Comme l'annonce la COCOM ci-dessus ainsi que le
directeur67, la MRS semble avoir de nombreux points communs avec
l'hôpital. La situation est pourtant plus subtile.
Espace de rassemblement
La matérialité
À ce niveau, il est vrai, les couloirs et les
chambres (cf. photo des ailes médicalisées, voir infra)
ont l'allure plus hospitalière68 : sol et murs lisses et
épurés, longs couloirs droit, néons au plafond, mobilier
fonctionnel (cf. Ci-à gauche), peu de décoration ni de
personnalisation.
Un local de pause a été accordé
par le directeur, à la demande du personnel : selon lui, un local
interdit aux résidents et réservé au personnel, au milieu
du lieu de travail, est une caractéristique du milieu hospitalier. Dans
d'autres maisons de repos, dit-il, il existe un lieu de pause pour
résidents et personnel. Néanmoins, les portes de ces
locaux (au niveaux 1 et 2) restent toujours ouvertes. Michel Castra (2003)
montre que l'ouverture de ces dernières se trouve être une
caractéristique des locaux de personnel de soins ; cela permet au
personnel de rester attentif aux événements extérieurs.
Erving Goffman définit les moments de pause, donc retirés de la
scène, comme des moments où les acteurs peuvent se relaxer,
où ils peuvent oser parler de propos hors
66 Philosophie entendue ici comme une
«Manière de voir, de comprendre, d'interpréter le monde, les
choses de la vie, qui guide le comportement » (Larousse 2013).
67 En effet, me dit-il, les soins dispensés
dans l'établissement sont de plus en plus techniques et complexes,
réduisant ainsi les allers-retours vers l'institution
hospitalière, fatigants pour les résidents.
68 Attention, j'ai annoncé qu'il s'agissant d'
« idéaux-types », donc par définition, irréels
et ne renvoyant pas à un lieu précis et unique.
63
profession. Cependant l'auteur parle d' «
extrême limite », c'est-à-dire que les acteurs peuvent
s'éloigner de la scène, de leur profession, de leurs devoirs,
mais à tout moment, ils doivent pouvoir revenir dans leur fonction. Ils
ne peuvent pas dépasser la limite qui les empêcherait alors «
lorsque l'alerte est donnée, [de] se ruer comme [des] fou[s] à
[leur] place pour ne pas se faire prendre hors de la base » (1973a : 214).
Il me semble que la fermeture des portes symboliserait le point de non-retour,
le franchissement de la limite, empêchant alors les soignants
d'être à l'écoute et de rapidement
réagir.
Revenons aux fournitures « hospitalières
» de l'établissement : au sol des ailes médicalisées,
du vinyle. Cela facilite le nettoyage mais également la circulation des
chariots ou des chaises roulantes ainsi que des personnes ayant des
difficultés de marche (sol égalisé et lisse). Des plans
inclinés remplacent également les anciens escaliers des ailes
médicalisées. Au niveau des chambres, les résidents
dorment tous, sans exception (MR et MRS), dans des lits
médicalisés (c'est-à-dire avec possibilité de
monter et descendre le matelas, de placer des barreaux et un perroquet)
à côté de tables de nuit sur roues, munies d'une plaque
rabattable permettant de manger couché. Une résidente, Mme Va.,
me fait remarquer que les lampes dans les chambres ne sont pas centrales comme
dans la plupart des habitations, mais bien placées au dessus du lit,
sous forme de néon, comme dans la plupart des chambres
hospitalières. Elle n'apprécie pas cela. Les arguments
avancés par le directeur pour expliquer ces intrusions de
matériaux, d'objets hospitaliers sont les suivants : si l'état de
la personne se détériore, elle pourra néanmoins rester
dans sa chambre, le matériel étant déjà sur place.
La logique suivie semble être de mettre du médical dans
le domicile pour assurer justement ce maintien au domicile le
plus longtemps possible, sans devoir déménager dans du
médical... Vous me suivez ? Ces lits, tables de nuit, douches
adaptées aux chaises roulantes, sont donc imposés à tous
les résidents par mesure de prévention.
Le fonctionnement d'équipe
L'équipe nursing fonctionne comme le fait une
équipe hospitalière, à la structure « pointue »
: les fonctions y sont fortement hiérarchisées. Le directeur me
rappelle : « elles se croient comme à l'hôpital ici, et c'est
vrai, les équipes sont les mêmes au fond... », ou Julie,
aide-soignante, « ici c'est les mêmes équipes qu'à
l'hôpital hein, c'est la même chose... les mêmes fonctions !
