B. Le temps de la contestation15
Durant les années 1960, quatre groupes contestataires
virent le jour : les Noirs militant pour l'obtention de leurs droits civiques
(autrement appelés The Civil Right Movement), les
étudiants désireux de jouer un rôle politique sur leur
campus et ainsi instaurer un Student Power, les féministes du
Women's Lib voulant mettre un terme à la discrimination
sexuelle au même titre que le Gay Power et enfin les
minorités ethniques comme les Indiens, les Chicanos ou les Portoricains
espérant une reconnaissance de leur différence dans un
melting-pot qui semble être à leurs yeux qu'une salad
bowl (NdT : « boule de salade ») dans laquelle les
ingrédients ne se mélangent pas. La révolution
contre-culturelle, dont les adeptes proviennent de divers horizons, est le
reflet culturel de la contestation en prenant le contre-pied de la culture
établie.
1. Qu'est-ce que contester ?
« Le sentiment contestataire apparaît lorsque le
sujet est confronté à un contexte politique,
socio-économique ou culturel qu'il ressent comme oppressant et/ou
contraire aux idées et aux idéaux que le contestataire en devenir
se fait de la société dans laquelle il souhaite
s'épanouir. Pour ce sujet, la contestation devient un ensemble complexe
d'attitudes dont le point commun est le refus catégorique de l'ordre
établi et de tout ce qu'il représente à ses yeux.
Confronté à un système étatique qu'il juge rigide,
intransigeant et aliénant, le contestataire souhaite affirmer les droits
des individus et des groupes plus ou moins organisés en prônant
une révolution spontanée, quasi instinctive, fondée sur
l'action directe. »16
15 Cette partie se réfère à
l'ouvrage suivant : ROBERT Frédéric, L'Amérique
contestataire des années soixante, Paris, Ellipses, 1999, 90
pages.
16 Ibid, p. 4.
Cette définition que nous fournit
Frédéric Robert de la contestation des années 1960 est
riche de renseignements. Elle paraît peu en accord avec la vieille
gauche, mouvement politico-syndical à caractère marxiste
dont la théorisation des luttes sociales prime sur l'action directe, qui
favorise la théorie suivie de l'action. Les contestataires des
années 1960 sont coupés des aspirations du monde populaire parce
que leurs causes sont éloignées de celles qui animaient le monde
syndical. En effet, nous ne sommes plus en ce temps-là dans une
confrontation de classes sociales, le prolétariat contre la classe
dominante, mais dans une lutte pour sortir l'individu de l'aliénation de
la société. Cette contestation n'a plus pour but
d'améliorer les conditions de vie des ouvriers mais de changer l'ordre
social. La nature des deux forces divergentes a changé. Il n'y a plus
deux groupes d'individus en conflit mais un groupe contre le reste de la
société, sinon du contexte social dans lequel il est
emprisonné. Les causes revendiquées ne servent plus les
intérêts d'un groupe plus ou moins restreint d'individus mais
l'ensemble de la société comme la défense de
l'environnement ou encore la liberté sexuelle.
Les contestataires renouvellent leur mode d'action.
Jusque-là, la grève et la manifestation étaient les seules
actions permettant la diffusion des revendications. La première de ces
nouvelles actions est le sit-in. Ce terme anglophone signifie «
s'asseoir ». Le premier eut lieu le premier février 1960. Quatre
jeunes Noirs de l'université locale North Agricultura and Technical
College s'opposèrent de manière non-violente au comportement
raciste que leur avait réservé l'un des serveurs d'un restaurant
de Woolworth. En effet, cette personne refusa de les servir et leur pria de
quitter les lieux. Les quatre victimes de cette discrimination raciale
décidèrent de rester assis sans attaques physiques ni verbales.
Ils remettent en question les fondements de la vie politique et sociale par
leur contestation de la ségrégation raciale. Par
solidarité avec leurs camarades, des étudiants blancs vinrent
s'asseoir dans le restaurant afin de donner une image symbolique d'une
coalition inter-raciale. A partir de cet
événement, de nombreuses actions directes et
massives eurent lieu dans de nombreuses villes du sud et du nord des Etats-Unis
comme dans le Dakota du Nord, l'Illinois ou encore l'Indiana avec la
participation d'étudiants blancs. Ceci est la preuve qu'une
solidarité fraternelle se met en place et que les jeunes veulent mettre
un terme à l'une des pires conventions de leur pays.
Le teach-in (NdT : apprendre) est un autre moyen de
contestation possible. Cela consiste à rassembler étudiants et
enseignants désirants débattre sur des problèmes
liés à l'actualité comme la ségrégation
raciale, la politique adoptée par Washington ou encore la guerre du
Vietnam. La prise de parole est libre, sans différenciation entre
étudiants et enseignants, chacun pouvant s'exprimer à
l'égal de son voisin. Le premier teach-in eut lieu à
l'Université du Michigan le 24 novembre 1965. Il débuta à
20h, finit à 8h le lendemain matin et rassembla 3000 étudiants.
Les sujets portaient sur la guerre du Vietnam. L'initiative de ce grand
débat fut prise par le corps enseignant qui avait soutenu la candidature
de Lyndon Baines Johnson afin de décréter si une grève au
sein de l'université pouvait toucher le gouvernement à propos de
la poursuite des hostilités en Asie. Parallèlement à ce
débat, les participants discutèrent sur les raisons, les enjeux
et l'évolution des combats. Ce genre de réflexion eut un franc
succès lors de cette première. De nombreux établissements
universitaires mirent en place de pareils rassemblements principalement
axés sur le conflit vietnamien comme l'Université de Columbia le
25 mars de cette même année, l'Université du Wisconsin le
premier avril, celles de Rutgers et de l'Oregon le 23 avril, celle de
Washington le 15 mai et celle de Berkeley les 21 et 22 mai.
Le sit-in et le teach-in restent des
manifestations relativement statiques se faisant principalement dans la
sphère universitaire tandis que les marches permettent d'attirer des
personnes d'horizons divers ne faisant pas partie de l'environnement
étudiant par leur action dans la rue. L'une des plus
célèbres marche, intitulée March on Washington to End
the War in Vietnam, fut organisée par le mouvement Students for
a Democratic Society (NdT : Etudiants
pour une Société Démocratique) le 17
avril 1965. Cette manifestation était dirigée contre le
gouvernement incapable, aux yeux des contestataires, de stopper le conflit et
de retirer les troupes depuis la décision du Président datant du
7 février qui prévoit de bombarder le Vietnam du Nord. La SDS
(Students for a Democratic Society) eut le soutien de mouvements
pacifistes comme le National Committee for a Sane Nuclear Policy (NdT
: Comité National pour une Politique Nucléaire Saine), et
d'organisations noires comme Student Nonviolent Coordinating Committee
(NdT : Comité Etudiant Coordinateur Non-violent) ou Southern
Christian Leadership Conference (NdT : Direction de la Conférence
Chrétienne du Sud). Cette marche réunit plus de 25 000 personnes
défilant dans la capitale fédérale jusqu'à Capitol
Hill. Elle permit à l'opinion publique américaine de rendre
compte de l'étendue de la contestation envers la guerre du Vietnam.
Cette Marche sur Washington connut un immense impact grâce à la
couverture médiatique qui permit la contestation d'entrer dans les
foyers américains les plus éloignés de Washington.
D'autres marches suivirent comme celle du 26 mars 1966 organisée par le
National Mobilization Committee (NdT : Comité National de
Mobilisation), mouvement à caractère pacifiste, appelée la
Spring Mobilization March (NdT : Marche de Mobilisation du Printemps)
à New York sur la Cinquième Avenue. 22 000 participants se
rendirent à l'entrée principale de Central Park afin de
démontrer que la vie ne pouvait pas être paisible sur l'une des
principales avenues de la « Grosse Pomme » alors que des concitoyens
américains se font tuer de l'autre côté du globe, dans la
jungle vietnamienne.
