Conclusion partielle
La revue des genres que nous venons d'entreprendre nous
apprend qu'il est théoriquement possible de tracer les frontières
entre les genres oraux proches du conte. Seulement, dans la pratique celle-ci
s'avère plus ardue. Pourtant, aujourd'hui il existe des contes, des
fables, des épopées, des mythes, des légendes, des
chantefables reconnus tel quel. Cependant, à cause de la
difficulté de classement, on retrouve parfois dans des recueils de
contes, d'autres genres proches qu'un examen minutieux permet de classer
ailleurs. Pierre N'DA nous dit « Dans Légendes africaines de
Dadié, il y a confondus, de véritables légendes (la
légende baoulé, par exemple) et de véritables contes (la
bataille des oiseaux et des animaux, par exemples) ; de même Contes et
légendes d'Afrique noire de Socé ; de même dans Contes et
légendes du Sénégal de Terrisse, ainsi que dans Contes et
légendes de l'Afrique noire de Vallerey et Contes et légendes du
Niger de Boubou Hama ; aucune différence n'est faite entre les textes.
Qu'est-ce qui est conte ? Qu'est-ce qui est légende ?
»61 L'auteur, après ces deux dernières
interrogations, constate qu'aucune précision ne vient marquer la
différence entre les textes. Aussi en Afrique, certains chants prennent
l'allure d'histoires contées. On écoute certains chants et on
reconnaît très vite un conte qui raconte une histoire pareille. La
seule différence c'est que l'histoire est chantée. Ce qui nous
prouve que dans une société où vit l'oralité, les
classifications théoriques héritées de chercheurs
occidentaux sont insufisantes. Mais il faut tout de même
reconnaître que les travaux de ces chercheurs ont permis de faire la
lumière sur la richesse de l'oralité africaine. Grâce
à ces travaux, le conte, genre très important dans
l'oralité, est mieux appréhendé et classifié.
Après ce grand tour de l'horizon du conte à la
recherche d'une définition qui le représenterait, il nous
apparaît clair que la plus simple est celle qui fait du conte un
récit. Le conte un récit imaginaire qui met en scène des
êtres imaginaires (humains, surhumains ou animaux). Mais il est loin
d'être un récit gratuit qui distrait juste. C'est un récit
qui amuse en même temps qu'il édifie l'homme. Sa structure simple,
apparemment facile d'accès est une arme éducative. Amadou
Hampâté Bâ nous dit que « le conte est le message
d'hier transmis à demain à travers
aujourd'hui62i
61 Pierre N'DA K., op. Cit. p.19.
62Cécile Bénoist, Les
médiathèques à l'heure du conte, enquête
ethnographiques et regard socioanthropologique, Presses universitaires de
Bordeaux, 2007, p.6.
Ainsi dans certaines sociétés, africaines
notamment, la réalité conte, peut renvoyer aussi bien
à la fable, au mythe, à la chantefable, qu'à une
épopée. Chez les Lokpa dont nous étudions ici les contes,
le conte (M?t?) peut recouvrir plusieurs autres sens si nous lui appliquons les
critères standards. La définition adéquate qui nous
séduit c'est celle qui définit le conte comme un récit
imaginaire ou réel recouvrant en son sein les manifestations culturelles
de la société d'où il est issu.
1.3 Classification des contes
Le conte, longtemps considéré comme vulgaire
parce qu'oral, est un genre qui ne cesse de nous révéler ses
secrets. Après une longue discussion sur ses origines, sur la
définition qu'il convient de lui donner, ou plutôt comment le
distinguer de ses cousins (mythes, légendes, fables, chantefables,
épopées), le moment est venu de nous pencher sur le conte
lui-même. En admettant avec Emmanuelle Saucourt que « le conte
est le lieu où s'articule différents champs des
préoccupations des anthropologues, il est un espace impalpable et
intemporel de la parole en performance, où se côtoient tradition
et modernité, enseignement et divertissement, savoir technique et
artistique, croyance et connaissance, organisation sociale et
représentation de la personne, représentation du monde et
symbolisme »63, il apparait que le conte fait partie de la
vie de tous les jours et intervient dans plusieurs domaines et influe aussi sur
le mode de vie de ceux qui le pratiquent. Sa valeur littéraire et
sociale restaurée, il est aussi important pour nous de nous
intéresser au conte dans toutes ses formes. Quelle typologie
pouvons-nous faire des contes ? Est-il possible de classer les contes ? Quels
sont les travaux déjà effectués dans ce sens ?
