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La négociation de la prise en charge dans une maison de repos et de soins bruxelloise

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par Anne- Claire ORBAN
Université libre de Bruxelles - Master en anthropologie 2012
  

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10.2 Différents groupes, différents territoires, différentes approches

«L'identité que le chercheur se voit d'entrée de jeu attribuée repose pour une part sur des caractères immédiatement perceptibles comme le sexe, le type racial, l'âge apparent, la qualité physique. Elle induit sur ses interlocuteurs des attentes et des réactions plus ou moins stéréotypées, qui orientent en retour son mode de présence » (Bizeul 1998 : 754)

Quel ne fut pas mon désarroi face à une population importante (+1- 240 personnes) mais surtout très hétérogène (cf. les 4 premiers chapitres) ! Comment alors aborder cette dernière ? Olivier de Sardan apporte une première réponse à ma situation. L'auteur prône la méthode ECRIS - Enquête Collective Rapide d'Identification des conflits et des groupes Stratégiques -, où il considère le paysage social comme une « arène » : « un lieu de confrontations concrètes d'acteurs sociaux en interaction autour d'enjeux communs » (2003 : 24). Toutefois, dans mon cas ethnographique, il ne s'agit pas de conflits au sens fort mais plutôt de négociations. J'ai donc opéré une première division, classant la population en trois groupes distincts sociologiquement : les résidents ; le personnel ; les « électrons libres », pour la plupart, des « externes ». Comme le remarque Caratini, la pratique du terrain est un « ensemble de relations qu'il faut établir avec des inconnus sur leur propre territoire » (2004 : 22), j'ai utilisé différentes approches pour appréhender ces divers « territoires », en fonction notamment, de mes « caractères immédiatement perceptibles ».

· Le groupe « Résidents ». La moyenne d'âge de ce groupe monte à 82-83 ans (d'après les chiffres de la direction). La limite d'âge pour entrer en maison de repos (en Belgique) est de 60 ans et une maison de repos belge ne peut accepter que 10% de résidents en dessous de cette limite. Sur mon terrain, je n'ai interrogé qu'une personne de 58 ans. Il faut toutefois se rendre compte que ces jeunes personnes sont arrivées « pour une bonne raison » (Mme Tulipe, assistante sociale) et ne s'apparentent pas à une personne de 58 ans à l'extérieur de l'établissement. Ces jeunes ne constituent donc spécialement une source d'informations «plus fiable » qu'une personne de 90 ans.

Mes répondants officiels (entretiens seul à seul, parfois sur rendez-vous, avec dictaphone, dans leur chambre) se divisent entre 7 femmes et 7 hommes. Ceci n'est pas représentatif du sexe-ratio de la population de la maison de repos qui, comme beaucoup d'autres, comprend plus de femmes que d'hommes. Ces répondants sont pour la plupart d'origine belge et dépendent du CPAS. Un problème rencontré avec ces personnes âgées en général a été leur perte de mémoire et donc l'oubli constant du pourquoi de ma présence.

102Entendez bien que je ne séduis pas les personnes âgées au sens fort, mais que mes caractéristiques physiques (blonde, blanche, jeune) m'ont fait directement appréciée par les résidents.

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Néanmoins, les personnes étant habituées à voir défiler du monde et ayant envie de parler, cette perte de mémoire n'a pas entravé mes recherches. J'ai d'ailleurs été étonnée de la facilité avec laquelle certains me parlaient de problèmes intimes, de problèmes avec le personnel, sans se soucier de savoir qui j'étais. Dans ce groupe, le fait d'être une fille, belge, à l'allure classique, leur rappelant peut-être l'une ou l'autre petite-fille, semble avoir joué en ma faveur. Et le directeur me l'avait annoncé au départ, les résidents ne verraient selon lui, aucun inconvénient à parler « à une jeune fille blonde » (Mr Marc).Ces personnes ne demandaient pas un degré confiance important, la séduction a donc suffi102.