Plus les hostilités s'intensifiaient, plus les
contestataires durcissaient leurs actions. Par exemple en Californie les
actions directes atteignent une amplitude élevée sur
l'échelle de Richter de la contestation. Des contestataires californiens
barrèrent l'accès des volontaires prêts au combat sous la
bannière étoilée au centre de recrutement militaire
d'Oakland durant une semaine. Cela résulta à une confrontation
violente entre pacifistes et forces de l'ordre ainsi que de
nombreuses arrestations. De ce fait, afin de maintenir le bon
fonctionnement de la circulation des volontaires, l'Etat de Californie
transporta les nouveaux conscrits en bus sous escorte de policiers
motorisés. Cela suscite un échec pour les contestataires parce
qu'ils ont été incapables de faire changer d'avis au moindre
volontaire. Les marches en faveur de l'arrêt des combats en Asie du
Sud-Est pouvaient se terminer en burn-ins (NdT : brûler) aussi
bien que les sit-ins pouvaient finir en sleep-ins (NdT :
dormir). L'un des burn-ins les plus célèbres reste
l'image des contestataires provoquant le gouvernement en brûlant leur
carte de conscription. Ce geste fut formellement interdit par la loi datant
d'août 1965 selon laquelle toute personne prise en flagrant délit
était immédiatement emprisonnée pour cinq ans suivie d'une
amende de 10 000 dollars.
Par la suite, les contestataires voulurent mettre l'accent sur
l'aspect convivial, amical et fraternel de ces rassemblements, outre les
sit-ins, teach-ins et autres marches, par l'apparition du
human be-in (NdT : être humain). Le premier eut lieu au Golden
Gate Park dans la baie de San Francisco en janvier 1967, mieux connu sous le
nom de Gathering of the Tribes (NdT : Réunion des Tribus)
où 20 000 personnes virent les performances des groupes pionniers
d'acid-rock comme Country Joe and the Fish, Moby Grape, The Quiksilver
Messenger Service ou encore The Steve Miller Band, Jefferson Airplane et
Grateful Dead. Ce genre de manifestation a pour objectif de rassembler le plus
de contestataires issus de divers mouvements en un endroit donné. Lors
de l'événement cité ci-dessus, les participants se
réunirent pour débattre sur la politique et consommer du LSD.
Cette première manifestation de human be-in est suivie quelques
mois plus tard par le festival de Monterey, du 16 au 18 juin sous l'initiative
de Lou Adler et Alan Pariser afin d'apporter un écho médiatique
que le Gathering of the Tribes n'a pas eu. L'événement
le plus important de cette année 1967 reste The Summer Of Love
où un demi-millions de hippies occupèrent la baie de San
Francisco dans une explosion de LSD, de fraternité,
d'amour et de musique. Dans un même ordre d'idée,
le festival de Woodstock dans l'Etat de New York reste l'exemple le plus
significatif et le plus symbolique de cette forme de contestation. Du 15 au 17
août 1969, 500 000 spectateurs répondirent présent à
l'appel. L'objectif de ce festival était de créer une
Woodstock Nation (NdT : Nation Woodstock) selon la formule d'Abbie
Hoffman, personnage emblématique de la contre-culture dans laquelle des
valeurs comme l'amour, la paix et la fraternité devaient régner
sans partage. Woodstock reste le symbole de la paix et de la fraternité
grâce au calme qui y régna. Malgré le nombre de
participants, aucun incident ne fut répertorié si bien que le
magazine New York Times rend hommage à la citoyenneté des jeunes
américains dans son numéro du 19 août. Ces regroupements
non-violents sont très importants à mes yeux. Ils symbolisent la
solidarité d'une génération qui veut changer les
règles sociales par leur attitude non-conventionnelle face à
l'ordre établi. Les human be-ins semblent prendre le
contre-pied des valeurs américaines dominantes comme le
matérialisme, la course au succès et à l'argent ou encore
le caractère impersonnel de la société.
L'action directe est donc polymorphe. Le contestataire est mis
en avant ce qui lui permet de prendre sa destinée en main. Il remplit de
ce fait trois statuts sociaux en même temps : il est à la fois
organisateur, acteur et spectateur de son propre avenir à travers une
fonction de transformateur social.
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