». Mathilde, aide-soignante, y voit pourtant une différence notoire
:
« ça bouge plus ! là, y a du
travail ! parfois, c'est une collègue qui disait : « hé, il
est 15h30 !! » parce qu'on travaille tellement qu'on oubliait le temps !
ici c'est différent, c'est la routine... le
64
temps passe pas, tous les jours c'est la même
chose... à l'hôpital, les cas sont différents ! toutes les
2 ou 3 semaines y a du changement, c'est motivant ! on change de tâche
tout le temps ! » (Math.).
Si à l'hôpital, il existe un haut «
turn over » des personnes hospitalisées, dans une MRS, et ce n'est
un secret pour personne, « ils sont là pour mourir », donc
pour un temps indéterminé, parfois très long. Ceci donne
en contre partie le temps au personnel de connaître les personnes de qui
ils/elles s'occupent. Le travail se voit moins stressant, plus lent, ce qui est
ici une caractéristique du fonctionnement des unités de soins
palliatifs (Castra 2003).
Les soins
Si les fournitures, l'agencement des ailes
médicalisées, l'organisation des équipes, la «
technicisati on » des soins et l'augmentation du matériel
médical tendent à rassembler autour du pôle hospitalier, au
niveau du travail quotidien des soignants, cela est plus subtil. En effet, les
membres du personnel soignant ayant travaillé en milieu hospitalier
auparavant s'offusquent parfois de ne pas trouver le matériel
adéquat ni les mêmes conditions de travail qu'à
l'hôpital. Ainsi Mr Val. s'indigne devant les bidons de
désinfectant. En maison de repos, sont livrés de gros bidons de
liquide avec lesquels le personnel remplit de plus petits, transportables, qui
serviront aux soins dans les chambres. À l'hôpital me dit-il, le
désinfectant arrive directement dans de petits conditionnements, donc
directement utilisables pour le soin et présentant un degré de
stérilité plus élevé. Aïcha, aide-soignante,
m'explique : « oh ici, on a de plus en plus de matériel hein, mais
bon, toujours pas assez, donc on fait ce qu'on peut ! » et Paola,
infirmière, de conclure : « ici moi je dis, on ne fait pas des
soins stériles, mais on fait des soins propres »,
étant donné les conditions de travail « précaires
» (Mr Val).
Qu'en disent les résidents
?
« le personnel à l'hôpital est
épouvantable ! Ici, ils sont tous gentils... » (Mme Ve.) ; «
oh ici, on ne se sent pas à l'hôpital ! un hôpital c'est
tout à fait différent ! l'hôpital c'est un lieu de douleur
hein ! », « à l'hôpital, c'est le silence ! Puis, c'est
comme un grand magasin, tout se ressemble ! » (Mr Boe.) ; « Quel
horreur là-bas ! Je préfère mourir ici, au calme ! »
(Mme De.)
Les résidents interrogés ressentent une
différence fondamentale avec l'hôpital. Ceci peut être
expliqué en regard de leur « carrière » (Goffman 1968)
personnelle. La « carrière » typique du résident
serait, comme Mr Marc le note, un problème personnel, entraînant
un séjour à l'hôpital, parfois une période de
ré-éducation, et l'entrée en maison de repos et de soins.
Le choc entre mode de vie hospitalier, dans lequel ils sont plongés
brutalement, et leur
69 Attention toutefois, j'ai rencontré des
personnes restant très critiques face à la maison de repos et de
soins malgré un séjour à l'hôpital avant d'y
entrer.
65
vie au domicile est si fort, que le « retour
» dans une MRS, parait une alternative viable. Le passage par
l'hôpital semble adoucir l'entrée en maison de repos et de s
oins69.
*
On le voit donc, d'un regard extérieur, comme
celui du directeur ou le mien au départ de mes observations,
éloigné des pratiques quotidiennes, l'établissement
s'« hospitalise ». Mr Marc tente alors de modifier les objets, les
fournitures, les couleurs bref, la facette « matérielle » de
l'établissement pour se détacher de cette image. Il désire
également accroître l'efficacité et la
régularité des réunions interdisciplinaires, signe d'une
autre approche de soin (cf. infra). Pourtant, malgré un
fonctionnement d'équipe similaire et une certaine idée «
santéiste », le personnel et les résidents, au quotidien, ne
ressentent pas aussi fort cette « hospitalisation » et pointent des
différences notables : peu de matériel, lieu plus calme, plus
serein, plus lent, etc. Les résidents interrogés ne voient
d'ailleurs pas la blancheur des uniformes du personnel comme une
présence de l'hôpital dans la maison de repos, contrairement
à l'idée de Mr Marc. De plus, ils ne semblent pas désirer
investir les couloirs en s'appropriant les fauteuils installés pour eux
(cf. supra), ces derniers restent très souvent
vides.