Dans mon cas, ce qui a dicté mes choix de répondants a été évidemment le degré de capacité des personnes à pouvoir me répondre. Tant pour la phase exploratoire que celle d'observation (Quivy et Van Campenhoudt : 2006), j'ai utilisé la technique « boule de neige » (via des conseils du personnel ou de résidents) pour rencontrer des personnes cohérentes et « s ondables ». J'ai également participé aux activités proposées par l'ergothérapeute ainsi qu'au conseil des résidents (1fois/3mois), ce qui m'a donné un aperçu des personnes cohérentes, sachant parler de manière compréhensible. Néanmoins, et je reprends l'expression d'Isabelle Mallon (2005), seules ont accepté de converser, les personnes ayant un « moi acceptable ». Ainsi, certains m'ont refusé la conversation, se trouvant trop vieux, ou plus assez en forme. Malgré mon avis contraire, considérant la personne comme tout à fait capable de répondre, j'acceptais ces refus. Situation qui illustre, comme dans toute ethnographie, la dépendance du chercheur face à ses interlocuteurs (Bizeul 1998 ; Caratini 2004).

· Le groupe « Personnel ». Les personnes rencontrées, maj oritairement des femmes, se situent entre 25 et 50 ans. J'ai récolté les témoignages complets (entretiens seul à seul, avec dictaphone et questions précises) de 7 femmes et 1 homme. Comme je le disais, et comme me l'a confirmé Guy Lebeer, le personnel de soins (les membres du personnel d'entretien rencontrés étant plus francs), se réfugient souvent derrière le règlement, reprennent les mots officiels pour expliquer les situations. Il s'agirait d'une caractéristique du milieu médical.

Ainsi récolter de vive voix des réponses concrètes concernant leur pratique réelle m'a été assez ardu ! La technique prônée par Quivy et Van Campenhoudt (2006) de poser le moins de questions possibles et/ou les plus larges possibles afin de laisser l'individu exprimer sa réalité, n'a ici pas été efficace. D'abord je pense que le personnel avait peur que ces informations ne parviennent au directeur ; ensuite ces personnes ne parlant parfois pas bien

103Ici, participation au sens faible : je suivais une femme d'entretien dans sa tournée de nettoyage, entrant avec elle dans les chambres, mais sans moi-même faire l'acte de nettoyer.

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français, reprenaient les mots exacts que l'on retrouve dans le règlement d'ordre intérieur ; enfin, parler de leurs pratiques à une jeune universitaire belge, venant enquêter sur leur territoire pouvait paraitre violent, d'où un désir de préservation...Pour Olivier de Sardan (2003), il peut aussi s'agir du biais de « désirabilité sociale » : se montrer irréprochable dans sa pratique. Ma porte de sortie alors, sous les conseils de mon lecteur Mr Guy Lebeer, a été de poser des questions les plus concrètes possibles et de sans cesse leur demander d'exemplifier.

Je le disais, le personnel provient principalement de l'étranger, avec une majorité de personnes africaines et marocaines. Dans ce contexte, moi, blonde, blanche, universitaire démarquait quelque peu. Je me suis surprise à modifier ma façon de parler, à adopter un langage plus « populaire », des intonations différentes, afin de moins faire tâche et de me « fondre » dans la conversation... Mon profil a ici joué en ma défaveur.

· Le groupe « électrons libres » : groupe très hétérogène reprenant le directeur, la chef nursing, l'assistante sociale, l'ergothérapeute, le médecin, la psychologue, l'animatrice, les 'cinés, les personnes à l'administration, etc., plus indépendants par rapport à la maison. Citons qu'ils sont pour la plupart belges, aux alentours de 40 ans (26 ans pour la psychologue et 63 ans pour le docteur Tudor) ayant suivi des études, parlant bien français, et plus aptes à comprendre mes questions plus abstraites. Des trois groupes, c'est de celui-ci dont je me suis sentie socialement la plus proche. Ils ont vite compris ma position et parfois même, comme l'ergothérapeute, m'expliquaient leur point de vue sans même que je ne leur demande, essayant ainsi de m'aider dans ma recherche. J'ai principalement conversé avec le docteur Tudor, avec lequel une certaine amitié s'est nouée, et avec le directeur, j'ai plutôt observé ou parlé de façon informelle avec les autres « électrons ».

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault