2.3.6 Le temps
Le temps du conte Lokpa doit être abordé sur deux
axes : le temps dans le récit (succèssion des actions des
personnages) et le temps du récit. Commençons par le dernier.
Le récit est connu pour être toujours au
passé simple, ou au présent. L'imparfait intervenant pour les
descriptions et autres précisions que l'auteur voudrait bien aborder. Au
passé simple, le récit est fictif, éloigné de la
réalité. Mais l'usage du présent le rend actuel. Dans un
conte Lokpa, le récit est principalement au passé. Or
théoriquement, le passé simple sert au récit écrit
et que le présent du récit au récit oral. Mais dans le
conte Lokpa, le récit est au passé. Cela n'empêche pas le
récit d'être actuel. Prenons l'exemple des formules introductives
du conte : le fameux "il était une fois". Cette formule donne
déjà l'idée que l'histoire est vieille, passée.
Même si elle ne précise pas quand exactement (car telle quelle est
formulée elle peut aussi bien renvoyer à hier ou à il y a
mille ans), elle indique tout au moins que l'histoire est vieille. Chez les
Lokpa la formule revient à « ...nó?ól? ?
w?nnà.», traduite mot à mot comme « quelqu'un// il//
est » ou « quelqu'un// il// était ». Ce temps se situe
entre le passé et le présent. Cette formule diffère du
« il était une fois ». Dans cette formule, on entend "il
était, et il est toujours". Le temps du conte Lokpa se situe entre le
passé et le présent. C'est un temps
114 Tzvetan TODOROV. « Les catégories du récit
littéraire », Communications, 8, 1966. pp. 125-151.
proche du passé composé français. Cela
rend le récit non seulement actuel, mais aussi réel, vrai. La
résultante directe de l'effet produit par le temps utilisé est de
donner à l'auditeur l'impression que l'histoire est réelle ou que
le conteur a été témoin des faits qu'il raconte ou
plutôt rapporte. Il faut remarquer que, généralement, le
conte Lokpa est une narration hétérodiégétique : le
conteur conte une histoire dont il est absent. Il choisit librement d'avoir une
focalisation "zéro", c'est-à-dire qu'il a le point de vue de Dieu
; il sait tout sur les personnages ; il connaît leurs pensées ;
les personnages sont ses pions qu'il manie à sa guise. C'est le cas de
presque tous les contes du corpus, sauf le conte n°8. Ce conte par exemple
mélange les points de vue. Le conteur, à un moment donné
du conte, prend la place d'un des personnages protagonistes, et confie l'autre
rôle à un auditeur (syntagmes 11 à 31). Le conteur et
l'auditeur deviennent, pour un court instant, personnages du conte. Cela
relève de la volonté du conteur d'attirer l'attention de
l'auditoire afin de lui faire mieux vivre le conte. Ce faisant le narrateur
devient pour un court intervalle homodiégétique et le reste du
conte hétérodiégétique. C'est une technique qui
rend plus actuel le conte et plus vraisemblable l'histoire.
Quant au temps dans le récit, il est
délimité par la succession des faits narrés. Ces faits, le
conteur les fait intervenir à des moments précis de l'histoire
qu'il raconte. Il met l'accent sur certains, et passe très vite sur
d'autres, faisant ainsi alterner ellipses et anachronies. Ce qui donne
naissance à un récit parfois rapide ou par moments lent. Le conte
n°4 joue sur la vitesse du récit. Au début de ce conte, le
conteur raconte brièvement deux ans (syntagme 1 à 8) de vie d'une
famille. Mais il raconte un seul jour très longuement (syntagme 9
à 40). Puis il raconte une entière année en seulement six
(06) syntagmes. Cette façon de faire rend le récit plus lent ou
plus rapide et permet au conteur de mettre l'accent sur les
événements importants.
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