3.3.2 L'organisation de la gestion des ressources
La plupart des tanks concernés n'ont pas de
personnels attitrés pour les opérations d'irrigation et de
maintenance/réhabilitation (Vaidyanathan, 2001). Une grande
majorité des actions réalisées sont le fruit des
ayacutdars. Avant la réalisation du canal relié à
la Vaigai, durant la fin des années 1950, les cultures étaient
toutes des cultures pluviales et les rendements étaient très
faibles. Après la connexion au canal, des changements se sont
opérés, mais de manière très lente, alors que des
organisations structurées se mettent lentement en place. Durant la
première moitié des années 1990, le PWD a investit ici des
sommes limitées comparativement aux autres system tanks du
bassin versant. Les actions entreprises ont principalement concerné les
structures des tanks, comme les digues et les vannes. Pour remédier
à ces manquements, les organisations villageoises collectent des fonds
pour engager des actions collectives auxquelles participent les ayacutdars
ainsi que des ouvriers agricoles. Pour financer ces opérations,
deux méthodes de collecte sont très utilisées : la
première consiste à prélever une somme d'argent en rapport
avec la taille du foyer, de la maisonnée, tandis que la seconde consiste
à vendre des contrats d'exploitation des ressources piscicoles du tank.
En début de mousson, des larves sont introduites dans les tanks et
lorsque le niveau du tank atteint un seuil critique, la pêche est alors
autorisée, mais uniquement pour les contractants. La plupart des
contrats sont cédés sous la forme de ventes aux enchères,
méthode qui favorise les plus riches. L'argent collecté est
utilisé pour les réparations d'urgence du tank et pour le
développement du village. Lorsque les eaux du tank tendent à se
raréfier, en plus de l'utilisation des réserves souterraines,
lorsque celles-ci sont disponibles (directement ou par achat), des techniques
de rationnement sont mis en place afin d'optimiser les stocks disponibles. La
technique employée ici consiste à irriguer les parcelles de
l'ayacut les plus proches de la digue, afin de limiter au maximum les
pertes dues aux infiltrations lors des écoulements dans les chenaux. Les
villages sont donc en voie d'organisation, mais il est clair que les fonds
dégagés ne
76
Des facteurs locaux explicatifs des
disparités territoriales
suffisent pas à effectuer les opérations
nécessaires ; c'est ce qu'exprime l'état général
des structures, qui n'est pas parmi les meilleurs du bassin
versant.
3.3.3 Les conséquences de la multiplication des
puits
L'accès aux réserves souterraines a
remplacé, depuis plusieurs années, l'accès à la
terre dans la détermination du statut socio-économique des
agriculteurs, mais il ne place toutefois pas tous les acteurs sur un pied
d'égalité. La taille des parcelles, ainsi que les capitaux
nécessaires aux investissements de base, sont en effet les premiers
facteurs limitants de la possession d'un puits, marginalisant de fait les
petits paysans. Le système d'héritage débouche sur de
nombreux cas de co-propriété ; un tiers des puits du bassin
versant sont exploités de cette manière (Janakarajan et
al., 2002). De nombreux conflits naissent de ce mode d'exploitation, qui
réunit autour d'un puits des membres d'un même village ou d'une
même famille. Des accords doivent ainsi être trouvés pour le
partage des frais inhérents à la maintenance des puits, et pour
la gestion du temps de pompage alloué. Les conflits
d'intérêts sont donc fréquents et exacerbés par la
discontinuité de l'alimentation électrique, les pollutions
chimiques et la baisse des niveaux piézométriques (Vaidyanathan
et al., 2003). C'est cette baisse généralisée qui
pousse les propriétaires de puits à s'engager dans une
véritable compétition d'approfondissements de leurs puits. Ceux
qui ont des moyens financiers suffisants peuvent approfondir leur puits, ou
forer des puits tubés, pour accéder à la ressource. Les
autres doivent s'endetter auprès de créanciers, mais sans aucune
assurance de tomber sur des réserves. C'est donc un processus continu de
différenciation sociale qui tend à consolider les relations de
pouvoir inégalitaires. Dans ces conditions, un marché de l'eau
informel reprenant les règles de marchés officiels s'est mis en
place. Les prix fluctuent selon l'offre et la demande mais aussi selon la
saison et le stade cultural. En raison de l'abaissement des nappes et de
l'utilisation croissante de la ressource par les propriétaires de puits,
ce marché informel tend néanmoins à se réduire
depuis quelques années. Cela constitue un bon exemple de la
théorie de Hardin, la tragédie des communs (Hardin, 1968). Selon
l'auteur, la gestion de biens communaux, en particulier les ressources
renouvelables, conduit inéluctablement à une surexploitation de
la ressource jusqu'à sa disparition. Les profits issus de l'usage des
ressources étant individualisés et les coûts étant
partagés, l'intérêt de chacun est d'exploiter au maximum la
ressource. La surexploitation des eaux souterraines correspond ici à
cette théorie, qui défend aussi l'idée d'une privatisation
de la ressource comme moyen régulateur. L'existence de règles
collectives semble toutefois un compromis plus intéressant, qui ne remet
pas en cause le statut commun de l'eau. Le processus évolutif de la
tragédie est en tout cas bien respecté. Le stade actuel fait
apparaître trois orientations possibles: la première est le
laisser-faire (conduisant inexorablement à une forte diminution de la
ressource), la seconde consiste en une privatisation de la ressource (ce qui
est en partie déjà le cas en raison des investissements
individuels et de la mise en place d'un marché), ou alors comme on l'a
dit, la mise en place de règles collectives avec pour objectif une
utilisation durable. Il apparaît, néanmoins, des pratiques
jugées non durables, qui sont liées à la
raréfaction de la ressource et à des comportements
égoïstes. Un des exemples est celui des gros propriétaires
qui pompent les eaux souterraines de l'ayacut avant de la
transférer dans les puits situés en zones de cultures pluviales.
Ceci engendre un doublement de la consommation d'énergie. C'est cette
confrontation d'une rationalité individuelle, avec une
rationalité collective, qui entraîne une érosion des
ressources naturelles (Vaidyanathan et al., 2003). Il est pourtant
avéré que les puits apportent un complément à la
performance des tanks en réduisant les incertitudes sur les
quantités disponibles. Dans le même temps, ils leurs sont
préjudiciables à travers la réduction de la
dépendance des propriétaires de puits envers les eaux du
tank.
Des facteurs locaux explicatifs des
disparités territoriales
Figure 32 - Cartes de l'occupation du sol des system
tanks du Thirumangalam Main Canal
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Discussion
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