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61 Pour un ouvrage sur le sujet, je vous conseille CONRAD P.,
2007. The medicalization of society. On the transformation of human
conditions into treatable disorders. Baltimore, Johns Hopkins University
Press.
CONCLUSION PARTIE I
Ou : que retenir pour la suite ?
La première partie de ce travail concernait ce
que Strauss nomme le « contexte lointain » (1992b). Au fil des
chapitres, j'ai montré l'évolution de l'établissement et
son avènement en tant qu'organisation standardisée et ceci suite,
entre autre, à sa taille grandissante et la tendance
générale de professionnalisation du soin et de
médicalisation de la s ociété61 accroissant le
nombre de personnes autour de la personne fragilisée. Si l'organigramme
présenté ici illustre la structure formelle, le « squelette
» de l'organisation selon le terme de Van de Ven (1976 dans Mintzberg
1998), il peut être affiné. Le graphique ci-dessous montre ainsi,
de façon plus subtile, la place des uns et des autres dans
l'organisation. Il met en avant la structure pointue de la ligne
hiérarchique principale, la position extérieure de ceux que je
nomme « électrons libres », le pouvoir externe (CPAS), et la
structure aplatie du groupe d'entretien.
Les places officielles qu'occupent les acteurs dans
la structure organisationnelle conditionnent leurs actions et leurs relations
avec la personne âgée, ainsi que leur rapport au travail. Je
demande alors au lecteur de garder en tête cette structure pour la suite
de la lecture.
Structure analytique
57
PARTIE II
LE CONTEXTE DIT « PROCHE »
Ou : le grand plongeon dans les
négociations.
1mage modifiée,
source :
http://kindo.com/blog/category/famille/fr/
58
Brainstorming reprenant des termes attachés à
la maison observée, c'est-à-dire tant les termes
énoncés lors des entretiens, que les termes
utilisés officiellement dans la maison, notamment dans le
dépliant publicitaire.
CHAPITRE 6 :
UN MYSTÉRIEUX TRIANGLE
Mme Redman : « attendez, attendez [changeant les
piles de la Wii], il faut être patient » Mr Bou. : « Ah oui,
ça on sait qu'ici on est considéré comme des patients !
(Elle rit) mais moi, moi je suis un senior actif !! »
6.1 « Brainstorming » et
catégorisation
Soit ces quelques termes attachés à la
maison de repos et de soins observée :
59
Après lecture de ces termes, revenons à
la définiti on d'une maison de repos et de soins proposée par la
Commission Communautaire Commune :
« Structure intermédiaire entre la maison
de repos et l'hôpital, où sont hébergées, de
manière collective et permanente, des personnes fortement
dépendantes qui y bénéficient des soins requis, de
services collectifs et d'aides à la vie journalière » (COCOM
2013). Structure où la santé est posée comme
impératif illustrant « un état général de
bien-être » et rassemblant dans ce but un « ensemble de soins
infirmiers, paramédicaux, médicaux et pharmaceutiques »
(art. 2 ROI).
Cependant, un tel établissement doit
également être un « lieu de vie » (cf. chapitre 2),
chercher à satisfaire le résident, et créer des «
chez-soi » :
« Le projet de vie est défini par le
gestionnaire et le directeur, en collaboration avec le personnel et le conseil
participatif, en vue de favoriser l'épanouissement et le bien-être
des personnes âgées, tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur de l'établissement » (art. 1/c du modèle
de ROI proposé par COCOM62) ; « [...] Chaque membre du
personnel de l'établissement doit veiller à respecter la vie
privée de la personne âgée » (idem art. 3) ;
« La collaboration active des résidents est sollicitée, tant
dans le domaine du délassement que dans l'aménagement du cadre de
vie » (idem art. 17)
Le directeur m'explique qu'il lui est difficile de
faire passer ces idées (respect, autonomie, vie privée de la
personne âgée) au personnel. Selon lui, le résident doit
être au centre des préoccupations, doit pouvoir être libre
de décider le plus longtemps possible et doit pouvoir assouvir ses
désirs tant qu'ils ne portent pas atteinte à autrui. Ses demandes
doivent être rapportées aux supérieurs hiérarchiques
afin qu'ils prennent les mesures nécessaires63 pour le
satisfaire. Cependant, comme le montre Michel Crozier (1964), plus on
s'élève dans la hiérarchie, moins on accède
facilement au « terrain » et plus les informations reçues sont
biaisées par les acteurs intermédiaires. Ceux qui ont le pouvoir
de décider n'ont pas les informations adéquates, les
intermédiaires les substituant parfois volontairement.
Ainsi le directeur s'insurge contre le fait que le
personnel garde les informations allant à l'encontre de leur philosophie
(notamment les soignants, véhiculant une sorte de «
santéisme » (Aïach 1998), d' « hospitalisme » :
nourriture saine, poumons sains, sexualité absente, primauté de
la vie). Soit le schéma « Rétention d'informations »
(esquissé par Mr Marc. Je l'améliore ici).
