3.4.3- Traduction intégrale du texte en
français
P. 266 : Extrait d'un rapport du chef de district
Clausnitzer en date du 16. 12. 1913
« [...] Par ailleurs, dans la conception des
indigènes, on ne connaît pas la notion « d'enfants
hors-mariage », bien au contraire, la plupart du temps tous les enfants
d'un même père sont considérés comme étant de
la même famille, celle du père. Le mulâtre Fritz Durchbach a
demandé récemment l'autorisation de continuer à porter le
nom de son père dans l'avenir ; à la proposition selon laquelle
il devrait prendre le nom de sa mère (Garber), il a
répliqué en disant qu'il a le sang Durchubach et non
Garber.
P. 282 : Disposition prise et mentionnée sur le
dossier : l'affaire est soumise à Son Excellence [le duc de Mecklenburg]
pour décision à prendre. Entretien avec lui sur la question le le
23. 12.
`'Décision prise, Lomé 24 Dec.
1913
La requête du mulâtre Fritz Durchbach,
résidant à Lomé, au sujet de l'autorisation de garder le
nom de famille allemand « Durchbach » a été
rejetée pour des raisons de principe. Mis à part le fait qu'il
paraît douteux que le commerçant Durchbach soit le géniteur
du requérant et que ce dernier ait été effectivement
baptisé sur le nom de Durchbach, et même si ces deux indications
sont exactes, elles et toutes les autres
argumentations présentées ne sont pas
suffisamment probantes pour justifier l'attribution d'une telle autorisation.
Le requérant est invité, lors du changement de nom sur les
papiers de son terrain immatriculé sous Durchbach, à solliciter
que les frais entraînés par le changement de nom soient
réduits. Le requérant a un délai d'un mois pour indiquer
quel nom de famille il voudrait porter désormais. Il suffirait que l'on
supprime les deux [lettres] ch dans le nom « Durchbach ».
Je vous prie de veiller à ce que le
requérant soit informé de cette décision.
pour le gouverneur et p.o. signé von
Doering
P. 284 : `' Durchbach s'appelle Fritz Kuavowi. Il refuse
de porter tout autre nom et désire quitter la colonie» Fette,
Lomé 5/II (5 février 1914)
P. 285-287. Au gouvernement impérial d'ici.
Lomé, le 06 février 1914 suite à l'arrêté du
24 décembre passé.
Durchbach refuse de porter tout autre nom. Il veut
abandonner son poste chez Bödecker & Meyer et émigrer, si l'on
ne lui permet pas de continuer de porter le nom `' Durchbach» auquel il
pense - à tort - avoir droit. Pour tout changement à ce propos,
il reste inflexible. Avant son voyage sur l'Allemagne, le responsable de la
firme Bödecker & Meyer, le commerçant Fette, s'est
adressé à moi à ce sujet et à déclaré
qu'il était d'une grande importance pour la firme de garder Durchbach.
J'ai informé Fette, que le gouvernement impérial pourrait
peut-être permettre à Durchbach, à titre exceptionnel, de
continuer de porter le nom, à la condition particulière, qu'il
soit prouvé qu'aucun membre du feu commerçant Durchbach ne soit
plus vivant, ou le cas échéant, que tout descendant de Durchbach
encore vivant donne son accord. Fette veut pour cela recueillir des
informations en Allemagne et faire part de ses résultats.
Je propose très respectueusement qu'en attendant
d'avoir ces résultats, la décision dans l'affaire soit suspendue
et que le requérant continue provisoirement de porter le
nom.
Clausnitzer 5/II (1914)
Note : J'accepte cette proposition. Une nouvelle
présentation sera faite à l'arrivée de M. Fette. Le
gouverneur Duc de Mecklenburg.
P.291 : `'Bödecker & Meyer. Hamburg, le 9 mars
1914
Au Chef de district de Lomé,
J'ai pu constater que le commerçant Durchbach
est décédé il y a plusieurs années à Altona.
En outre j'ai remarqué que le nom Durchbach n'existe dans aucun registre
que ce soit, ni à Hambourg, ni à Altona.
J'essayerai d'obtenir une attestation à cet effet
de la police d'Altona, afin de l'envoyer par le prochain courrier au Chef de
District de Lomé.
Avec mes salutations distinguées, P.
Fette
P. 293 Hambourg, le 24 avril. Je suis aux regrets de
vous annoncer que je n'ai pas réussi à obtenir une attestation de
la part de la police d'ici, d'où il en ressort que la police de Hambourg
et celle d'Altona ne connaissent personne du nom de Durchbach.
Avec mes salutations distinguées, P.
Fette.
Durchbach est informé qu'il ne doit plus continuer
à porter le nom Durchbach et qu'il est libre d'accepter le nom
Durbach.
Clausnitzer.
P. 294 : Lomé, le 19 mai 1914. Le chef de
District, Lomé.
Le mulâtre Fritz Durchbach comparut et
déclara, je porterai à l'avenir le nom de famille
`'Durbach».
Fritz Durbach.
Interprète. Adolph d'Almeida.
Dossier clos
Signé Clausnitzer.
P. 297 À la firme Bödecker & Meyer d'ici.
Lomé, le 9 juin 1914.
Il est interdit à l'employé Fritz
Durchbach, sur ordre du gouvernement, depuis le 26 du mois dernier, de
continuer de porter le nom de famille Durchbach, et conformément
à la déclaration du Chef de district, il est averti qu'en cas
de désobéissance il sera puni. Il
devrait particulièrement faire attention pour que
le nom `'Durchbach» ne lui serve plus aussi dans la firme. Durchbach a
fait la déclaration de porter le nom Kuaovi à
l'avenir.*
Clausnitzer.
*[NB] : Une telle déclaration ne se trouve pas
dans le dossier.
P. 302 : Je constate que ce mulâtre continue de
porter le nom de famille `'Durchbach» contrairement à l'ordre du
dernier gouverneur allemand en date du 24 décembre 1913 (voir page 170)
et l'ordre du 15 mai 1914 et le consentement signé par lui-même le
19 mai 1914 (page 177). Il est informé que l'ordre du dernier gouverneur
allemand est toujours en vigueur et devrait être obéi et il lui
est interdit de porter encore le nom Durchbach. Voir la page 410 du code
pénal de cette date.
A.R. Holliday - Officier politique du district. 27 avril
1918.
[NB] : D'après mon fichier personnel, Durchbach
(probablement Friedrich) fut agent principal de la firme Max Grumbach à
Petit Popo (Aného) 1885 - 1888 ; il a eu là-bas une femme de la
famille Garber et son fils mulâtre Fritz est né en ces
temps-là. (Sebald)
Commentaire succinct
Le cas de Fritz Durchbach illustre de manière
exemplaire l'idée selon laquelle, avant l'administration allemande au
Togo, le métissage ne constituait pas un problème. Après
avoir décrété qu'un métis n'a pas le droit de
porter le nom de son géniteur, l'adminsitartion coloniale allemande
avait laissé une petite porte de compromis en concédant des cas
exceptionnels, par autorisation du gouverneur. Fritz Durchbach qui avait
jusque-là porté son nom allemand sans problème, s'est
rué dans cette petite prèche, pour pouvoir rester dans la
légalité. Mais le traitement de son dossier montre que
l'administration n'envisageait nullement de laisser des métis porter des
noms allemands. Le combat de Durchbach s'est achevé faute de combattant,
car c'est pratiquement l'issue de la guerre qui a implicitement clos le
dossier, mais s'il avait eu gain de cause face à l'administration
allemande, nul doute qu'il aurait créé ainsi un
précédent porteur de conséquence pour les autres
métis. D'ailleurs, lui-même n'était pas le seul à
porter le nom de Durchbach, car son père avait eu deux autres enfants
métis (Brenda et Randal Durchbach), et il aurait été
intéressant de savoir comment ces cas auraient été
traités : auraient-ils eu ce droit automatiquement, par déduction
du droit de leur frère ainé Fritz,
ou bien seraient-ils traités
séparément ? Ce ne sont là que des interrogations
spéculatives. Mais la réalité est là : Fritz,
Brenda et Randal Durchbach n'ont eu le droit de porter le nom de leur
père que par décret de l'administration
française.
Chaque « métis allemand » du Togo a
certainement son histoire digne d'être connue, mais il existe trop peu
d'études consacrées à cette question, alors que tous les
jours et dans tous les coins du Togo, on rencontre des noms de
résonnance allemande. Le cas de Fritz Durchbach qui s'est courageusement
battu pour reconquérir le droit de porter le nom allemand de son
père nous amène aussi à parler des nombreux métis
(ou de leurs familles) qui n'ont pas jugé utile de mener un tel combat.
Parmi eux, certains ne se sont jamais vraiment intéressés
à la question du nom du père ; ils ont tout juste gardé le
nom de naissance de la maman, comme cela a été proposé
à Fritz Durchbach. Le repertoire de Peter Sebald en fournit des
exemples. Ce repertoire offre d'ailleurs aussi l'opportunité de
déceler bien d'autres problèmes liés aux relations des
Allemands du Togo avec les Togolaises, à l'époque coloniale :
viols de mineures, contestation de grossesse et de paternité, polygamie
des Européens en Afrique etc. Mais aborder tous ces problèmes ici
déborderait largement le cadre de notre modeste
étude.
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