a. Le leadership
La question du leadership est inextricablement liée
à l?exploitation des ressources naturelles du Nord Kivu par des groupes
et Etats voisins des Grands Lacs impliqués dans les violences. En effet,
les ressources naturelles servent à construire une
hégémonie sous régionale et réaliser par voie de
conséquence le projet d'instauration de l'empire Hima-Tutsi.
L?ONU dénonce la criminalisation de la guerre via l?exploitation
intensive et illégale des ressources naturelles en RDC et au Nord Kivu
par tous les groupes impliqués dans les conflits138. Les
forces venues soutenir le régime L.D Kabila (Zimbabwe, Angola, Namibie)
au même titre que les agresseurs (Rwanda, Ouganda, Burundi) sont
impliquées dans les pillages massifs des ressources naturelles du Nord
Kivu. Ces nouveaux prédateurs139 comme le souligne
Colette Braeckman, sont en quête d?hégémonie, de pouvoir et
surtout d?une intégration profonde à l?économie
capitaliste.
Mais, les activités du Rwanda et de l?Ouganda sont encore
plus intenses de par la proximité géographique et les alliances
ethniques transfrontalières.
Les motivations économiques expliquent
l?intérêt porté par ces deux pays sur le Nord Kivu.
Plusieurs ONG et l?ONU notent la disparité entre les ressources
limitées du Rwanda et de l?Ouganda, et leur exportation massive de la
cassérite, du coltan et de l?or. Traitant du cas
138 United Nations Security Council: Report of
the Panel of Experts on the illegal Exploitation of Natural Ressources and
other Forms of wealth of the Democratic Republic of the Congo. United
Nations, 2003
139 Braeckman, Colette, op.cit
de la cassérite, Global Witness140 explique
comment le Rwanda est impliqué dans cet illégal trafique :
premièrement comme premier bénéficiaire,
deuxièmement comme acteur capable de sécuriser les sites miniers
si possible. Le Rwanda a développé un vaste réseau
d?échange avec des groupes de rebellions notamment le RCD-G qui lui
fournissent les ressources naturelles à temps opportuns. Pour
renchérir ce constat, le conseil de sécurité des Nations
Unies141 affirme que les troupes du Rwanda et de l?Ouganda ont
établis un monopole sur l?exploitation et la commercialisation des
ressources minières en forçant les entrepreneurs locaux de se
retirer par ce fait qu?ils desservent tout le Nord Kivu de produits
importé du Rwanda, de l?Ouganda et du Burundi. Le commerce des
ressources naturelles est très bénéfique au Rwanda et
à l?Ouganda. Entre 1997-1999, la part du commerce international du
Rwanda s?élève à 15.1 milliard de francs Rwandais, soit
une croissance de 31% par rapport à l?année 1996. Dans cette
méme perspective, l?exportation du coltan croit de 11.4 milliard de
dollar US en 2000 à 44.5 milliards de dollar US en 2001142.
L?appropriation de ces ressources naturelles et des revenus y relatifs permet
alors de poser les jalons d?un empire Tutsi dans tous les Grands Lacs ; lequel
dominera toutes les structures politiques et socioéconomiques de cette
région
b. Le nord Kivu : un nouvel espace vital
Les questions identitaires, les ambitions politiques,
l?exploitation des ressources naturelles n?explicitent que partiellement un
conflit qui renvoie en dernière instance à des causes beaucoup
plus profondes.
