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L'Islam et les fondements du pouvoir dans l'Egypte des années 1920

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par Sophia El Horri
Ecole normale supérieure de Lyon - Master 1 d'histoire des idées 2011
  

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CONCLUSION

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Plusieurs philosophes et penseurs arabes contemporains citent L'islam et les fondements du pouvoir comme une oeuvre tournant qui aurait relancé les débats autour de la problématique de l'islam politique. Cet ouvrage d'Ali Abderraziq a constitué, ainsi que nous l'avons présenté dans nos analyses, une véritable affaire médiatique, politique et morale en Egypte lors de sa parution en 1925 car il s'attaquait de manière virulente au califat, et à plus forte mesure, à ses défenseurs au Proche-Orient.

Ce n'est pas tant sa condamnation de l'institution millénaire du califat qui a secoué les positions des plus conservateurs que sa méthode de recherche scientifique et son souhait de détruire l'accumulation de fausses représentations dans la conscience islamique du pouvoir. En effet, pour démontrer l'illégitimité du califat d'un point de vue religieux, il se place dans une posture de doute permanent, et interroge point par point les différentes justifications à un tel pouvoir. Tout d'abord, il commence par définir le terme « calife » et tente d'en sonder l'origine. Il montre que ce terme remonte logiquement au premier calife, Abu Bakr Al-Siddiq, et qu'il a été forgé pour des raisons strictement politiques et temporelles. En effet, il fallait au chef de la jeune nation arabe un titre prestigieux qui lui eut permis de rassembler les tribus arabes autour d'une seule et même guidance. L'auteur ne remet pas en cause le contenu religieux de ce pouvoir, mais insiste sur le fait que la forme de ce gouvernement elle-même était fondée sur une base politique et militaire, donc non religieuse. Nous préférons ce dernier adjectif à « laïque », terme employé par Abdou Filali-Ansary dans sa traduction de cet essai.

Cependant le caractère révolutionnaire de cet essai ne réside pas dans le fait que l'auteur ait publié ce « pamphlet » contre le califat. En effet, nous avons cité à titre d'exemple la dénonciation du califat, comme institution tyrannique justifiant sa domination au moyen de l'arme religieuse, par Abd-Rahmân Al Kawâkibî. Il ne s'agit donc pas d'un essai sans précédent, bien que nous ne remettions pas en cause les perspectives éminemment modernes de son travail. Ainsi, nous avons montré dans nos analyses que l'esprit révolutionnaire d'Ali Abderraziq se concentrait dans sa volonté de tout soumettre à l'examen scientifique, en n'admettant rien pour supposément vrai. Cette représentation idéale et positiviste de la recherche l'a amené à se poser la question de la place politique qu'occupait le

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prophète aux premiers temps de l'Islam. Ainsi, s'il était roi, et c'est en ces termes qu'il se pose la question, cela voudrait dire que le califat aurait une certaine légitimité à se poser comme souverain de la nation arabe. Pourtant, Abderraziq montre qu'un roi n'est dignitaire d'un véritable pouvoir que s'il est à la tête d'un Etat, fort d'une unité du territoire, de la culture et d'un certain nombre d'institutions visant la stabilité et la pérennité de l'Etat. Or, rien ne laisse prétendre que le prophète Muhammad était à la tête d'une telle structure , néanmoins il devait son statut de chef à sa fonction exceptionnelle de messager divin. À partir de cette définition, l'auteur montre que rien ne justifiait le maintien d'un Etat religieux après la mort du prophète, car la mort de celui-ci marquait la fin du message divin.

En outre, Ali Abderraziq s'oppose à plusieurs de ses pairs et contemporains, à l'image de Rachid Rida, lorsqu'il déclare de manière ferme que rien dans le Coran ou la Sunna n'imposait la mise en place d'un tel régime, sous peine d'être en dehors de la droite ligne religieuse. C'est ainsi que l'auteur prône l'adoption du système politique qui sied à chaque nation, et encourage les musulmans à adopter le régime politique qui leur permette de s'engager durablement dans la course au progrès.

L'auteur s'inscrit par ailleurs dans une discipline particulière dans laquelle plusieurs penseurs avant lui se sont lancés : depuis le VIIème siècle, il existe un espace de discussion politique séculier, produit à la fois par des conseillers proches des souverains, des philosophes mais aussi, et cela peut paraître surprenant, des juristes musulmans. Mais c'est réellement Tahtâwî, dans sa démarche d'exploration et d'observation de la civilisation française et des remous révolutionnaires au XIXème siècle en France, qui a attiré notre attention. L'intérêt qu'il a porté aux concepts d'égalité, de liberté et de laïcité dans la charte constitutionnelle de 1814 avait pour but d'enseigner aux égyptiens de son temps, alors lancés dans les grands plans de modernisation de Mehmet Ali Pacha, avait pour but d'apprendre de l'expérience française tout en l'adaptant aux spécificités de la province autonome d'Egypte. Dans certains passages de L'or de Paris, Tahtâwî défend la participation du peuple à la prise de décision politique, directement ou indirectement, ce qui rend nécessaire une éducation à la souveraineté populaire. De même Abderraziq encourage les musulmans à choisir collectivement les conditions politiques dans lesquelles ils veulent évoluer, sans que celles-ci soient imposées par la vérité révélée. Les deux appellent conjointement, à un siècle de différence, à l'élaboration d'une science politique didactique et massive, car l'éducation populaire au fait politique est la clé de l'autonomie de l'individu, le garant de sa liberté et de son égalité.

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Ali Abderraziq accomplit à travers cet essai son engagement à la fois intellectuel et politique. En effet, comme nous l'avons montré, il fait preuve d'un esprit réformiste à l'intérieur même de la sphère religieuse. Ainsi, dans ce cas, à la différence du schéma kémaliste de laïcisation, il s'agit d'un acteur interne à l'orthodoxie qui procède à une critique rétrospective des représentations inhérentes à la conscience islamique du pouvoir. Mais le contenu de l'essai, bien qu'à vocation généraliste et universaliste, ne peut être séparé du contexte d'abondance politique extraordinaire et conjoncturelle que traverse l'Egypte pendant cette décennie. Il a ainsi réussi à faire fusionner l'arène intellectuelle et l'espace politique autour de cette question de liberté de choix politique, sans que cela soit imposé par l'orthodoxie, surtout si l'institution politique choisie par cette dernière est jonchée de représentations faussées.

Ali Abderraziq a réussi à formuler les problématiques essentielles autour de la question de l'islam politique, sans tomber dans un strict alignement sur la pensée occidentale, et dépasse des dichotomies manichéennes qui dénotent une mauvaise connaissance de la culture arabo-islamique. Cet auteur, ainsi que ceux que nous avons cités, ne réfléchissent pas à travers une grille de lecture purement occidentale de la sécularisation, et n'opposent pas islam à modernité, ou islam à laïcité, comme nous pouvons très souvent croiser dans les publications d'introduction à la pensée politique de l'islam de certains « nouveaux penseurs de l'islam » . Ces dernières ne sont pas légion dans le monde arabe mais sont largement diffusées en Occident, car elles ne sont pas porteuses d'un projet politique concret, réaliste et pertinent sur les situations politiques parfois sclérosées de certains pays arabes.

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