4 - Commentaire récapitulatif
Il ressort de la documentation globale
présentée ici que la question des « métis allemands
» au Togo est apparue au grand jour avec la naissance en 1897 de Josef
Comla, fils du gouverneur Köhler qui a eu du mal à camoufler cette
affaire considéré comme un scandale, et qui, de surcroît,
est mort peu de temps après, alors que cet enfant n'avait pas encore
l'âge d'être autonome. C'est alors que l'administration coloniale a
pris conscience que la question des métis n'était pas une affaire
privée, mais qu'elle pouvait créer des situations sociales
difficilement gérables. Elle a donc commencé à envisager
des solutions, toutefois sans avoir le courage de prendre le mal à la
racine, notamment en agissant en direction des administrateurs allemands. La
première mesure de réglementation fut l'intervention
policière sous forme de rafle, comme le prouve le cas suivant
rapporté par Jürgen Petschull (1984 :124)69 : Le 10
mars 1901, l'employé de commerce Hermann Schubert écrit à
la police: `Hier nuit l'indigène Eugenea Malami a été, par
erreur de votre part, arrêtée comme prostituée. En fait, il
s'agit de ma concubine. Je vous prie respectueusement de la remettre
immédiatement à ma disposition.«
On constate donc que, faute de pouvoir agir en
direction des hommes blancs qui recherchent les femmes noires, la police
décide plutôt de sévir contre les femmes noires, en les
arrêtant comme de vulgaires prostituées. Et cela donne comme
conséquence, ce cas pénible où c'est le partenaire
allemand de la femme noire qui vient réclamer, par voie officielle
écrite, la restitution de sa partenaire qu'il appelle « concubine
». Il n'a donc aucune honte et aucun mal à déclarer
publiquement qu'il a une concubine noire. En somme, l'administration n'a aucun
moyen de lutter contre son union mixte, pourtant décriée par
presque tous les Allemands de la métropole. Il est donc assuré de
l'impunité, sachant que l'union mixte avec une femme noire ne constitue
pas un délit.
Ainsi, lorsqu'on voit le nombre d'enfants que le Dr
Ernst Krüger lui seul reconnaît avoir engendré au Togo, ou
encore le nombre des enfants du commerçant allemand Harry
69 Da schrieb am 10. März 1901 der
Faktorei-Angestellte Hermann Schubert an die Polizeidienststelle Lomé:
`Gestern Nacht wurde von Ihnen die Eingeborene Eugenea Malami ihrerseits
irrtümlich als Prostituierte aufgegriffen. Richtigerweise handelt es sich
um meine Konkubine. Ich bitte ergebenst, sie mir wieder umgehend zur
Verfügung zu stellen."(cité in Jürgen Petschull 1984
:124)
Grunitzky, il y a de quoi mesurer l'ampleur du
phénomène des « métis allemands »
engendrés en toute impunité, et parfois négligés,
voire rejetés, comme le montre le cas de la dame Afassi obligée
de venir réclamer devant l'administration la pension alimentaire de
l'enfant qu'elle a eu avec un noble, l'administrateur allemand Baron von
Rotberg. Ce cas, comme celui de Josef Comla, fils du gouverneur August
Köhler, illustre non seulement la précarité de l'existence
des « métis allemands » et de leurs mères togolaises,
mais surtout l'immoralité de certains pères allemands : Le Baron
Wernher von Rotberg qui n'a passé que peu de temps au Togo, a eu cette
liaison et cet enfant, s'est contenté de donner à la mère
une somme forfaitaire dérisoire, puis a disparu du Togo sans plus jamais
s'enquérir de l'avenir de sa progéniture. Où est donc la
morale de la noblesse allemande? Quelle est la légitimité de tels
administrateurs à «civiliser» les Noirs, si eux-mêmes se
comportent d'une manière aussi immorale? Voilà des questions que
soulève le cas du Baron von Rotberg, comme d'ailleurs celui de beaucoup
d'autes pères de «métis allemands» du Togo.
L'autre cas, celui de Fritz Durchbach, pose la
question du droit des métis à porter le nom de leur père
allemand. Dans le rapport que l'administrateur Schmidt a adressé au
Gouverneur en date du 15 août 1905, suite à une enquête
approfondie qu'il avait menée auprès des familles les plus en vue
à Aneho, il avait bien précisé le point de vue
exprimé par les autochtones: «Die Häuptlinge und
Erschienenen erklären einstimming, sie sähen ein Mulattenkind stets
für voll an, nur müsse es den Namen seines Vaters tragen. Wie ich
mich selbst überzeugt habe, ist dieses letztere auch stets der Fall und es
wird streng darauf gehalten, dass das betreffende Mulattenkind, wenn es gefragt
wird, stets den Namen seines Erzeugers mit angibt.»Après des
pourparlers avec les représentants de tous les Allemands du Togo,
l'ordonnance 18 octobre 1913 prise à ce sujet par l'administration
coloniale, va totalement à l'encontre de l'avis des autochtones: un
métis n'a pas le droit de porter le nom de son père allemand.
Cette decision est explicitement justifiée par les discussions autour du
cas de Fritz Durchbach, et révèle que l'administration coloniale
ne veut pas qu'un Allemand revenu des colonies puisse avoir des enfants
métis qui pourraient revendiquer les mêmes droits que des enfants
allemands. On peut postuler que c'est donc l'instinct de conservation de la
race qui a poussé les Allemands à refuser de reconnaître
les métis.
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