Les guerres de la région des Grands Lacs peuvent en
effet s?analyser comme des violences du trop-plein. Les petits espaces du
Rwanda et du Burundi, corsetés depuis la colonisation par des
frontières rigides, sont pris au piège d?une nasse
démographique. La forte baisse de la mortalité amorcée
pendant la colonisation n?a pas été suivie par une baisse
significative de la fécondité : celle-ci est encore proche de 6
enfants par femme au Rwanda, 6,8 au Burundi. Le taux de croissance approche les
3% par an conduisant à un doublement de la population en 25 ans. Or,
avec près de 10 millions d?habitants au Rwanda en 2008 la densité
atteint déjà 380 hab./km2, ce qui est beaucoup pour un
pays rural à près de 90 %. Chaque famille paysanne ne dispose
plus en moyenne que de 40 ares de terre à cultiver. Qu?en sera-t-il
demain ? La
140 Global Witness, op.cit, p. 15
141 United Nations Security Council: Report of the Panel of
Experts on the illegal Exploitation of Natural Ressources and other Forms of
wealth of the Democratic Republic of the Congo. United Nations,2001
142 Economic Intelligence Unit: Rwanda Country Report.
London, February 2002, 2002
question n?est plus seulement de savoir comment vivront une
génération de 20 millions de Rwandais, mais où.
Comme les vents, les mouvements migratoires vont des hautes
pressions vers les basses pressions, ici démographiques : la migration
vers l?ouest, vers les terres moins peuplées du Kivu s?inscrit dans
l?ordre des choses et dans le temps long. Elle n?a pas posé de
problème tant qu?il y eut d?abondantes disponibilités
foncières. Ce n?est plus le cas, méme si l?acuité des
problèmes est inégale du fait d?une répartition
différenciée des densités143: en quelques
décennies, la saturation foncière a complètement
changé la donne, multipliant les conflits pour la terre, dressant les
autochtones contre les étrangers dans un contexte juridique confus
où droits coutumiers et droit moderne incarné par l?Etat se
chevauchent. Circonstance aggravante, les migrants tutsis sont principalement
des éleveurs qui ont besoin de vastes étendues pour leurs
troupeaux. Ils ont trouvé des conditions idéales pour leur
activité dans les pâturages d?altitude, mais la constitution de
grands domaines d?élevage réduit d?autant les terres de culture.
La création du vaste parc national des Virunga sous l?administration
belge a en outre soustrait 780 000 hectares à l?activité
agro-pastorale, au coeur de la zone la plus peuplée du Nord Kivu.
En 1998, une tentative d?expansion territoriale manquée
a laissé tout de méme le Rwanda pénétrer le Nord
Kivu. La logique de l?expansion territoriale s?appuie sur l?idée que le
Kivu constitue un espace vital pour le Rwanda. En raison des perturbations
politiques dans ce pays, de la limitation de ses ressources naturelles ainsi
que de la forte croissance démographique, le Nord Kivu est le lieu de
refuge d?un très grand nombre de Rwandais. Trois démarches
expliquent la tentative d?expansion territoriale :
· Les revendications du Président Bizimungu en 1996,
portant sur certaines parties du Nord Kivu qui selon lui auraient fait partie
du Grand Rwanda ;
· La campagne médiatique des diplomates Rwandais
autour de l?espace territoriale du Grand Rwanda, en Belgique, avec carte
à l?appui. Selon eux, le colonisateur aurait amputé au Rwanda
certains territoires qui se trouvent actuellement au Kivu ;
143 Nicolaï, Henri : La répartition et la
densité de la population au Kivu. Académie Royale des
Sciences
d?Outre-mer, Classe des Sciences naturelles et médicales,
Mémoire Nouvelle série Tome 24, fasc. 2, Bruxelles, 1998.
· L?idée d?une conférence de Berlin II
pour obtenir une redéfinition des frontières étatiques
conformément à ses revendications.
Les déclarations des instances internationales et
régionales sur les principes de la souveraineté du Congo et de
rejet de toute idée de révision des frontières des
Etat-Nations en Afrique, n?ont pas permis au Rwanda de persister dans la
logique de l?expansion territoriale. Mais, les faits établissent que les
Kivu et précisément le Nord Kivu sont la seconde nation des
Rwandais. Dès lors, la pression externe exercée par le Rwanda
constitue un obstacle à la paix et par ricochet facteur de
perpétuation de la violence directe au Nord Kivu.
Prégnants sur les plans politique, économique,
social et humain, les facteurs de la violence directe y ont causé de
dégâts incommensurables.