Dans le processus d?appréhension de la violence
directe au Nord Kivu, les facteurs politiques endogènes viennent
renforcer ceux exogènes pour fournir une explication du « dedans
»125 et du « dehors »126 telle que le
préconise l?approche dynamiste balandierienne dans la
compréhension des dynamiques sociales. Ainsi, le dedans de cette
violence concerne principalement l?action de l?élite et la
problématique du foncier et de la nationalité.
a. L'action de l'élite
La violence directe au Nord Kivu est également imputable
aux élites politiques qui se sont succédé à la
tête du gouvernement congolais. Chronologiquement, on peut identifier
trois
123 Il est à préciser que plusieurs groupes
mayi-mayi sont crées sous cette dynamique. Ceux-ci, à la base des
groupes d?autodéfense, se constituent pour sécuriser leurs
familles et leurs territoires contre l?invasion externes des étrangers
à savoir Rwanda et Ouganda.
124 Tranca, Oana : la diffusion
des conflits ethniques, une approche dyadique in, Etudes Internationales,
vol.37, no 4, 2006, pp. 501-524
125 Balandier, Georges : Sens et Puissance, les dynamiques
sociales. PUF, Paris, 1971
126 Id
periodes. La première periode qui va de 1960 à
1962 est marquee par une decolonisation manquee. En effet, celle-ci fut
arrachee dans de très mauvaise conditions : assassinats et pertes des
principaux leaders notamment Patrice Emery Lumumba, tentatives de secession au
Katanga et aux Kivus. Cette periode fût marquee par de violents troubles
consequences des divisions ethniques introduites par le colon Belge. La
deuxième periode qui va de 1962 à 1990 vit
l?institutionnalisation d?un régime autoritaire à partie unique
durant lequel Mobutu fit appel à l?armée et aux
solidarités ethniques et régionales pour asseoir son pouvoir.
Sous Mobutu, le système politique ne favorise pas l?expression des
libertés ; la concentration du pouvoir entre les mains d?une bourgeoisie
comprador, le favoritisme et le tribalisme créent des frustrations et
l?impunité entraînant la loi de la jungle. Dès lors, la
débacle s?installe dans les institutions, « le
décloisonnement de l'armée où s'affrontent les
généraux à travers des recrutements massifs sur base
ethnique pour préserver leur leadership vis-à-vis des autres
généraux »127 devient une
realite. Durant cette periode, la violence structurelle prit une très
grande ampleur et l?administration politique n?était autre que la
perpétuation du système colonial à travers le
paternalisme, le mythe de la superiorite et une gestion calamiteuse des
ressources publiques. La troisième periode qui va de 1990 à nos
jours voit egalement les crises traversees tout le pays et, le Nord Kivu vie
encore dans cette spirale. Ces violences sont dues par deux choses. D?une part,
il y?a la mauvaise gouvernance et des politiques divisionnistes basées
sur l?idéologie du génocide, de la haine et de l?exclusion.
À ce titre Rusamira affirme « Le
régime Kabila a déçu les Hutu congolais depuis le
début de cette deuxième guerre. Les diplomates appartenant
à cette communauté furent chassés au même titre que
les Tutsi : c'est le cas par exemple du professeur Oswald Ndesho, qui
était ambassadeur en Ethiopie, mais qui fut remercié au mois
d'ao~t 1998, juste quelques semaines après le début de la guerre.
Ceux qui sont restés à Kinshasa n'ont pas été non
plus bien traités : ils ont obtenu certes un portefeuille
ministériel, celui de la Santé publique, en faveur d'un des
leurs, le Dr Mashako, mais on leur a refusé un siège au sein du
parlement de transition mis en place par Laurent Désiré Kabila.
Ce refus peut facilement s'expliquer par l'opposition farouche de certains
extrémistes de l'est du Congo envers les Banyarwanda
»128. Les grands
services, la direction du pays, sont repartis selon des considerations
ethniques. D?autre part, il y?a la dictature et le mauvais leadership. Les
grandes decisions sont toujours prises par une poignée de personnes qui
s?approprient tous les pouvoirs, les conservent jalousement et qui excluent les
citoyens dans la gestion du pays. Et, lorsque le pouvoir
127 Ngbanda, Honore : Ainsi sonne le glas ! Les
derniers jours du maréchal Mobutu. GIDEPPE, Paris, 1998, p.51
128 Rusamira, op.cit. p. 9
politique devient une source de revenus il se présente
comme une question de vie ou de mort129. L?élite est donc en
partie responsable de la calamité sévissant au Nord Kivu. Son
action se matérialise également dans la gestion des terres et de
la nationalité.
b-Le foncier et la question de
nationalité
L?accès, l?utilisation et la gestion des terres sont
inextricablement liés aux conflits au Nord Kivu. Pression
démographique, retour des réfugiés et des
déplacés, conflits liés à l?utilisation des terres,
réclamation des terres spoliées, luttes locales de pouvoir sont
autant de problèmes liés à la question foncière et
de nationalité. Cette question est complexe de par ses dimensions :
économique, politique, juridique, sociale et spirituelle. En effet, deux
principaux liens peuvent être établis entre foncier,
nationalité et violence directe au Nord Kivu. Primo, foncier et
nationalité génèrent la violence directe, secundo, foncier
et nationalité servent à alimenter cette violence.
Tout d?abord, le chevauchement entre pouvoirs
décisionnels coutumier, légal et informel sur le contrôle
de la terre produit la violence directe. Ces trois pouvoirs disputent leur
autorité sur le contrôle de la terre au Nord Kivu. Le
système coutumier est administré par des chefs traditionnels qui
fondent leur autorité sur la terre par leur rôle de chef ethnique
et des prétentions dues à l?histoire de la communauté de
vivre et exploiter la terre dans une zone géographique précise.
