CONCLUSION
L'opinion publique togolaise parle
généralement des trente années de colonisation allemande
au Togo (1884-1914) comme ayant été une période dont on
garde des souvenirs merveilleux, ce qui expliquerait la grande sympathie que
beaucoup de populations togolaises éprouvent encore aujourd'hui. Mais si
l'on devrait faire des recherches très poussées sur chaque aspect
de la vie à l'époque allemande, il n'est pas certain que l'on
parvienne à confirmer que tous les souvenirs ont été
vraiment si merveilleux. C'est l'impression générale qui se
dégage de la modeste étude que nous avons entreprise sur les
« métis allemands » du Togo. En trente années,
l'administration coloniale allemande au Togo a réussi à faire de
ce qui n'était nullement un problème en 1884, un vrai
problème de société. Il faut comprendre cette expression
« problème de société », non pas au sens
où l'entendaient les Allemands qui se disaient soucieux de la
préservation de la race blanche tout en commettant impunément des
actes d'immoralité et d'irresponsabilité, mais plutôt au
sens de la souffrance des femmes togolaises qui se croyaient mariées
à des hommes blancs, mais qui étaient réduites au rang de
maîtresses et de concubines, parfois considérées comme de
simples prostituées par une administration coloniale qui leur
déniait tout droit et tout sentiment. Pire encore, ce problème de
société concernait en premier lieu les enfants nés
métis, nés « hors-mariages » et qui ont souvent
été doublement victimes : d'abord de la part de leurs
géniteurs qui, le plus souvent, refusaient de les reconnaître,
puis de la part de l'administration coloniale qui, au nom du principe de la
séparartion des races, ne les reconnaîtra jamais, même si
les géniteurs le désiraient. Beaucoup de « métis
allemands » du Togo ont donc été doublement victimes de
cette réalité historique, et en ont gardé sans aucun doute
un traumatisme qu'ils tentent d'oublier et de guérir en proclamant
aujourd'hui que « tous les Allemands sont nos frères et soeurs
» (Petschull 1984 :119). Jamais l'administration coloniale allemande
n'a accepté les métis allemands du Togo comme des frères
et soeurs des Allemands, car c'est seulement après le départ des
Allemands du Togo que les lois iniques sur les métis ont
été abrogées, et que les métis allemands« ont
obtenu le droit de porter le nom de leur géniteur allemand
respectif.
Si certains métis allemands« du Togo ont pu
avoir une éducation acceptable et mener plus tard une vie honorable,
ils le doivent certes aux mesures prise par l'administration
coloniale d'obliger les géniteurs allemands
à s'occuper de leur progéniture, ce qui fut respecté par
certains, même avant la promulgation de cette ordonnance. Mais la plupart
des métis allemands« doivent leur succès à leurs
mères africaines et aux familles de ces dernières qui les ont
toujours pris pour des enfants comme tous les autres. On ne doit pas passer
sous silence le rôle capital des missions catholiques et protestantes
auxquelles la plupart de ces métis furent confiés pour leur
scolarisation et leur formation; mais en même temps, il faut aussi
souligner et déplorer la complicité
délibérée des missionnaires allemands - catholiques comme
protestants - dans la politique raciale du gouvernement colonial envers les
métis: si, en tant que messagers de la Bonne Nouvelle qui a aboli les
frontières entre maîtres et esclaves, si, en tant que serviteurs
du Christ qui a proclamé la Nouvelle Loi de l'Amour entre tous les
hommes, les missionnaires allemands avaient refusé de cautionner le
principe raciste sur lequel étaient fondées toutes les mesures
prises dans la gestion de l'affaire des métis au Togo, alors ils
auraient constitué le garde-fou qui aurait empêché les
problèmes sociaux engendrés par la recrudescence des métis
allemands au Togo, et ils auraient ainsi mérité plus de
reconnaissance et plus d'éloge de la part de ceux qui sont
chargés d'écrire l'histoire des Togolais, particulièrement
sur cette question.
Vu avec le recul du temps, la législation sur
les métis allemands« a fait des victimes
individuelles, mais n'a pas réussi à modifier profondément
la structure traditionnelle de la société togolais
précoloniale. Les 30 années de colonisation allemande, et
particulièrement les dix années de réglementation de la
vie des métis, n'ont été qu'une parenthèse vite
oubliée - plus exactement : vite occultée - dès que les
Allemands ont dû quitter le Togo en 1914. On le voit bien à
l'exemple de Fritz Durchbach qui a repris immédiatement son nom à
l'avènement des Français.
Le règlement de la question des
métis allemands« par l'administration coloniale
allemande avait pour justification initiale l'aspect social: protection des
métis. Mais en réalité, les discussions qui ont
précédé les différents textes réglementaires
prouvent que la justification principale de l'intervention de l'administration
coloniale dans cette question est d'ordre politique: c`est la politique raciale
du Reich qui a dicté les mesures prises dans cette question.
Finalement, la réglementation sur la question
des métis ne s'est pas du tout attaquée à la cause du
problème qui est la dépravation des moeurs des administrateurs
coloniaux et l'immoralité de leur comportement envers les femmes
noires. C'est pour préserver la
prétendue pureté et la supposée
supériorité de la race blanche que l'administration coloniale a
réglementé le port des noms allemands par les enfants
métis allemands«. Et finalement, c'est pour pour garantir la
pérennité du pouvoir colonial blanc sur la population noire.
C'est la peur de voir les métis constituer politiquement une classe
intermédiaire entres les Blancs et les Noirs, et de les voir s'appuyer
sur ces derniers pour réclamer ensuite le partage du pouvoir avec les
Blancs : c'est la peur de voir les métis constituer une
élite« politique qui deviendrait éventuellement
l'avant-garde de la lutte pour l'indépendance, comme ce fut le cas
ultérieurement dans plusieurs colonies européennes, notamment
portugaises.
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