2.3.2 Structure du conte Lokpa
Le conte Lokpa n'a pas une structure fixe. Comme nous l'avons
constaté plus haut, ils (les contes) ont des structures
différentes et ces structures obéissent le plus souvent à
la rhétorique, à l'argumentaire du conteur. Les contes Lokpa
peuvent être classés dans les différents types
définis par Denise PAULME. Ainsi dans notre corpus, le conte n°1
est du type complexe car il est composé de plusieurs séquences de
type ascendant, descendant ou cyclique. A chaque séquence apparait un ou
plusieurs nouveaux personnages et d'autres disparaissent100.
Le conte n°2 est en spirale. Mais contrairement à
ce que soutient PAULME, le héros ne reçoit pas l'aide de ses
alliés animaux, mais plutôt trois conseils d'un vieillard à
qui il a donné ses trois chameaux. Malgré la différence de
contenu entre l'exemple de PAULME et notre conte, la structure reste la
même. Le héros rencontre trois situations successives, aidé
par les trois conseils, il en sort riche et comblé.
La forme du conte permet au conteur de soutenir sa
pensée, sa philosophie. Dans le conte précédent, par
exemple, le conteur a voulu montrer l'utilité des conseils des personnes
âgées. Il donne la chance au héros de rencontrer un
vieillard, de réussir l'épreuve à lui imposée par
le vieillard, puis de survivre et même de devenir riche grâce aux
conseils qu'il a reçus après
l'épreuve101. La forme en spirale a
permis de montrer l'utilité des conseils du vieillard. Elle a permis de
mettre le héros face à trois situations nécessitant
chacune l'application d'un conseil. Certains conteurs déconstruisent
leurs contes dans le seul but de dire ce qu'ils veulent dire. Le conte n°6
a une structure assez spéciale et celle-ci illustre ce que nous avons
dit plus haut, à savoir la corrélation entre la structure et le
message du conte. En effet, le conte Lokpa s'ouvre presque par T?
tìì prononcé par le conteur, et T?
yàà102 qui est la réponse de l'auditoire. Une
fois ces formalités remplies, tout ce qui suit est
considéré comme faisant partie du conte. Donc notre conte
commencerait à partir du syntagme 1 et s'achèverait au syntagme
130. Or du syntagme 1 à 9, le conteur s'est livré à une
tirade philosophique sur l'idéal sociétal. Il nous
100 Pour plus de détails voir le chapitre 1.3.4 La
morphologie du conte africain selon Denise PAULME
101 Propp, Fonction n°12
102 Pour plus de détails voir 2.1.5 Comment se
déroule l'énonciation d'un conte
apprend en clair qu'une société ne peut
être équilibrée que si elle est composée de
façon hétéroclite : intelligents, moins intelligents, pas
du tout intelligents ensemble. Par analogie, nous pouvons ajouter, forts, moins
forts, faibles, riches, moins riches, pauvres etc.
Du syntagme 10 à 20, le conteur nous fait un cours de
géographie et d'histoire. Il change radicalement de sujet. Il nous
explique l'origine du nom Foumbéa qui serait issu du Yom : «
firmpiyà kg.
mpó t56
cilàyà t5m ki.
si h5tiryir
sirkpélúyu
(firmir
bíyàyà103) » traduit
comme : « Le nom Foumbéa vient du Yom. Cela signifie
?petite forêt ?(forêt//enfant)
». Il nous rappelle qui est le fondateur du village, nous situe dans
un espace géographique qui n'a rien à avoir avec la fiction.
A partir du syntagme 21, il annonce aussi que dans la "petite
forêt" aujourd'hui village de Foumbéa vivaient les hyènes
(protagonistes dans la vraie histoire) et ces hyènes tuaient les moutons
(autres protagonistes). Cette annonce des protagonistes lance aussi le conte.
L'histoire l'étend jusqu'au syntagme 126. Nous n'avons plus la trace du
fondateur du village. Il a disparu comme il est venu. Seuls moutons, cabris et
hyènes ont eu la parole et le droit à l'action.
Mais subitement le conteur conclut : « C'est ainsi
que le Lokpa quitta Kpàlàkir et alla s'installer
à Foumbéa et l'on parle aujourd'hui de Foumbéa.
» Cette conclusion vient donner aussi une réponse à
comment le village de Foumbéa est né lancé par le
conteur.
Nous constatons une déconstruction du récit du
conteur. Deux histoires sont racontées simultanément : une
fictive et une vraie. L'histoire fictive, c'est celle qu'on pourrait appeler
"conte", le vrai conte, celle du mouton, du cabri et de l'hyène. A
côté de celle-ci, nous avons la vraie histoire, vraie dans le sens
d'historique, située dans le temps et dans l'espace. Nous ne pouvons
malheureusement certifier si la version du conteur est conforme à celle
de l'histoire. Le conte semble incohérent, mais quand nous y
prêtons attention, l'évidence nous saute à l'oeil : le
conteur a tout prévu, et n'a rien dit au hasard.
La tirade qui a ouvert le conte, nous prépare
déjà à mieux comprendre le choix des personnages (mouton
"pas intelligent" et le cabri très intelligent). Ce développement
permet au conteur de s'assurer qu'il sera bien compris.
Cette tirade est aussi comme une thèse que l'histoire
du mouton et du cabri vient démontrer, défendre. Le conteur nous
a bien montré comment le cabri s'est servi de la peur du mouton pour
faire peur à l'hyène leur bourreau.
Ce qui n'est, en revanche, pas clair, c'est l'insertion de
l'histoire de la création de Foumbéa. Elle est sûrement due
à la volonté du conteur de rendre son histoire le plus
vraisemblable possible. En s'appuyant sur les lieux connus, il donne
l'impression que son histoire est réelle. En plus elle est directement
liée à l'histoire fictive du mouton et du cabri. Une association
qui accentue la vraisemblance.
La morphologie du conte Lokpa est donc changeante. Elle peut
être simple, complexe. Elle est surtout parfois voulue par le conteur. Ce
qui a pour conséquence de la rendre parfois encore plus complexe. Elle
peut aussi parfois contenir certains éléments remarquables qui
donnent plus d'allure et de beauté au conte. Il s'agit, dans le conte
Lokpa, surtout : du chant, de l'onomatopée ou des interjections du
conteur ou de l'auditoire.
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