62 En effet, la COCOM propose un modèle de
convention et un modèle de règlement d'ordre intérieur
pour tous ses établissements de soins. La maison observée reprend
ces modèles, ne les modifiant que très peu. URL :
http://www.inforhomes-asbl.be/fr/index.php?
option=com_content&view=article&id=274%3Alegislation-modeles-de-documents-inforhomes&catid=1&Itemid=44
63 L'accord de la direction est entre autres
nécessaire pour autoriser le résident à fumer, à
exercer une activité lucrative dans la maison, à apporter ses
meubles, à posséder des appareils électriques (art. 19
ROI).
60
Rétention d'informations
Ceci pose problème. Légalement, si un
résident demande pour mourir, sa demande doit être notée.
Si elle se réitère 3 fois, elle doit être examinée
en équipe pluridisciplinaire et par deux médecins.
J'espère montrer ici l'ambiguïté :
d'un côté, la garantie d'une attention accrue à la
santé grâce à un personnel de soins qualifié, de
l'autre, la promesse d'un lieu de vie adapté et la garantie du respect
de la vie privée, des envies personnelles du résident. Ce sont
ces tensions entre « vie privée » et « lieu de soin
», entre « individualité » et « collectivité
», qui m'ont frappées lors de mes observations de terrain. La
question qui m'est alors venue à l'esprit a été la
suivante : au final, au-delà des définitions officielles,
qu'est-ce réellement qu'une maison de repos et de soins ? Ma
réponse, au fil des observations, s'énonce sous forme de
schéma, mettant en tension trois lieux spécifiques,
représentant il me semble, trois « types idéaux »
:
On peut alors replacer les mots du cercle ci-dessus au
sein de ces trois pôles :
61
Ainsi que les différents
protagonistes64 présents dans la maison et
présentés plus haut65 :
Le tout est de comprendre comment tout cela «
tient ensemble » (Henni on et Vidal-Naquet 2012), comment tout cela forme
un « monde » (Becker 1988) : le monde social de la maison de repos et
de soins... Je trouve dans l'analyse du film Suisse d'Olivier Moeschler, le
même cheminement de pensée et la même mise en forme
triangulaire :
« Dans le « film » du cinéma
suisse et de sa politique [...], il n'y a pas de bons ou de méchants. Il
n'y a que des protagonistes [...] qui se battent parfois pour le premier
rôle, avec leurs desseins et leurs stratégies, leurs
réussites et leurs échecs. [...]. Le triangle
Etat-cinéma-publics est, en Suisse, dans le meilleur des cas, un «
trio » dont chaque membre joue harmonieusement sa partition. Il peut aussi
-- bien souvent -- devenir un « ménage à trois » dans
lequel rien ne va plus, les critiques fusent, les têtes tombent ! Ce
triangle sera notre guide, l'outil heuristique qui nous aidera à
décrire la passionnante histoire de la genèse et des
redéfinitions de la politique du 7ème art en Suisse ».
(Moeschler 2011 : 20)
À l'instar de ce chercheur, le triangle, ici
soins palliatifs-hôpital-domicile, sera notre « outil heuristique
» qui aidera à rendre compte de ce qu'est la prise en charge des
personnes âgées dans la maison de repos et de soins
observée. Avant de passer à l'analyse plus en détails de
ces trois lieux, aux « philosophies »66
spécifiques, se confrontant dans l'espace fermé qu'est
l'établissement de prise en charge, voici une situation un peu cocasse,
observée dans la maison. Regardez la photo « Couloir second
étage ».
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64 J'oublie expressément les
aides-ménagères dans ce schéma, comme elles sont
oubliées dans l'organisation de la maison. Je leur consacre
néanmoins un chapitre entier par la suite. J'oublie également le
personnel administratif qui me semble un peu en dehors de ce triangle.
Néanmoins, je montrerai qu'ils ont également leur rôle dans
la vie des personnes âgées.
65 Notons que certains personnages peuvent prendre
place dans différents pôles, comme c'est le cas de l'assistante
sociale, ou des externes de la maison.
62
Comme vous, lecteur, le constatez, un fauteuil est
installé au milieu du couloir, illustrant le désir de Mr Marc de
se détacher de l'image d'hôpital que véhicule sa maison :
« Vous aimez bien vous [le nouveau style] ? moi je trouve que les couloirs
font trop hôpitaux ! » m'annonce-t-il. Il désire
également, en plus de repeindre les murs en couleur, troquer les
uniformes blancs du personnel pour des uniformes colorés.
Ces trois pôles, ce « triangle infernal
» (Moeschler 2011), s'interpénètrent sans cesse et forment
selon moi la base, mais une base en mouvement, de la maison de repos et de
soins. Cette dernière oscille entre ce trio et subit des ajustements
permanents créant alors certaines tensions entre les acteurs, les uns se
rapprochant d'un pôle, les autres d'un autre.
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