5- ORIGINE HISTORIQUE DU PROBLEME ET SON
DEVELOPPEMENT
Il faut remonter à l'esclavage pour cerner la tradition
de la domesticité en Haïti. La colonie a été
régie par le code noir qui, dans son article 12, stipule : « les
enfants nés d'esclaves
34 Cf. Mildred Aristide, op. cit. , p.22
sont esclaves et sont la propriété du
maître de leurs mères »34. Ainsi s'est
développé tout un commerce d'enfants.
En 1804, le pays a pris son indépendance, mais la
révolution n'a pas vraiment éradiqué le type de
domesticité développé à l'époque coloniale.
Une indépendance sans libération totale et capitale. Les premiers
établissements primaires et secondaires visaient d'abord l'élite
urbaine. Ils étaient surtout composés d'enfants d'officiers de
l'armée, de la classe des gens de couleur... La loi de 1848 a
officiellement permis la création de la première école
publique en milieu rural, mais avec un curriculum différent de celui des
zones urbaines .
Les 150 millions de francs payés pour la dette de
l'indépendance ont ruiné le milieu paysan. Le code rural de 1826
a renforcé les contrôles des autorités civiles et
militaires sur l'agriculture. Il a régi chacun des aspects de la vie
rurale, même les enfants ont été soumis à des
travaux. Plusieurs révoltes paysannes ont forcé le
président Boyer à s'exiler, mais le fossé entre les
sociétés rurale et urbaine existe encore. C'est ce fossé
qui nous permet de comprendre l'exploitation des enfants ruraux dans les
familles urbaines.
Le pays tombe sous l'Occupation états-unienne de 1915
à 1934 après le renversement de vingt-deux gouvernements suite
à des luttes paysannes sanglantes. La grande majorité de la
population haïtienne reste encore illettrée. Les différentes
mesures prises par les Occupants ont provoqué la migration des
populations rurales (y compris nombreux enfants) vers les villes. Tout
était concentré dans la capitale : le pouvoir politique, les
activités économiques et culturelles... Ainsi Port-au-Prince
devient le lieu d'attraction principal. Cette nouvelle situation change les
données. Du début de la première occupation
états-unienne au grand mouvement politique de 1946, on assiste à
un vaste mouvement migratoire et, du coup, c'est la grande expansion de la
pratique de domesticité. Ce qui va être intensifié suite
à l'éclatement des cellules paysannes sous le règne des
Duvalier. Les enfants sont confiés dans des foyers dans l'espoir
empoisonné d'une promotion sociale et d'un meilleur avenir dans le
milieu urbain.
Dans les années 1980, des porcs furent importés
des États-Unis après le massacre des cochons créoles qui
constituaient les dernières réserves de la population paysanne.
Ainsi cette dernière tombe dans la pauvreté absolue et les
discriminations continuent jusqu'à aujourd'hui dans le maintien de deux
codes séparés : code rural et code civil. Durant tout ce
régime dictatorial duvaliériste (ayant
généré la dette que le pays est entrain de payer),
c'était un important exode rural qui, plus tard (soit après 1986
jusque dans les années 90), sera renforcé par le renversement de
ce régime et, du coup, c'est encore une fois la montée des
bidonvilles dans la capitale. Puis, les Coups d'Etat et d'autres crises
sociopolitiques jusqu'à l'actuelle Occupation de 2004 à nos jours
(sans oublier les dégâts causés par le séisme de
l'année 2010) ont tout basculé. L'Etat devient presqu'inexistant,
perdant tout le contrôle. Défaillance institutionnelle ou
anéantissement institutionnel ? Pendant ce temps , les
impérialistes renforcent leur présence sur le sol.
Donc, les politiques des oligarchies et de la
communauté internationale dégradent le milieu rural pendant toute
l'histoire du pays. Les répressions politiques, le manque de services
publics, le non-accès à l'éducation et aux services de
base, l'extrême pauvreté... alimentent encore cette tradition de
placer fort souvent l'enfant rural dans une famille urbaine, surtout dans la
capitale. De nos jours, ce phénomène prend une nouvelle forme :
des enfants sont placés même dans de familles très pauvres.
Ils ont parfois des liens de parenté élargie. Ceci dit, des
familles pauvres urbaines exploitent des enfants issus de familles pauvres
rurales : n'est-ce pas là le cercle vicieux de l'exploitation? n'est-ce
pas également la recherche d'un prestige ou d'une position
hiérarchique dans la société ?
En dépit de la création de quelques institutions
de protection, des interventions des ONGs locales ou internationales et de
nouvelles dispositions législatives bannissant toutes formes de violence
contre les enfants, la réalité de ces enfants en
domesticité et bien d'autres reste encore un grand défi. À
remarquer qu'en Haïti, diverses appellations servent à identifier
cette catégorie d'enfants : Enfant en domesticité, Enfant en
service, Restavèk (Reste avec) , « Là pour ça »,
Ti Sentaniz ...
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