C. Etude sociologique du rock29
Selon Perry Anderson, le rock apparaît lors
d'une période postmoderne définie par l'embourgeoisement des
individus. L'après guerre est marquée d'après ce dernier
par une abolition de l'ordre semi-aristocratique ou agraire. Ceci est dû
par une américanisation de l'Europe au travers de ses choix
économiques. En effet, l'arrivée en force du fordisme ainsi que
la production et la consommation de productions de masse aligne le
système économique européen sur le modèle
américain. Cette société postmoderne correspond ainsi
29 Voici l' ouvrage qui a été utile
à l'élaboration de cette partie : LONGHURST Brian, Popular
Music & Society, Cambridge, Polity Press, 1995, p. 278.
avec la mise en place du capitalisme. Le rock
apparaît avec l'avènement des industries de communication
multinationales, l'intégration de plusieurs formes de médias, le
développement des nouvelles technologies, la signification de l'imagerie
ainsi que la fusion entre les théories artistiques et les techniques
commerciales30. Richard Middleton va dans le même sens en
précisant toutefois que le rock est issu des classes
ouvrières devenant ainsi des mouvances significatives dans la
création musicale.
D'autre part, la signification du rock aux yeux de
Simon Frith et d'Angela Mc Robbie sur la représentation de la
sexualité est marquée par la domination masculine de l'industrie
musicale. Le rock représente donc la masculinité de la
musique populaire contemporaine. Il est vrai qu'il existe deux conceptions de
ce dernier assez différentes : le cock rock et le
teenybop. Ce premier correspond à l'expression explicite, crue
et parfois agressive de la sexualité masculine. L'un des groupes
passés maîtres dans ce genre précis reste les Rolling
Stones qui adoptent une attitude dominatrice et vantarde, cherchant à
rappeler à leur public leur prouesse et leur contrôle. Ils
correspondent à l'image du chevalier servant brisant les hôtels et
les groupies. Sur le plan musical, ce genre repose sur une franchise sexuelle
du rythm'n'blues à laquelle est ajoutée une image
masculine crue portée sur la dureté, le contrôle et la
virtuosité. Le teenybop quant à lui est plus
apprécié par les filles. Les idoles de ce dernier
présentent une image basée sur la pitié de soi, la
vulnérabilité et le besoin. La sexualité masculine y est
synonyme de désir ardent portant uniquement sur des insinuations sur
l'interaction sexuelle. Ces deux analyses tendent à valoriser le
cock rock plutôt que le teenybop. De plus le public
féminin est très réceptif à ce premier.
L'illustration la plus explicite se trouve dans les foules constituées
de filles s'égosillant lors des prestations des Rolling Stones qui sont
pourtant l'un des groupes les plus machistes de leur génération.
Le fait est que d'après moi
30 Cette analyse sociologique de Perry Anderson a
été tirée des ouvrages suivants : FRITH Simon, HORNE
Howard, Art into Pop, Londres, Routledge, 1997, pp. 4-5 ; MIGNON
Patrick HENNION Antoine, op. cit., pp. 53- 62.
l'arrogance sexuelle dégagée par Mick Jagger est
perçue par la gent féminine comme une sorte de séduction
dominatrice et sauvage. Plus leurs chansons sont outrageantes envers le public
féminin, plus les filles se jettent au cou du chanteur. Le rock
est souvent lié à la révolution sexuelle. Pour moi, la
libéralisation de la sexualité s'est effectuée au travers
de l'affirmation d'un certain machisme corrélatif à l'apparition
du rock. L'image sexuellement dominatrice du jeune Elvis Presley eut
pour conséquence de percevoir les premières scènes
d'hystérie dues à une foule criarde de jeunes filles. De plus les
rockers les plus connus du public restent exclusivement des hommes, ce
qui conforte le rock dans une image masculine. De par la suite, Simon
Frith et Angela Mc Robbie étudient ensuite les
spécificités du public. Les consommateurs de cock rock,
représentés surtout par des garçons, adoptent un
comportement actif et collectif. Ils essaient de copier leurs artistes
préférés en apprenant à jouer de la guitare et en
formant des groupes de rock. De ce fait, ils s'identifient de
manière directe à leurs idoles. De leur côté, les
filles écoutant du teenybop restent relativement passives et
individuelles. Elles écoutent souvent seules les disques, à
l'inverse des garçons, et aspirent à être chanteuses ce qui
reste une démarche qui exclut le groupe. Ces deux penseurs pensent que
les idoles du teenybop peuvent être utilisées de
différentes façons par leur public féminin à
travers notamment une sorte d'appropriation collective de résistance
face aux normes scolaires. Le déclin du rock'n'roll est alors
corrélé à une sorte de féminisation de la musique.
Selon Peter Wicke, « la nature essentielle de l'expérience
rock ne consiste pas à décoder la musique comme une
structure de sens » rigoureuse mais plutôt à insérer
sa propre signification dans l'expérience sensuelle de la
musique31.
Comme nous l'avons vu dans le chapitre
précédent, les jeunes sont répertoriés dans une
quasi-classe sociale : l'adolescence. Selon Paul Yonnet, les facteurs sociaux
permettant la construction de celle-ci sont la mixité et
31 Ce propos a été issu de : MIGNON
Patrick HENNION Antoine, op. cit., p. 42.
l'allongement des apprentissages scolaires ainsi qu'une
entrée plus tardive dans la vie active. De ce fait, les adolescents se
seraient emparés de cet espace-temps en refusant les formes
traditionnelles de la politique et de la politisation. Selon les auteurs,
« le rock sera leur véritable conscience de classe, comme
l'illustre l'état d'indépendance physique et morale de la
jeunesse dans les pays où cette musique demeure interdite et son
écoute criminalisée »32. D'après Paul
Yonnet, le rock représente une « stratégie
d'ascension sociale du groupe adolescent » s'émancipant à
travers une « dépolitisation active » devenant ainsi une
« ethnie internationale »33.
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