, énoncés sous forme de questions, et qui
recoupent les principales informations données tout au long de
l'étude.
4.1.1 Comment expliquer les différences
observées dans l`agencement et la gestion des tanks au sein du bassin
versant de la Vaigai ?
La prévalence des facteurs
environnementaux
La détection des tanks, par images satellites,
a démontré l'existence d'un agencement spatial particulier de
ceux-ci. D'après cette information, et au regard des cartes de
densités par taluk, il n'apparaît, tout d'abord, aucune
corrélation spatiale évidente entre les densités de
population et l'agencement particulier des tanks. On peut penser que les tanks
ont répondu, du moins au début de leur histoire, à des
besoins croissants en eau potable et en eau d'irrigation dans le contexte
semi-aride. L'absence de corrélation, à l'heure actuelle, entre
la densité de population et la densité tank, est donc un signe,
parmi d'autres, de la baisse de dépendance des populations, fortement
rurales, vis-à-vis de ce système de récolte des eaux.
L'aisance avec laquelle il est possible de rendre l'eau disponible et
accessible aux populations, à travers l'aménagement du territoire
et les structures adéquates, n'est pas égale en tout point d'un
territoire, et en l'occurrence d'un bassin versant. C'est un point très
important, dans la mesure où elle implique une mise en perspective de
l'organisation spatiale des tanks qui s'inscrirait selon deux
éléments principaux, (i) le milieu naturel et (ii) les techniques
mises en oeuvre par les civilisations. L'étude des zones mankalanatu
et karicalkatu a montré de quelle manière
l'histoire culturelle s'est trouvée sous la contrainte des
potentialités du milieu naturel local. Les résultats sont qu'en
l'espace de dix ans, des évolutions territoriales
différentielles, nées de dynamiques sociales opposées,
affectent de manière très distincte des territoires pourtant
contigus. L'appréciation de ces évolutions est facilitée
par l'adoption d'une vision synoptique du territoire, alors qu'elles ne sont
probablement pas perçues d'une manière aussi forte, par les
populations. Ces hétérogénéités
environnementales caractérisent donc, en conséquence, des
comportements individuels et collectifs différents. Alors que certains
s'inscrivent dans une certaine continuité historique de
coopération, d'autres sont, au contraire, marqués par un haut
degré de versatilité, variant selon les opportunités qui
se présentent.
L'eau
Tous les faits décrits
précédemment sont liés à la présence ou
à l'absence de l'eau, et à la manière dont elle est
récoltée, stockée, prélevée, et
utilisée. On a vu l'importance qu'il était convenu d'accorder
à cette ressource renouvelable dans un contexte de semi-aridité.
Jusqu'aux années 1970, date d'acquisition des premières images
satellite MSS, l'agriculture était encore largement une agriculture de
subsistance, c'est-à-dire basée sur les cultures
vivrières. Progressivement, des cultures commerciales avec des besoins
en eau plus
79
Discussion
importants, les ont remplacées. Dans le
même temps, de nouvelles variétés hybrides de riz ont
été mises sur le marché, afin d'augmenter des rendements
très faibles et de raccourcir les cycles de croissance. La
sécurisation de ces cultures est toutefois allée de pair avec une
plus grande consommation d'eau et d'intrants. Ce processus est fondamental pour
comprendre les nouvelles pratiques agricoles, associées à des
nouveaux besoins. On peut aussi considérer qu'il joue un rôle dans
le déclin des tanks, qui ne présentent pas,
intrinsèquement, les qualités requises à cette
sécurisation. En effet, le système des tanks est un instrument de
sécurisation alimentaire traditionnel dans un contexte
démographique moins saturé qu'aujourd'hui, et dans lequel
l'agriculture pluviale (millets) jouait un rôle plus important
qu'aujourd'hui. L'agriculture pluviale n'a pas été l'objet des
mêmes efforts que l'agriculture irriguée dans le cadre de la
Révolution verte, et donc la sécurisation alimentaire en
année sèche, autrefois assurée par de
variétés rustiques et les cultures associées
résistantes à la sècheresse, est négligée
depuis 30 ans.
Compte tenu des dates d'acquisition des images
postérieures à celles de 1970, il est difficile d'estimer
précisément, pour une même période, la variation des
stocks d'eau dans les tanks. Néanmoins, au regard des états de
surface des lits des tanks, au début des années 1990 et 2000,
marqués par des couvertures végétales assez importantes,
il est probable que les capacités d'eau stockées par les tanks
aient diminué ces dernières décennies, ce qui est
confirmé par plusieurs travaux dénonçant la
dégradation de ces tanks (Balasubramanian et al., 2003 ; Kajisa
et al., 2004 ; Sakurai et al., 2001 ; Vaidyanathan, 2001).
Toutefois, là encore, la présente étude montre une grande
diversité de cas à travers le bassin versant. Ceux-ci tendent
à refléter une cohérence, toutefois relative, entre l'eau
disponible et les cultures pratiquées : cultures de rente ou cultures
vivrières (en prenant en compte l'importance culturelle du riz).
L'élément le plus frappant demeure l'inégal accès
à la ressource et la répartition inégalitaire de celle-ci.
Cela relève d'un problème conjoncturel, liant la multiplication
des puits à la dégradation des tanks, et débouchant sur
une diminution quantitative des stocks d'eau, ce qui est
générateur de conflits d'usage.
Une gestion stratifiée
La gestion des tanks, à travers le bassin
versant, apparaît comme symptomatique d'une gestion qui mélange
bureaucratie et laisser-faire, généralement répandue dans
les pays en développement et plus encore lorsqu'il s'agit des ressources
renouvelables. Au final, c'est le manque de souplesse et d'articulation qui
pourrait caractériser le mieux le système de gestion en place
ici. En premier lieu, on peut s'interroger sur la pertinence du seuil
fixé à 40 ha d'ayacuts irrigués, qui distinguent
les tanks gérés par le panchayat de ceux
gérés par le PWD. Ce seuil peut apparaître comme
arbitraire, compte tenu de l'agencement spatial des tanks, et moralement
illégitime, en raison des contributions affectées de
manière disparate. Etayons toutefois la réflexion par rapport
à la partition établie. Les actions du PWD se
caractérisent tout d'abord, par des interventions qui manquent de
continuité dans le temps et dans l'espace. Celles-ci apparaissent comme
réactives à des situations avancées de dégradation,
qui nécessiteraient, au contraire, des interventions proactives afin de
juguler la baisse de performance des tanks, et de limiter les pertes brutes
lors des années difficiles. Quant au nombre et à l'ampleur des
opérations de maintenance, l'étude a montré un contraste
assez net entre les system tanks et les non-system tanks, ces
derniers ne bénéficiant pas d'autant d'avantages. Ceci semble
expliquer une partie des différences d'états des structures et
justifie la volonté étatique de relier un plus grand nombre de
non-system tanks à la Vaigai (Vaidyanathan, 2001). En tout
état de cause, les contributions faites par les ayacutdars
apparaissent comme nécessaires, mais représentent pour ces
acteurs un coût financier supplémentaire. Au niveau des
panchayats, la gestion peut être qualifiée
d'hétéroclite en
80
Discussion
raison de la liberté d'action dont ils
jouissent ; le pragmatisme pouvant laisser la place à l'excessif ou
à « l'inutile ». La gestion des fonds dégagés de
l'utilisation et des ventes des produits dérivés du tank est
ainsi abandonnée au libre arbitre.
|
|