Le système informel est celui né de l?absence de l?Etat et auquel
le système coutumier ne s?applique pas. Tandis que, le système
légal repose sur les lois et les réglementations nationales, mais
n?est pas appliqué partout dans le Nord Kivu. Seuls les grands domaines
d?exploitation ou possédant des richesses sont du ressort légal
(public), les petits sont du ressort du système coutumier. Ces
systèmes se chevauchent géographiquement si bien que des groupes
ou des personnes peuvent simultanément les réclamer. Dans le
système coutumier l?appartenance ethnique détermine l?octroi de
la terre par le chef. Ce système ne peut être
dépossédé de la terre. Avant la période coloniale,
l?accès à la terre par les étrangers était
subordonné au paiement de la redevance au chef, mais, ceux-ci ne
pouvaient jouir du même statut social que les autochtones. Le
régime Belge changea le système d?acquisition des terres en
introduisant le titre foncier. Désormais, on pouvait acheter des terres,
mais il ne le fit pas partout. Ainsi, système légal et coutumier
continuèrent à se chevaucher méme après
l?indépendance quoique la majorité des terres reste sous le
régime coutumier. La loi de propriété de 1973 annula en
théorie ce double système, ramenant dans le
129 Gahama, op.cit, p. 106
ressort de l?Etat toutes les terres. Mais, aucune ordonnance
de l?Etat ne clarifia le statut des terres, ce qui rendit superflu la
décision. Dans cette perspective, les chefs locaux furent
attribués le rôle d?administrateurs dans la vente des terres aux
particuliers. Ils en profitèrent pour tirer profit par la corruption et
la surenchère. De là, les terres commencèrent à se
raréfier. Ajoutée à cela, la croissance
démographique accentua le processus. C?est à ce moment que le
concept de communautés autochtones trouva un stade d?expression
favorable, entraînant avec elle la question de nationalité
liée au pouvoir politique et au contrôle de la terre. Ceci est une
résultante de l?action coloniale qui força certaines
communautés à se déplacer pour servir comme main d?oeuvre
pour des projets spécifiques. Il s?agit notamment de la « mission
d?immigration des Banyarwanda » ayant drainé au Nord Kivu de
milliers de Rwandais pour aller travailler dans les plantations agricoles au
Nord Kivu. Il est vrai, certaines populations immigraient toutes seules ;
cependant, très peu de ces communautés disposait d?un droit
d?accès à la terre par le biais de leur chef. Le régime
Belge en était le centre et l?octroyait à des groupes en fonction
de ses alliances et intéréts. A ce titre, les Banyarwanda
n?eurent qu?un statut controversé, ajouté à cela des
tensions interethniques liées aux multiples vagues de migration. La
conséquence en est que, les disputent entre Hutu et Hunde sur
l?autorité des chefs locaux provoquèrent la guerre
Kanyarwanda130. A ce moment, le concept d?autochtones sert de base
pour toute sorte de revendications, conduisant à des conflits. Il est
dès lors lié à l?appartenance à une lignée
congolaise, politisé et ambiguë.
Ni les accords de paix de 2003, non plus la loi de 2004
même si elle définit deux catégories de citoyenneté
: par origine et acquise, ne résout le problème des
nationalités des Banyarwanda. En raison des crimes économiques et
du service rendu à un Etat étranger, éléments de
refus de la nationalité acquise, des communautés rwandophomes
doivent se voir refuser la citoyenneté congolaise. La loi sur la
citoyenneté se sert des groupes ethniques et de leur identification
historique à un territoire comme critère premier d?acquisition de
la nationalité. Ainsi, l?appartenance ethnique est le fondement de
l?appartenance nationale.
Par ailleurs, la terre alimente la violence directe.
Profitant du vide institutionnel pendant la guerre, des groupes occupent des
terres prolifiques et n?ont aucun intérét à ce que la paix
revienne. Les mouvements rebelles RCD-ML, RCD-G, CNDP ont
bénéficié sur les plans politiques et économiques
du contrôle des terres arables et des pâturages ainsi que des
tracés de nouvelles limites administratives. Ils ont bafoués les
autorités traditionnelles,
130 Conflit interethnique qui éclate au Nord Kivu en
juillet 1963 et met au prise pendant plus de deux ans les différents
groupes ethniques de la région. D?un côté, Hutu et Tutsi
s?affrontent, de l?autre côté Hunde et Nande, Hunde et Nyanga ou
Nande et Tembo. Cette série d?opposition fait suite aux tentatives
d?autonomie des provinces de la RDC après l?accession à
l?indépendance le 30 juin 1960.
utilisant l?argent des revenus miniers pour exproprier des
populations et, gagner aussi de l?argent en échange de
sécurité pour le compte de gros propriétaires terriens
impliqués dans les conflits fonciers. Par exemple, le parc national de
Virunga a été empiété par des milices où
elles effectuent des trafics de bois, de charbon et crée des camps de
pêcheurs afin de s?alimenter pendant la guerre. Le gouvernement a
procédé à l?intégration du CNDP dans les forces
armées congolaises, mais, le CNDP, divisé, garde un pied en
dehors des structures de l?Etat. Bien plus, l?afflux des réfugiés
rwandais depuis 2002 vers le Nord Kivu augmente la proportion de personnes
réclamant la citoyenneté congolaise, donc la terre. Avec ces
multiples déplacements, certaines personnes ayant fuis les guerres au
Nord Kivu peuvent eux aussi revenir et réclamer leurs terres sans doute
occupées par d?autres. Ce qui constitue un potentiel facteur aggravant
la violence directe de par sa prégnance sur la revendication des terres
donnant lieu à l?obtention de la nationalité qui, à son
tour détermine l?accès au pouvoir pour le contrôle des
ressources.