2.2.2 Les gestionnaires de l'eau
Les missions premières du PWD sont de
réguler les écoulements des canaux en fonction des
disponibilités en eau, et d'entreprendre des travaux pour le maintien en
état des canaux, chenaux, et structures du tank (Vaidyanathan, 2001).
Ses fonctions et son champ d'action sont diversifiés et étendus
au niveau du bassin versant. Les lascars sont des employés du
PWD qui ont la responsabilité d'appliquer la politique et les
recommandations énoncées par le PWD. A l'échelle du
village, ce sont principalement des organisations informelles qui se
structurent autour des anciens, des membres de la caste dominante et des
ayacutdars, et pour lesquelles les objectifs principaux
résident dans la gestion locale de la ressource et des conflits
potentiels. Aux anciens, dénommés ambalams ou
nattanmais, reviennent les fonctions décisionnelle et
exécutive. Ils sont désignés localement par les gros
propriétaires de la caste dominante et peuvent par exemple
décider d'un éventuel rationnement ou arbitrer un conflit entre
ayacutdars. Cette fonction relève du droit coutumier, à
l'instar des thotties et kavals qui sont
désignés et habilités par l'organisation villageoise pour
effectuer des travaux relatifs à l'irrigation. Ce sont principalement
des intouchables qui effectuent ces petites opérations. Leur rôle
est secondaire au regard des actions incombant aux neerkatties et les
madaiyans. Le rôle du neerkatti est d'irriguer
l'ayacut dans son ensemble toute l'année, ou bien, selon les
tanks, uniquement en période de pénurie afin de maximiser l'eau
disponible et de réduire les conflits. Les madaiyans sont, eux,
chargés d'ouvrir et de fermer les vannes et ainsi réguler les
apports. Ces fonctions sont principalement occupées par des
intouchables. On peut noter que la plupart des fonctionnaires en place ont
hérité la fonction d'un proche et pour certains possèdent
des parcelles dans l'ayacut considéré.
A l'exception de trois system tanks
alimentés par le TMC (Thirumangalam Main Canal), tous les tanks
sont affectés d'un ou plusieurs fonctionnaires1 (cf. figure
16). Les plus représentés sont les thotties et les
madaiyans pour les system tanks, les neerkatties et
les thotties pour les non-system tanks. Quantitativement, ces
non-system tanks sont mieux lotis, ce qui dénote une attention
plus prononcée des collectivités à l'encontre du tank et
qui, dans le cas précis de la partie aval du bassin versant de la
Vaigai, s'explique par l'absence de sources d'irrigation alternatives et donc
d'une dépendance plus forte à l'égard des
tanks.
Cette dépendance crée une
dépendance à l'égard de la mousson, ce qui a pour
résultat de fragiliser le système par le caractère
incertain des précipitations et donc des apports d'eau. La
présence de fonctionnaires est particulièrement importante lors
des périodes de déficit hydrique qui incitent aux rationnements
de l'eau2 pour un partage équitable et pour une distribution
spatiale optimale lorsque cela est possible. Ils peuvent aussi inciter les
paysans à utiliser des variétés de paddy à cycle
court si les prévisions ne sont pas bonnes (Seenivasan, 2003). La
prépondérance des madaiyans dans les system tanks,
au dépend des neerkatties, est le signe d'une fourniture
en eau plus importante en volume et sécurisée, qui
nécessite malgré
1 Fonctionnaire est entendu
ici dans le sens d'appliquer une fonction et non comme un agent de
l'état
2 Plusieurs types de
rationnements sont possibles : apports de la tête à la queue de
l'ayacut ou l'inverse, rotations des apports selon les parcelles ou selon le
temps, aucune fourniture aux propriétaires de puits, ou alors accord
spontané entre les ayacutdars de leur propre chef (recours rare
car difficile à mettre en place).
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Le bassin versant de la Vaigai-Periyar,
unité régionale d'analyse spatiale et sociale des
tanks
tout une personne chargé de l'ouverture des
vannes. Ces derniers sont généralement mieux
rémunérés par les ayacutdars que les
thotties1.
Figure 16- Nombre et type d'employés
chargés des opérations d'irrigation dans les tanks
sélectionnés
1 Les
rémunérations s'effectuent principalement en nature ; ici, de 0.8
à 4.4 marakkal/ha/saison (1 marakkal = 4,5 kg de paddy)
Le bassin versant de la Vaigai-Periyar, unité
régionale d'analyse spatiale et sociale des tanks
41
Figure 17 - Principales actions des
fonctionnaires
42
Le bassin versant de la Vaigai-Periyar,
unité régionale d'analyse spatiale et sociale des
tanks
Ces fonctionnaires ont donc un rôle primordial
dans l'organisation sociale de la gestion de la ressource. Ils contribuent
directement au maintien de son statut de bien commun accessible à tous,
sous condition de posséder ou de travailler une parcelle de l'ayacut.
Dans le cas des tanks gérés par le panchayat ou ceux des
terres anciennement sous régime zamindar, le neerkatti
réunit à lui seul toutes les tâches, non seulement du
fait de la taille réduite des tanks et des ayacuts, mais aussi
en raison de la forte variabilité de l'alimentation.
Plus en détail, la différence du nombre
de fonctionnaires entre les deux types de tanks s'exprime aussi dans les
tâches effectuées qui sont plus diversifiées dans le cas
des non-system tanks (cf. figure 17). Une des différences
fondamentales, dans le cas de non-system tanks, est qu'ils
entreprennent directement ou émettent des recommandations
précises sur les réparations et les opérations de
maintenance à effectuer. C'est particulièrement vrai pour les
tanks du paléo-delta de la Vaigai qui sont les mieux lotis
quantitativement et qualitativement. Dans ce cas précis, ils
représentent une catégorie centrale d'acteur, à partir de
laquelle sont émises les décisions et les recommandations sur les
actions collectives à entreprendre. Si leur statut
héréditaire leur confère un certain honneur auprès
de la collectivité, il leur permet aussi une certaine
légitimité vis-à-vis des paysans, plus à même
de suivre leurs recommandations. Ils constituent donc un rouage essentiel du
système alliant les coutumes traditionnelles et locales de gestion, aux
politiques centralisées et modernisatrices (par le biais du PWD), et
font office de contrepoids à la privatisation rampante de la ressource
qui va de pair avec la multiplication des puits privés (cf. partie
3).
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