- Sous la direction de M. MAKRAM ABBES, maître de
conférences à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon.
L'université d'Al Azhar : bastion de l'orthodoxie
sunnite.
L'Islam et les Fondements du Pouvoir dans
l'Egypte des années 1920
- Mémoire présenté par Mlle EL HORRI SOPHIA
pour l'obtention du master 1 d'Histoire des Idées.
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REMERCIEMENTS
La première personne que je tiens à remercier
est Mr. Makram ABBES, maître de conférences à l'Ecole
Normale Supérieure de Lyon, qui a su me donner assez de liberté
pour accomplir mon travail, tout en y gardant une lecture critique et
avisée. Les échanges continuels, souples et si enrichissants ont
constitué la clé de la réalisation de ce
mémoire.
Par ailleurs, je dédie ce mémoire à mes
très chers parents qui tiennent une place immense dans mon coeur et qui
ont toujours été là pour me soutenir. Vous êtes pour
moi la véritable école de la vie. Que Dieu vous
protège.
A une personne unique au monde, Kamal, mon amour pour toi est
sans limite.
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
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4 à 8
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PREMIERE PARTIE : La question du califat, une
institution dominatrice, temporelle et illégitime
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9 à 40
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I. L'ISLAM ET LES FONDEMENTS DU POUVOIR
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10 à 27
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II. L'APRE DEBAT AUTOUR DE LA QUESTION DU CALIFAT
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28 à 31
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III. LE CALIFAT, SYMBOLE DE TYRANNIE ET DE DECADENCE AU
XIXème SIECLE
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32 à 40
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DEUXIEME PARTIE : Peut-on réellement
considérer la thèse de Ali
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Abderraziq de thèse révolutionnaire et sans
précédent ?
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41 à 62
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I- LE CARACTERE EMINEMMENT MODERNISTE DE L'ISLAM ET LES
FONDEMENTS DU POUVOIR
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43 à 56
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II- L'ISLAM ET LA POLITIQUE, DEUX PROBLEMATIQUES DEJA
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DISTINGUEES ET TRAITEES DE MANIERE SECULIERE
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57 à 62
|
AVANT LE XIXème
SIECLE
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TROISIEME PARTIE : L'ère
libérale égyptienne, perspectives politiques du combat d'Ali
Abderraziq à travers l'Islam et les Fondements du
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63 à 72
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Pouvoir
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I- L'ERE LIBERALE EGYPTIENNE
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65 à 67
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II- POLITIQUE ET RELIGION DANS LE SCHEMA KEMALISTE
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68 à 71
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III- LE WAFD SOUTENU ENTRE AUTRES PAR ALI ABDERRAZIQ :
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UN COMBAT POUR LA DEMOCRATIE REPRESENTATIVE
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72 à 73
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CONCLUSION
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74 à 76
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BIBLIOGRAPHIE
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77 à 80
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4
INTRODUCTION
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Ali Abderraziq (1888-1966) est un théologien juriste
musulman, diplômé en sciences religieuses de l'université
Al Azhar. Il est cité dans plusieurs ouvrages consacrés à
la pensée politique moderne comme référence pour son
projet de réforme séculière sans précédent.
Malgré sa formation et son statut de recteur de l'université d'Al
Azhar, bastion de l'orthodoxie sunnite, il a produit une réflexion
nouvelle sur le gouvernement en islam et a relancé les débats sur
les relations entre islam et politique, débats toujours valables et qui
ont jalonné la pensée politique contemporaine.
En 1925, dans un contexte national et régional
mouvementés, paraît L'islam et les fondements du
pouvoir1 , un essai de moyenne envergure écrit par Ali
Abderraziq, qui s'est révélé être un
véritable coup de grisou dans les bibliothèques de
l'époque vu le nombre impressionnant de réactions auxquelles Ali
Abderraziq a dû faire face. L'ouvrage L'islam et les fondements du
pouvoir se posait la question de la légitimité du califat
dans les textes et tente de fonder son argumentaire en remontant au temps du
prophète pour questionner les raisons d'existence d'un tel modèle
politique figé. Les années 1920 sont marquées aussi bien
en Anatolie qu'en Egypte par une lutte de toutes parts autour de la question de
la conservation ou de la suppression du califat. Ali Abderraziq, bien
qu'alim de l'université d'Al Azhar, se prononce avec ferveur
contre cette institution qui, selon lui, serait illégitime et purement
temporelle. Au contraire, le califat serait selon lui l'instrument d'une
domination temporelle et purement politique. L'auteur appelle à
l'abandon d'un tel système vétuste et obsolète, et
à la reprise des recherches en science politique pour pouvoir
élaborer le système politique qui sied le mieux aux musulmans.
