2.3.3 Le chant
Le chant est un élément clé de certains
contes Lokpa. Il joue deux rôles essentiels : il fait non seulement corps
avec le récit et participe à la trame de l'histoire, mais aussi
est un instrument qui rend plus agréable un conte. Qu'il soit des pleurs
d'un personnage (conte n°3) ou des échanges de propos entre deux
personnages, le chant joue ces deux rôles simultanément.
Commençons par le deuxième rôle du chant.
C'est un rôle externe au conte, à l'histoire. Le conteur utilise
le chant comme stimulant pour allumer son auditoire. Le chant, nous l'avions
dit dans nos chapitres précédents (2.1.5), permet au conte de
faire participer son auditoire, de communiquer avec ce dernier. Dans notre
corpus, deux contes contiennent de chants : les contes n°3 et 8. Ces
chants sont scandés par le conteur et repris par l'auditoire. Dans le
conte n°8, le conteur invite d'ailleurs l'auditoire à chanter avec
lui (Conte n°8, syntagmes 57, 58 et 59). Le conteur, du fait même de
la répétition du chant lui confère un rôle important
; un rôle ludique que le conteur et son auditoire rehausse par leur
entrain. La veillée s'anime grâce à la liberté des
langues et au déploiement des voix de toutes sortes de tonalités,
avec pour chef d'orchestre le conteur.
L'autre rôle que joue le chant se trouve à
l'intérieur du récit. La question est de savoir si le chant fait
partie intégrante du récit ou si ce dernier, si on le supprimait,
ne handicape pas le sens logique du récit. Essayons de trouver la
réponse dans les deux contes.
Dans le premier conte, le conte n°3, le chant correspond
au syntagme 36. Ce sont des plaintes, des pleurs du poisson face au malheur qui
est le sien après le départ de la perdrix. Nous pouvons donc dire
que le conteur veut juste donner une pointe pathétique au sort du
poisson et émouvoir l'auditoire. Dans ces conditions, le chant est un
détail qu'on pourrait sortir de l'histoire, et cela n'affecterait pas
une seule seconde la logique de l'intrigue.
C'est une séquence facultative. Le syntagme 35 pourrait
être directement suivi du syntagme 37 et le conte garderait sa
logique.
Cependant au syntagme 43, le poisson reprend le chant. Cette
fois, le chant est un moyen pour tendre un piège au paysan. C'est un
moyen de séduction du poisson pour avoir sa liberté. Si ce chant
est supprimé à ce niveau, le conte perd sa logique. Le chant
participe ici et constitue un élément clé de l'intrigue.
Il constitue le moyen par lequel le poisson acquiert sa liberté. S'il
est supprimé, nous ne pourrons plus comprendre ce qui motive le paysan
à danser. Le chant dans ce cas est lié à l'intrigue.
Aussi verrons-nous l'importance du chant dans le conte
n°8. Dans ce conte, les syntagmes 60, 65, 84, 94, 104, 109, 129
représentent les chants. Ce sont notamment les appels et les
réponses des deux protagonistes. Ces chants ne peuvent pas être
dissociés de l'intrigue. Ils sont, soit la preuve de la traîtrise
(60, 84, 104, 129) du hérisson, l'ami de
Kànkànààmí, soit le signe de la
naïveté, de la bonté, de la loyauté de
Kànkànààmí envers son ami le
hérisson. Les chants s'intègrent complètement dans
l'intrigue et constitue de ce fait l'essentiel de celle-ci. Le chant participe
à la construction de l'intrigue, à l'embellissement du conte, et
à l'animation de l'énonciation du conte au même titre que
l'onomatopée.
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