II. Les effets de la violence directe
La violence directe au Nord Kivu ne va pas sans effets. Les
principaux impacts que nous relevons se situent aux plans économiques et
sociaux (A) ainsi qu?aux plans humains et politiques (B).
A- Les impacts économiques et sociaux
1- Les impacts économiques
Le Nord Kivu était reconnu pour la fertilité de
ses sols et, qualifié de grainier de la région des Grands Lacs.
Mais, depuis 1990, il entre dans un cycle d?insécurité qui
commence dans les territoires de Masisi et Rutshuru et, culmine avec les
guerres successives de 1996 et 1998. L?agriculture en prend un coup avec les
pillages et les déplacements des populations qui sont obligées de
vivre dans des camps comme assistés. L?intensification des scènes
de violence empêche aux fermiers et marchands de voyager à travers
la région pour écouler leurs marchandises. La forte main d?oeuvre
jadis attirée par les activités agricoles se trouve en voie
d?abandonner pour fuir les combats entre belligérants. Dès lors,
ce secteur économique connaît un déclin. Par ailleurs, la
recherche des conditions de vie favorables quoique vivant dans une
insécurité accrue entraîne une forte frange de la
population à se diriger vers le secteur minier, susceptible de fournir
des revenus à l?instant. C?est ainsi que ce secteur absorbe la ressource
humaine exerçant dans le domaine de l?agriculture. Dès lors,
l?extraction des ressources minières redéfini l?économie
locale et détermine les avoirs des ménages. Pole institute
relève que l?économie minière a fini par s?imposer comme
complément à défaut d?être substitut à
l?économie agricole. Ainsi, « les 2/3 des revenus du Nord Kivu
dépendent
des minerais »144. L?absorption du
secteur agricole dü par les minerais conduit le Nord Kivu au syndrome
hollandais dans lequel tous les autres secteurs économiques sont
abandonnés pour profiter de la rente minière. Aussi, le
système d?offre est perturbé au Nord Kivu. Ce qui crée des
tensions inflationnistes, la dépréciation de la monnaie nationale
au profit du dollar. A ce titre, l?on peut relever la hausse du prix du
carburant et des produits de premières nécessités. Ce
cercle vicieux constitue un piège pour l?économie locale. Les
impacts sociaux viennent renforcer cet état de fait.
2. Les impacts sociaux
Les impacts sociaux de la violence directe au Nord Kivu
s?articulent en deux principaux schèmes : l?exacerbation des
antagonismes sociaux que KÄ MANA145 appelle les
identités meurtrières et les conditions de vie
désastreuses des ménages.
La violence a fini par simposer aux moeurs et sa
socialisation prégnante. Des années de luttes acharnées et
de souffrances idiomes ont amené les diverses factions ethniques
à vivre dans le cycle de la violence. L?ethnicité conditionne le
vécu quotidien et explique en partie la haine qui se construit entre
individus. Dès lors, porter l?étiquette Hutu, Tutsi, Nande, Hunde
ou Nyanga peut être favorable ou non selon le lieu. L?étiquette
ethnique explique que des groupes armés débarquent dans un
village et assassinent tous ceux qu?ils rencontrent sous prétexte que
ces derniers ne vivent que pour les détruire. Elle explique aussi que
dans les marchés et les services de santé, les services rendus
sont sujets au déclinement identitaire. L?identité
examinée, le service est rendu de faveur ou non en fonction d?un
potentiel lien ethnique. Des affrontements permanents sont observés
entre populations, civiles ou non. La haine qui se construit se transforme
aussitôt en violence vindicative et/ ou préventive tel que le
souligne Gahama146. L?idée du génocide et de la
victimisation est la plus présente et la plus partagée ; chaque
groupe ayant pour projet primordial de se venger des exactions commises par
l?autre. Les rapports sociaux sont donc essentiellement marqués par des
rapports de belligérance. Ce qui entretient les conflits interpersonnels
voir intergroupes et durcis tout effort de recherche de paix au Nord Kivu.
Bien plus, ces situations de crises perpétuelles et de
tensions récurrentes ne vont pas sans impacts sur la nutrition, l?eau,
l?assainissement voir la santé des ménages.
144 Pole Institute : les minerais de « sang » : un
secteur économique criminalisé à l'est de la RD
Congo, novembre 2010, p.5
145 Propos obtenus lors de l?entretien réalisé
avec le Dr KÄ MANA le 18 novembre 2011 à l?Université
Evangélique de Mbouo(Bandjoun).
146 Gahama, op.cit, p.109
OCHA147 relève qu?au 25 juin 2011, la
province du Nord Kivu compte 571.685 déplacés internes depuis
2005. Comparé au mois de mai de la méme année où
l?on notait 556.26 PDI, l?accroissement est de 2.81%. Ceci montre et explique
la prédominance des violences et de leurs effets néfastes sur les
populations. Ces PDI, sont confrontées à d?énormes
obstacles lors de leurs multiples fuites des scènes de violences. Elles
sont exposées à la famine, aux attaques par des bétes
sauvages ainsi qu?à une hygiène dégradante et méme
des maladies de tout bord. Quand bien même, les populations ne se
retrouvent pas dans cette catégories, elles sont tout aussi
confrontées aux aléas dans les domaines de l?éducation, de
la santé et de la nutrition. Dans son rapport de mars 2009, le PNUD
souligne qu?au Nord Kivu, très peu de ménages sont
raccordés à l?électricité (4.3%) et à l?eau
potable (16.6%). Il poursuit en soulignant l?insuffisance des services de
santé dont 47 hôpitaux pour toute la province, 12 lits pour
100.000 habitants et 1 148médecin pour 24.030 malades. Aussi,
l?assainissement n?est pas favorable. En effet, 99.8% de ménages ne
disposent pas de voiries d?évacuation des ordures.
Les violences au Nord Kivu ont donc dégradé le
tissu social et exacerbé la pauvreté. Car, dans cette province de
la RDC, près de 3.3 millions de personnes sont pauvres. Ajouté
à cela, la perte des emplois suite à la fermeture de plusieurs
entreprises et des privatisations massives liées aux PAS renforce
l?état de pauvreté et prédispose les populations à
la guerre. Ainsi, aussi bien au plan des rapports intergroupes que sur le plan
des aptitudes individuelles et/ou collectives à s?assurer une existence
descente, la violence directe a foisonné la paix sociale au Nord
Kivu.
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