DEUXIEME PARTIE :
UNE CONSTITUTION COMPLETEE DANS SES FONCTIONS
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Pour amorcer l`analyse des certitudes théoriques de
l'incursion de la communauté internationale dans la vie
constitutionnelle togolaise, Le Doyen
KPODAR se posait la question suivante: « Accords
politiques: déconstitutionnalisation ou constitutionnalisation
?»155 Et pour répondre, il adopte une
démarche à double détente. La première atteste
d'une déconstitutionnalisation consommée, résultant, selon
les termes mêmes de MOYEN Godefroy156, de la conception
formelle de la constitution, et la seconde consiste à avoir une vision
réaliste et pratique (de la constitution) surtout dans une jeune
démocratie. Il s'agit là d'une approche matérielle de la
constitution.157
Il apparait dès lors, une conception optimiste, sinon
utilitariste des accords politiques qui postule leur caractère salutaire
et complémentaire ; et qui témoigne d'ailleurs, de la
nécessité d'en faire des normes du droit positif. Cette
conception se base sur l'incapacité de l'ordre constitutionnel ou du
moins juridique, à juguler à lui seul, les crises au sein de
l'Etat158. Par ailleurs, certains évoquent la nature
même de la crise laquelle, serait au-delà du débat
juridique, parce que relatif à la source même du droit,
c'est-à-dire au phénomène du pouvoir.
En tout cas, il semble établi que le complément
de la constitution est une nécessité dans la mesure où, il
constitue pour elle, une sorte d'avant-garde et un podium de perfectionnement.
Cette nécessité semble être justifiée par les
lacunes inhérentes à la constitution elle-même, par
l'urgence de corriger celles-ci et surtout de rétablir un certain
consensus sur le fondement même de la gestion des affaires publiques.
Dans cette perspective, on peut affirmer que les accords
politiques sont non seulement un complément avéré
(Chapitre I) à la constitution mais, en plus le fruit d'une
nécessité bien comprise. En d'autres termes, il s'agit d'un
complément justifié (Chapitre II).
155 KPODAR (A.), « La communauté internationale et le
Togo... » op.cit. p.42
156 MOYEN (G.), « Les accords de sortie de crises... »
op.cit., p.
157 Idem
158 Le principal tenant de cette vision est le Professeur Jean DU
BOIS DE GAUDUSSON qui la rappelle dans
plusieurs de ces écrits notamment l'accord de Linas
Marcoussis, « constitution sans culture constitutionnelle n'est que rune
du constitutionnalisme ».
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CHAPITRE I : UN COMPLEMENT AVERE
S'il est « vrai que les normes constitutionnelles ne
peuvent assurer à elles seules la régulation des rapports
politiques»159, il est aussi vrai que «
trop d'évènements qui ont placé l'Afrique au premier
rang de l'actualité parfois tragique, confirment la pertinence de ces
propos »160. Pour Jean du Bois de GAUDUSSON, la
révolution de ces nouvelles crises, suscite et nécessite de
nouvelles approches et procédures. Elles sont un dosage subtil et
véritable de légalité, de recours au droit et à des
négociations politiques. Elles s'accompagnent en général,
mais pas nécessairement, de l'intervention d'un tiers,
personnalité ou institution, organisation internationale, sous
régionale ou spécialisée, jouant le rôle de
médiateur161 ou de facilitateur162. Pour lui en
effet, l'histoire récente permet de conclure que l'Afrique offre
plusieurs exemples de modes alternatifs de règlement de crise qui
attestent véritablement d'un complément établi de la
constitution (Section I). Seulement, il faut, selon les termes du Professeur
KPODAR, « au pire des cas, soit constitutionaliser ce recours aux
accords politiques en cas de crise (...), soit à les considérer
comme le résultat d'un véritable processus coutumier qui
répond à tous les acabits caractéristiques d'une telle
démarche »163. Ce qui exhibe une véritable
urgence d'attribuer aux accords politiques le caractère de normes de
droit positif (Section II).