L'appel à une science politique séculière n'est pas
l'élément le plus révolutionnaire de cet essai. En effet,
Ali Abderraziq a certes développé une réflexion et une
argumentation éminemment modernes sur l'entremêlement entre
religion et politique, mais ce n'est pas tant cela que l'objet de sa
recherche--le prophète--qui est révolutionnaire. Il n'est pas
ordinaire qu'une interrogation critique soit adressée à des
représentations fortement ancrées dans les conceptions
dominantes, à l'orthodoxie et à ses symboles sacrés.
Comme l'a très bien remarqué Abdou
Filali-Ansary, dans son article "Ali Abderraziq et le projet de remise en ordre
de la conscience islamique"2, l'ouvrage dont il est
1 'Imara M., Al-islâm wa usûl al-hukm,
li 'Ali 'Abd al-Râziq (De l'islam et des fondements du pouvoir, de
Ali Abderraziq), al-mu'assasa al-'arabiyya li-l-dirâsât wa-l-nashr,
Beyrouth, 1972.
2 Abdou Filali-Ansary , « Ali Abderraziq et le
projet de remise en ordre de la conscience islamique »,
Égypte/Monde arabe , Première série ,
L'Égypte en débats.
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question a constitué un évènement majeur
dans les pays musulmans et a relancé le débat sur la relation
entre islam et politique. Ali Abderraziq a réexaminé de
façon minutieusement scientifique la conception islamique du pouvoir qui
se schématisait par la dichotomie entre l'établissement d'un
régime politique moderne ou l'instauration d'un état régi
par la foi islamique. Il n'est pourtant pas l'inventeur d'une science nouvelle,
ni en matière de théologie ni en matière de politique.
Mais il adopte une convergence et une harmonisation intéressantes entre
vocabulaire de judicature religieuse et schéma démonstratif plus
scientifique, qui s'appuie sur l'histoire et sur une raison plus
positiviste.
Le Califat vient d'être aboli en 1924 par Atatürk.
Dans le monde arabe, et plus particulièrement en Egypte et dans
l'entourage du Roi Fouad, on réclame avec vigueur la restauration de
cette antique institution qui remonte à la mort du prophète, bien
qu'elle ait grandement perdu de son prestige et de son influence. L'oligarchie
arabe désirait la restauration d'un califat arabe après tant de
siècles de confiscation de la guidance du monde musulman par les Turcs.
Or voilà qu'Abderraziq, avec son livre, remet en question
l'opportunité et surtout la légitimité du califat. Avec
vigueur et méthode, il pose les questions de la relation du profane et
du sacré, du politique et du religieux, de l'histoire et de la foi. Son
essai provoque des réactions extrêmement violentes. Il a
été, à titre d'exemple, dégradé de son poste
de professeur, et s'est vu ôter son droit de plus publier d'autres
livres.
Abderraziq ne méconnaissait pas évidemment le
fait que le prophète Muhammad avait exercé des fonctions
politiques à la tête de la « cité-état »
de Médine. Mais, considérant que la révélation
confère aux prophètes des pouvoirs plus importants qu'à
d'autres mortels, il estime que le pouvoir exercé par le prophète
a été totalement différent de celui que peut exercer un
autre successeur politique. À partir de cette réflexion, Ali
Abderraziq refuse l'idée pourtant véhiculée par l'histoire
musulmane- selon laquelle il y aurait un modèle islamique de pouvoir
fondé sur les données de la Révélation. Se penchant
autant sur la pensée d'Ibn khaldun que sur celle de son contemporain
Rachid Rida, il incrimine ce qui est, pour lui, une grande illusion :
l'illusion d'une institution infaillible qui a privé les musulmans de
chercher par eux-mêmes des solutions efficaces à leurs
problématiques politiques. Dès les années 1920, Ali
Abderraziq a affirmé que rien n'interdisait aux musulmans de se donner
des types de gouvernement leur paraissant mieux appropriés. Les sciences
politiques et sociales ont, selon lui, le droit d'être autonomes par
rapport aux prescriptions religieuses.
