3.2.3 Comparaison des modes de gestion de la ressource
entre la zone mankalanatu et karicalkatu
Deux dynamiques opposées
Des dynamiques radicalement opposées affectent
donc deux espaces contigus, appartenant pourtant à une même
unité. Cette distinction relève autant de facteurs physiques et
écologiques, que de facteurs sociaux, culturels et historiques (Mosse,
1997). Dans le premier cas, ces facteurs influencent positivement la mise en
place d'actions collectives et donc de coopérations, alors que dans le
second, l'intérêt individuel l'emporte sur l'intérêt
collectif. Partant de systèmes de gestion pourtant similaires, les
changements historiques ont moins perturbé la zone mankalanatu
que la zone karicalkatu. Concrètement, cela se
matérialise par des changements qui s'inscrivent territorialement, et
sur un laps de temps relativement court. En l'espace de dix ans, et en
dépit des variations climatiques qu'il faut prendre en compte, mais qui
ne sont pas susceptibles de renverser la tendance, une situation de
stabilité, dans laquelle les tanks apparaissent comme une ressource
commune, gérée collectivement mais sous la houlette d'une caste
dominante, contraste avec une situation de déclin de cette même
ressource. Dans ce dernier cas, des stratégies agricoles individualistes
débouchent sur une dégradation structurelle et fonctionnelle des
tanks, qui tend à s'inscrire dans un cercle pernicieux de
marginalisation sociale et de perturbation environnementale. A l'inverse, les
images satellites de la zone mankalanatu tendent à
démontrer qu'en raison de la présence de nombreux acteurs clefs
de la gestion de l'eau, le système tank n'est pas en péril, bien
au contraire, mais qu'il est dans le même temps le résultat d'une
domination sociale et d'une gestion traditionnelle autoritaire, relativement
peu remise en cause. Il est néanmoins probable que, compte tenu des
conditions environnementales, cette gestion soit, du moins dans son
résultat, optimale. Une forme d'homéostasie caractérise
donc la zone mankalanatu, qui a la capacité de conserver un
équilibre interne en dépit des contraintes
extérieures.
Les actions collectives
En zone semi-aride, et afin de maintenir le plus
longtemps possible la disponibilité en eau, les populations doivent
mettre en oeuvre des actions au moyen d'une gestion spécifique. En
raison du statut commun de l'eau, ces actions doivent, elles-mêmes,
prendre un caractère collectif. Dans notre cas, ces actions concernent
en premier lieu le vecteur qui rend l'eau disponible auprès des paysans,
à savoir le tank. Plusieurs variables sont susceptibles d'influencer le
degré de coopération, nécessaire aux actions collectives.
On peut citer les plus importantes d'entre elles concernant la zone
étudiée : le degré de disponibilité en eau,
l'hétérogénéité sociale du groupe, la taille
du tank, le volume potentiel des bénéfices en cas de
coopération, la part d'investissement personnel comparé aux gains
potentiels, le statut social de chaque individu et la fréquence
d'intervention sur le bien collectif pour le maintien de son efficacité
(Ostrom, 2000). Ainsi, la distribution de l'eau et la maintenance des chenaux,
qui doivent être effectués chaque année, voire chaque
saison, influencent positivement les actions collectives, à la
différence de l'entretien des tanks, qui est une activité ne
présentant pas de linéarité temporelle (Mosse, 1997). Les
sols, qui agissent sur le volume des bénéfices en cas de
coopération (possibilité de cultures pluviales), ainsi que sur le
degré de disponibilité en eau (capacité de
rétention), déterminent des niveaux de coopération
différents. Le statut des paysans est aussi une variable fondamentale
pour comprendre cette différenciation. D'un côté, en
mankalanatu, la plupart de ceux-ci sont propriétaires de terres
irriguées, alors qu'en karicalkatu, le faire-valoir indirect
est important et la part des propriétaires de terres irriguées,
faible. Il y a donc ici une divergence des intérêts à
maintenir les tanks. La présence d'une
74
Des facteurs locaux explicatifs des
disparités territoriales
seule caste dominante est un critère
d'homogénéité, qui permet d'entreprendre et de mobiliser
plus aisément les forces. Enfin, la diversification des
activités, rendue possible par un environnement propice en
karicalkatu, augmente le capital financier des castes dominantes qui
n'ont, du coup, que peu d'intérêts à préserver la
ressource commune. Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle permet de
comprendre les différentes actions mises en oeuvre par les populations
autochtones. On peut enfin préciser que la question des actions
collectives ne se pose que lorsque la ressource se fait rare ou se
dégrade fortement.
Les mécanismes socioculturels
Certains d'entre eux conditionnent la persistance des
systèmes traditionnels, tel celui de la zone mankalanatu. Les
sanctions à l'encontre des paysans non coopératifs sont le
résultat d'une gestion coercitive de la part des castes dominantes.
Cette forme d'autorité serait donc une nécessité pour
maintenir et gérer un bien commun, accessibles à tous, mais de
manière inégalitaire (Mosse, 1997). Ceci pourrait,
néanmoins, s'avérer être une forme de légitimation
de cette domination. On voit que le tank et ses produits dérivés
génèrent des bénéfices, mais que ceux-ci ne sont
pas utilisés rationnellement. Des formes socioculturelles, comme la
symbolique ou l'honneur, prévalent donc sur la rationalité
économique et écologique. Néanmoins, de la forte connexion
intervillageoise, qui s'établit suivant le réseau hydrologique,
doit émerger une responsabilisation des comportements. Il est possible
que dans ce cadre, une forme supérieure d'autorité soit, dans une
certaine mesure, nécessaire à la survie du système afin
d'éviter conflits et défenses d'intérêts personnels,
au détriment des biens communs. Dans le cas de karicalkatu,
l'introduction par l'administration britannique (agent exogène) d'une
nouvelle forme d'organisation sociale dans les campagnes, les
zamindaris, engagea les paysans à abandonner les terres
irriguées, compte tenu de l'impôt particulier qui leurs
étaient réservées. L'adoption de nouvelles
stratégies paysannes, ajoutée à
l'hétérogénéité des castes dominantes
déboucha donc sur une nouvelle organisation agricole, plus moderne dans
sa structure et dans ses objectifs. En tout état de cause, le
système de gestion en mankalanatu, qui sous plusieurs aspects
apparaît comme traditionnel, est aussi celui qui permet une gestion
durable de la ressource, bien qu'il se fonde aussi sur une certaine
hiérarchisation socioculturelle.
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