SECTION I : UN COMPLEMENT ETABLI
Le complément de la constitution par les accords
politiques s'est matérialisé par l'émergence d'un droit
constitutionnel spécial (Paragraphe I), lequel parvient à
protéger l'ordre constitutionnel en vigueur (Paragraphe II).
159DU BOIS DE GAUDUSSON(J) cité par
CONAC(G), « Succès et crises du constitutionnalisme africain
», in
Les constitutions africaines publiées en langue
française, Paris, Bruylant, 1998, p.12. 160Idem.
161 La médiation peut être nationale ou
internationale. Pour plus de précision lire utilement TCHIGNOUMBA (P.),
« Aperçu historique de la situation sociopolitique au Congo
après la guerre du 5 juillet 1997 et avant les accords de cessez-le feu
et la cessation des hostilités du 15 novembre et décembre 1999
»in Mélanges en l'honneur de Jean GIQUEL, Paris,
Montchrestien, 2008, p.376
162 OULD LEBATT (M.E.H.) « Les facilitateurs, nouveau
mécanisme de règlement des crises: l'exemple des
négociations de paix inter burundaises »,
Francophonie et démocratie, Paris, Pedone, 2007, pp. 336 et
suiv.
163 KPODAR(A) « La communauté internationale et le
Togo... » op.cit.p.42.
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Paragraphe I : L'émergence d'un droit
constitutionnel spécial
Il n'est sans doute pas aisé de songer aux modes
alternatifs de règlement des différends lorsqu'on aborde le champ
constitutionnel. Cela parait d'ailleurs redondant dans la mesure où il
s'agit du droit des droits. On constate donc avec la pratique des accords
politiques(B) qu'il y a une transcendance de l'incompatibilité
originelle entre constitution et négociation(A).
A : La transcendance de l'incompatibilité entre
constitution et négociation
L'incompatibilité entre la constitution et les modes
alternatifs de règlement des différends tient à la nature
même des deux mécanismes(1), cependant la nature et
l'environnement de la crise semblent ne pas laisser le choix(2).
1 : L'incompatibilité originelle entre
constitution et négociation
Le droit constitutionnel est le droit des droits. Il peut
même être considéré comme un droit sacré.
C'est le droit où tout ce qui se passe est a priori
établi. En effet, la constitution contient des règles
péremptoires qui régissent l'acquisition, l'exercice et la
dévolution du pouvoir. Pour Pierre AVRIL, « lorsqu' une norme
constitutionnelle prescrit un comportement déterminé, il n'y a
plus de place pour un quelconque jeu du pouvoir. Les acteurs sont tenus de se
conformer à la prescription, sans possibilité d'en moduler
l'application. »164 Ainsi présenté, le droit
constitutionnel ne semble présenter aucune porte ouverte à la
médiation, à la facilitation, à la conciliation et a
fortiori à la transaction. Tous ces mécanismes qui postulent
la négociation ouvrent la voie à la notion de volonté
contractuelle en matière de pouvoir. Or, celui-ci est soumis de
façon pérenne, à un ensemble de règles quasi
intangibles. La séparation des pouvoirs, le fonctionnement de
l'exécutif, les élections. Chacune de ces institutions a un
régime bien défini, qui présente d'ailleurs un
caractère impératif et erga omnes165. Le
régime même de la résolution des crises est un
régime rigide et de force. L'essence de l'état de siège,
l'état d'urgence et la dictature constitutionnelle atteste cet
état de choses. Dès lors, on conçoit difficilement comment
pourrait se produire une négociation dans un domaine de
164 AVRIL (P.) « Une convention contra legem la
disparition du « programme » de l'article 49 de la constitution
» in Mélanges en l'honneur de Jean GIQUEL, Paris,
Montchrestien, 2008, p.10
165 On dit d'une règle qu'elle est « erga omnes
» quand elle s'applique à tout le monde. En droit international ce
sont des règles qui s'appliquent aux Etats en dehors de leur
consentement.