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Il faut lire L'islam et les fondements du pouvoir
comme un ouvrage qui interpellerait encore la conscience contemporaine vu
les problèmes que traverse la civilisation arabe musulmane. Mais, c'est
aussi une oeuvre de son temps, native d'une décennie de crises et de
tentatives de structurations. S'il s'intéresse à la question du
califat, c'est que le contexte politique y incite. Néanmoins, l'auteur
étant expert en questions théologiques, il est plus à
même de produire une argumentation efficace et convaincante pour saper la
légitimité du califat. Etant un fervent défenseur de la
fondation d'un système politique séculier, il n'est pas pour
autant le premier à penser en termes de science politique non
religieuse. En effet, il s'inscrit dans la lignée de penseurs
médiévaux et d'auteurs du XIXème siècle
qui réfléchissent à une science politique profane, qu'il a
par ailleurs éludés dans son essai. Enfin, les années 1920
apparaissent comme une décennie charnière de la vie politique et
sociale en Egypte : le pays assiste à la rédaction de la
première constitution de son histoire, et devient le
théâtre de luttes politiques entre monarchistes conservateurs et
libéraux nationalistes. Ali Abderraziq réalise à travers
l'écriture et la publication de son essai en 1925 une initiative
citoyenne qui répond à son engagement envers les libéraux
en Egypte et à son occasion de déconstruire une conscience
islamique qui, selon lui serait fondée sur l'illusion de pouvoir
invoquer un passé qui demeure dans les mentalités comme un
âge d'or glorieux. Il est ainsi primordial d'analyser de plus près
la profusion extraordinaire qu'a connue la vie politique en Egypte pendant la
décennie.
Nous commencerons notre analyse des fondements du pouvoir en
islam par l'examen des arguments et thèses présents dans l'essai
de Ali Abderraziq. Nous tenterons d'expliquer comment l'auteur procède
pour refonder la conscience islamique du pouvoir entre un modèle
irréalisable, le califat en tant que guidance légitime du monde
musulman, et une réalité inacceptable, la nécessité
d'un système politique temporel qui réponde aux enjeux et
problèmes de son époque. L'essai devient le conflit vivant entre
expression traditionnelle et un contenu caractérisé à la
fois par une quête de la vérité, une grande verve et un net
souci de précision. Il tente de démontrer tout au long de cet
ouvrage l'illégitimité du califat, qu'il ramène à
un niveau terrestre, pragmatique et temporel d'expression d'une domination au
nom de préceptes religieux inexistants dans les textes sacrés.
Ali Abderraziq se révèle être un acteur réformiste
interne et inhérent à l'orthodoxie qui tente de favoriser dans sa
démarche le rationalisme contre des représentations
traditionnelles héritées et imposées qui se
révèlent fausses.
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Nous tenterons ensuite de démontrer en quoi sa campagne
contre le califat en faveur d'un système de représentation
politique séculière s'inscrit dans la lignée de penseurs
qui ont réfléchi sur des questions politiques qui
échappaient à une logique religieuse. Nous nous pencherons
notamment sur Rifa`a Tahtâwî et son intérêt pour la
constitution française de 1814, et l'esprit révolutionnaire de
1789. En effet, sa traduction de la charte de 1814 sur les concepts clés
de la civilisation française, qui lui était au départ
étrangère, a permis d'exporter les principes des Lumières
égalité, liberté et laïcité auprès de
l'intelligentsia égyptienne. Nous tenterons de comparer les
démarches de ces deux penseurs qu'un siècle sépare et
pourtant proches par les enjeux réformiste et pédagogique qu'ils
véhiculent. Il existait évidemment une pensée politique
séculière dans le monde arabo-musulman avant 1830, mais elle
n'avait pas pour visée une éducation aussi populaire et
massifiée de cette discipline comme elle existe chez Tahtâwî
par exemple. L'objectif était, autant pour Ali Abderraziq que pour
Tahtâwî, de réunir le débat théorique et la
controverse politique sur la même arène, et qu'à long terme
l'une influence l'autre.
Enfin, notre troisième partie se concentrera sur
l'ère libérale égyptienne, période charnière
qui s'étend de 1923 jusqu'en 1952, et qui a été une
véritable école de la politisation dans toutes les couches de la
société. Il est utile aussi de rappeler le contexte dans lequel
ont germé les luttes autour du califat, en Egypte mais aussi en Turquie
avec le modèle politique kémaliste.
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