Le constructivisme s?est développé dans les
disciplines telles que l?Anthropologie et la Philosophie. En tant que
théorie des conflits, le constructivisme repose sur certaines
théories fondamentales :
· Toutes les pratiques sociales sont en relation avec le
contexte particulier dans lequel elles sont produites ou reproduites. Ces
contextes peuvent être d?ordre historique, politique, économique
ou géographique ;
· le constructivisme pense que toute situation est la
résultante d?une vision des choses. Il n?y a donc pas de
réalité en soi mais de réalité telle que
vécue et telle que perçue. On peut vivre une situation comme
oppressante à un moment donné, alors qu?à un autre moment
on n?a pu la vivre d?une autre manière.
Dans la théorie des Relations Internationales,
Nicholas Onuf est vraisemblablement le premier à appliquer le
constructivisme à la fin des années 80 notamment dans son livre
World of Our Making93. Dans ce livre, il
s?oppose aux théories néo-réalistes et
néo-libérales. Il reproche aux unes et aux autres d?être
anhistoriques et d?être incapable d?expliquer le changement dans
l?histoire. Ainsi donc, à ceux qui pensent que le comportement des
acteurs est essentiellement guider par des contraintes de divers ordres, ou par
une nature humaine immuable, les constructivistes répondent que les
règles et les normes infléchissent certes profondément le
comportement des acteurs, déstructure la vie internationale, mais que
les acteurs sont capables à tout moment de faire des arrangements
intersubjectifs pour ainsi créer de nouvelles situations en modifiant
celles qui existent. C?est ainsi que de nouvelles institutions peuvent voir le
jour tant au niveau national, qu?international. Le comportement des acteurs ne
s?inscrit pas toujours dans un cadre préétabli et n?obéit
pas à des règles figées mais crée de nouvelles
possibilités et introduisent de nouvelles règles. Les
constructivistes pensent que les institutions et les structures sont
fondamentalement des constructions sociales, c?est-à-dire le
résultat de l?imagination et de l?interaction entre les forces en
présence, même si elles sont institutionnalisées et
formalisées. De la même manière ils pensent que les buts et
les comportements des agents sont conditionnés par les cadres
institutionnels, mais également par les autres acteurs. Il en ressort
clairement que le constructivisme s?inscrit en faux contre l?idée
réaliste selon laquelle les institutions ne seraient que le reflet des
intérêts des grandes puissances. Les constructivistes font valoir
le fait que la mise en place des institutions au
93 Onuf, Nicholas: World of our making, rules and
rule in social theory and international relations. University of South
Carolina Press, Michigan, 1989
niveau international n?est pas le seul fait des Etats mais
également celui des acteurs non étatiques qui sont
perpétuellement en concurrence, proposent des normes et finalement
aboutissent à des accords sociaux. Ils réfutent l?idée que
tout soit prévisible et obéissent à une logique clairement
identifiable pour introduire l?idée de la surprise, de l?inattendu et
des voltes face. D?autre part, le constructivisme réfute les approches
néolibérales et néoréalistes en ce sens qu?il ne
perçoit pas les règles comme des moyens de régulation,
comme une contrainte ou alors comme participant aux calculs, coûts,
bénéfices des acteurs. En effet, la définition même
ou mieux la perception des intérêts peut varier. Les règles
du jeu et les aménagements sont l?aboutissement des comportements des
acteurs. Il en ressort que le changement dans la politique internationale, mais
également le changement dans un groupe se produit lorsque les acteurs
par leur pratique changent les règles et les normes constitutives de
l?interaction. La plupart des règles ne font que formaliser le
développement d?une activité. Les règles créent
donc la possibilité de l?activité, mais l?activité
crée également les règles. Les constructivistes
redéfinissent également les concepts d?intérêt et
d?identité94. Ils pensent que les intérêts sont
des constructions sociales et sont de ce fait dynamique et doivent être
appréciés par rapport à des contextes historico-culturels
et socio politique. L?identité est également une construction. La
définition de ce que l?on est ou de ce que l?on n?est pas est tributaire
du contexte et des enjeux. Dès lors, aussi bien la violence a des causes
multiples, complexes et construites, la solutionner peut être l?issue
d?une construction entre acteurs y impliqués.
Dans l?optique de la transformation des conflits au Nord
Kivu, cette étude a utilisé la théorie constructiviste. En
effet, les séries de violence observées depuis les années
1990 ressortent les antagonismes historiquement ancrés dans les
relations sociales dues par la construction au sein des groupes du mythe de la
supériorité ou de l?infériorité. Dès lors,
les griefs tels la mauvaise redistribution des ressources naturelles,
l?ouverture au dialogue politique, ne constituent que des manifestations de
cette profonde fracture historique entre groupe qui vit dans l?imaginaire
sociale et entretien le quotidien. Aussi, la dynamique des alliances entre
groupes, milices ou ethnies au Nord Kivu, montre que les relations intergroupes
peuvent prendre de nouvelles formes du jour au lendemain. Les alliances se
nouent et se délient en fonction des objectifs visés par les
acteurs en conflit. Il est donc considéré qu?elles font et
défont la paix, c?est-à-dire la construisent ou la
déconstruisent. A travers les alliances des acteurs en conflit au Nord
Kivu, l?analyse décèle que la paix y est
94 Roche op.cit, p.142
construite. Le constructivisme est donc l?outil
théorique qui explique le mieux l?escalade de la violence directe au
Nord Kivu.