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puissance publique et surtout, dans un domaine qui requiert de
l'intransigeance telle que la résolution de la crise.
Certes, on pourrait songer à une négociation
officieuse entre le gouvernement et le parlement, entre les candidats à
une élection, mais pas en tout cas en matière de
résolution de crise. Cependant la situation est telle, qu'on semble
obliger d'assouplir cette rigidité.
2 : La nature et l'environnement de la crise
Il est clair que dans un Etat stable les mécanismes
constitutionnels de résolution des crises, semblent inviolables. On se
souvient encore de la guerre déclenchée en juillet 2011 par le
gouvernement britannique contre les mouvements sociaux166. Comme
preuve, on peut brandir la quasi inexistence des accords politiques dans les
grandes démocraties. Il semble donc s'agir d'un syndrome propre à
l'Afrique167. Ceci suscite inévitablement de la
curiosité. Pourquoi l'Afrique semble se présenter comme le
terreau de ces nouveaux modes ? Parce que, c'est justement là, que les
crises sont imputables à ceux qui sont au pouvoir. En effet, lorsque on
jette un regard panoramique, on se rend à l'évidence que les
causes de la crise se retrouvent soit, dans la contestation de la
régularité des élections (l'opposition, ou plutôt
les perdants, accusent les vainqueurs d'avoir truqué les
résultats), soit dans la gestion même des affaires publiques, tel
que le témoigne le printemps arabe.
En d'autres termes, les dirigeants font appel au droit mou ou
souple168, parce qu'ils ont quelque chose à se
reprocher169. En 1999, le président togolais de
l'époque, le Général Gnassingbé Eyadema, a
accepté les négociations de
166 On oppose cette situation à celle du Togo où
devant le soulèvement des étudiants, le Gouvernement et les
autorités universitaires ont dû recourir à la signature
d'un accord tripartite dans le courant du mois de Juillet 2011.
167 Pour MOYEN Godefroy, les accords de sortie de crises
politiques et constitutionnelles montrent un certain génie du continent
africain en matière de création de normes constitutionnelles.
Voir MOYEN (G), « Les accords de sortie de crises politiques et
constitutionnelles en Afrique : le cas de la République
Démocratique du Congo... » op.cit. p.1
168 Sur ce point on peut lire utilement Le droit
souple, les actes du colloque organisé par l'association Henry
CAPITANT, Paris, Dalloz, 2009
169HERING n'avait-il pas vilipendé la
transaction en soutenant que « transiger sur un droit bafoué afin
de s'épargner les ennuis et les frais d'un procès, c'est
déserter devant un combat nécessaire ». MALAURIE (P) AYNES
(L), Droit civil les contrats spéciaux, Paris, Cujas, 1997,
p.579
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Ouagadougou parce qu'un an plutôt, il a gagné les
élections dans des circonstances mystérieuses170.
En Côte d'Ivoire, personne n'ignore les circonstances
qui ont conduit à la crise et à la signature de l'accord de Linas
Marcoussis et de son contingent de successeurs. Il en est de même au
Kenya et au Zimbabwe.
La situation maghrébine est plus complexe. Là,
les gouvernants règnent sans partage. Par ailleurs, ils s'entourent
d'une minorité exclusivement composée des membres de leur famille
et prennent le pays en otage, s'appropriant tous ses biens et arrachant du coup
à leur peuple, la qualité de souverain. Il n'y a pas de citoyens
mais tout simplement des sujets.
Des lors, pour éviter d'être emportés par
les révolutions, ils sont obligés de négocier. Quand la
négociation ne marche pas, la dynastie régnante tombe en
décadence. Souvent en débandades, ces monarques et leur suite
laissent derrière eux un pays presque en déliquescence, comme
l'atteste la situation en Tunisie et en Egypte. Par contre, quand les
négociations sont fructueuses, on aboutit aux accords. C'est ce qui
s'est passé avec les conférences nationales en Afrique noire
francophone en 1990. Dès lors, on aboutit à la transcendance de
l'incompatibilité originelle entre constitution et
négociation.
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