Nous allons dans cette partie donner ou exposer quarte grands
travaux qui à notre sens sont complémentaires et ont permis une
approche à la fois sociale et littéraire du conte. Il s'agit des
travaux de François-Victor Equilbecq, d'Aarne Amatus Antti et Stith
Thompson, de Vladimir Propp et de Denise PAULME.
1.3.1 La classification d'Equilbecq
François-Victor Equilbecq était en son temps
administrateur colonial dans l'AOF (AfriqueOccidentale Française) quand
il a publié son Essai sur la littérature merveilleuse des
noirs, suivi de Contes indigènes de l'Ouest africain
français, un essai « pour bien connaître la
race noire, pour apprécier sa mentalité, pour
dégager ses procédés de raisonnement, pour
comprendre sa vie intellectuelle et morale
»64, si nous pouvons ainsi paraphraser Maurice Delafosse,
Administrateur en Chef des Colonies dans la préface qu'il a faite du
livre pour l'édition de 1913. C'est donc dans le but de mieux
connaître ses sujets et mieux les gouverner que le colonisateur a
entrepris la collecte et l'examen des contes africains en occultant au passage
la beauté de la parole qui produit ces contes. Equilbecq s'attache
plutôt à ce qu'il appelle caractère dominant pour
établir sa classification. Il trouve au total sept (07) classes de
contes réparties comme suit :
- Légendes cosmogoniques, ethniques,
héroïques et sociales.
- Contes de science fantaisiste (histoire naturelle,
astronomie, etc.).
- Récits d'imagination pure et dépourvus
d'intentions didactiques.
- Contes à intentions didactiques, tant de morale pure
que de morale pratique.
- Fables. Geste burlesque du lièvre et de
l'hyène.
- Contes égrillards. Contes à combles (se
confondant souvent avec les contes égrillards). -
Contes-charades
Cette classification, comme nous pouvons constater, est
très peu viable. Elle se cramponne au sujet traité dans le conte,
alors que certains contes pourraient facilement se retrouver en même
temps dans plusieurs catégories. N'DA K. Pierre à ce sujet
écrit : « la classification d'Equilbecq n'est pas rigoureuse et
ne peut donc pas servir de base à une typologie générale
des contes. Comment classer par exemple les contes qui sont à la fois
moraux, merveilleux et étiologiques65 ? »
Même si cette classification semble être une copie mal faite
des recherches Antti Amatus Aarne dont les travaux étaient
déjà connus en son temps dans les cercles occidentaux des
chercheurs en littérature orale, et malgré les avis durs dont
elle fait l'objet, la classification d'Equilbecq a, à une époque
de l'histoire de la littérature orale, éclairé les esprits
sur le "folklore des indigènes africains". A travers la comparaison
qu'il établit entre les productions épiques occidentales et
celles africaines, l'auteur montre consciemment ou inconsciemment la richesse
de l'oralité africaine. Il écrit par exemple dans la partie
intitulée Le chevaleresque dans la littérature des noirs
ce qui suit : « Noms donnés aux armes et aux montures des
héros. Le fusil de Samba s'appelle Boussalarbi, tout comme
l'épée de Charlemagne avait nom : Joyeuse et celle de Siegfried :
Balmung. Le cheval de Samba s'appelle Oumoullatôma et celui de Birama
NGourôri : Golo, de même que celui des 4 fils Aymon était
appelé: Bayard et ceux de Gradlon, roi de Kérys : Morvarc'h et
Gadifer. » Ce rapprochement des personnages légendaires
occidentaux à ceux africains montre ainsi la
64 Extrait de la préface de Maurice Delafosse,
In Essai sur la littérature merveilleuse des noirs, suivi de Contes
indigènes de l'Ouest africain français, 1913
65 Pierre N'DA K., op. cit. p.32.
beauté et la grandeur des récits oraux africains.
Le mérite lui revient alors de s'être aventuré sur un
terrain où nul n'osait aller : oralité africaine comme
littérature à part entière.
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