2.2.6 Pourquoi dit-on les contes ?
Nous avons déjà répondu partiellement
à cette question. Le sujet de toute cette étude consistera
à donner une réponse à cette question.
Pourquoi dit-on les contes ? La réponse a
été pendant longtemps : pour se distraire. Puis depuis peu de
temps elle est devenue : pour se distraire mais aussi pour s'instruire, pour
instruire, enseigner, éduquer, apprendre et faire apprendre.
Commençons par la première réponse, celle
qui soutient que le conte sert à distraire. Il serait faire preuve de
mauvaise foi, ou de purisme si l'on réfute cette idée. Elle est
vraie. Le conte sert à distraire. C'est un moyen de distraction, de
divertissement, de loisir. C'est toujours un grand plaisir que d'écouter
un conte, de chanter à la suite du conteur et même parfois de
danser au son des castagnettes qui accompagnent certains chants du conte. Le
caractère ludique du conte n'est plus à ce stade à
démontrer : le conte nous fait danser, il nous fait rire, il nous
remplit d'une joie inestimable, il nous fait aussi pleurer comme le
théâtre, le cinéma, la lecture d'un livre le ferait. Les
frasques d'Acì chez les Lokpa, Leuk-le-Lièvre, selon
Léopold Sédar Senghor et Abdoulaye Sadji98, ne
laissent personne indifférent. Les surprises désagréables
de l'hyène, du singe et du boa, la ruse de la tortue et du cabri, la
peur démesurée du mouton sont autant d'ingrédients qui
font sourire. A côte de ces personnages symboliques, allégorique,
le style du conteur ! Le tout mis ensemble est un cocktail qui procure du
plaisir, qui distrait.
Cependant, d'un autre côté, dire que le conte est
dit juste pour distraire, revient à passer à
côté de l'essentiel du conte. Car ce qu'il faut comprendre,
c'est que si le conte était un médicament
98 Léopold Sédar SENGHOR, Abdoulaye
Sadji, La belle histoire de Leuk-le-Lièvre, Paris, 1953
sous la forme d'un sirop, sa face ludique s'identifierait
à la substance sucrée du sirop. Or nous le savons très
bien : ce sucre est mis pour rendre la consommation du médicament plus
facile, plus agréable aussi bien pour les enfants que pour les adultes.
Mais la substance qui guérit le mal n'est pas sucrée, bien au
contraire. Elle peut être amère, acide, ou tout simplement fade,
donc désagréable à consommer. Cette partie du sirop,
difficilement consommable, la substance qui soigne, est la partie du conte qui
éduque. C'est d'ailleurs l'élément le plus important du
conte car le reste n'est là que pour détourner l'attention, pour
rendre l'assimilation de la substance salvatrice au niveau du sirop,
éducatrice, instructrice, au niveau du conte aisée, plus
agréable. Le conteur est selon notre théorie le docteur, et
l'auditoire le patient. Dire donc que le conte sert juste à distraire,
revient à dire qu'on boit le sirop pas pour se soigner, mais juste pour
son goût sucré. Ce qui, à notre avis, relève d'une
méconnaissance grave.
Le conte éduque. La question qu'il nous faut
résoudre à présent, c'est comment le conte éduque.
Pour répondre à cette question, nous étudierons les contes
de notre corpus. Cette analyse de notre corpus nous permettra de montrer
comment le conte Lokpa éduque.
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