B. Du rock'n'roll au rock and roll : l'émergence
de la Grande
Bretagne
Mais le rock'n' roll ne fut pas une musique
uniquement diffusée sur le sol américain. Dès 1956, ce
dernier connaît un vif succès sur le vieux continent grâce
notamment au film Graine de violence dont le titre phare est Rock
Around The Clock de Bill Halley mais aussi aux premiers films d'Elvis
Presley comme King Creole ou encore Jailhouse Rock. La France
et l'Angleterre font un accueil assez enthousiaste à ce courant musical.
Pourquoi ces deux pays accueillent cette culture étrangère ? Nous
sommes dans les années 1960 en pleine crise entre les Etats-Unis et le
block soviétique, ce qui stoppe toute culture américaine aux
frontières des pays d'Europe de l'Est. De plus, certains pays sont sous
le joug d'une dictature bien souvent liée à un certain
archaïsme comme en Espagne ou encore au Portugal, ce qui exclus toute
connaissance des nouveaux modes d'expression. Entre autre, la France
connaît une relation particulière avec les Etats-Unis. Au
lendemain de la seconde guerre mondiale, les Américains donnent à
ce pays dévasté par les bombardements une aide qui a pour but de
reconstruire les infrastructures au travers du plan Marshall.
Parallèlement à cela, les Etats-Unis exportèrent leur
cinéma, leur musique, en somme une culture basée sur le commerce
d'autant plus que les Américains sont omniprésents en Europe
grâce au déploiement de bases militaires de l'OTAN sur l'ensemble
du vieux continent. Les produits américains fascinent en ce
temps-là les Européens qui ont connu six longues années de
privations et dont l'Amérique reste un symbole de liberté
d'où un fort désir d'appropriation et d'identification se fait
alors ressentir notamment chez les adolescents. En Grande Bretagne, un
engouement certain s'empare des jeunes britanniques lors des tournées de
Fats Domino, de Little Richard ou de Gene Vincent. Ceci est dû à
un fond prolétarien présent dans la société
anglaise ouvert à une culture chargée de signes de
rébellion et possédant une forte identité. De plus
l'Angleterre possède une culture musicale populaire assez pauvre se
limitant à quelques styles
folkloriques du XIXème siècle que peu
de personnes ont essayé de prolonger à cause d'un faible
intérêt du public. L'Angleterre est très liée aux
Etats-Unis. En effet, ces deux pays parlent une même langue mais leur
histoire se rejoint. Il ne faut pas oublier que les premiers colons qui
s'installèrent en Amérique provenaient de la Grande Bretagne. De
plus, les Etats-Unis furent une colonie anglaise avant de proclamer leur
indépendance à la fin du XVIIIème
siècle. Certains artistes français comme Johnny Hallyday ou
encore les Chaussettes Noires firent connaître le rock'n'roll au
travers de reprises dont les paroles furent francisées et parfois
aseptisées dès le début des années 1960. De plus,
l'esprit rebelle des rockers français est éteint par
l'embrigadement militaire pour cause de guerre d'Algérie.
De ce fait, l'Angleterre pris le relais au
rock'n'roll américain, lequel se confondant parfois à
une sorte de musique de variété dont les paroles ont perdu de
leur mordant. Les premiers rockers anglais sont des copies conformes
des artistes américains. Ainsi Tommy Steele imite Elvis et Gene Vincent
tout comme Billy Fury, Martin Wilde ou encore Rory Storme (qui a fait
débuter sur scène Richard Starkey, futur Ringo Starr et batteur
des Beatles). Mais une personnalité sort du lot parmi cette multitude de
formations électriques. Il s'agit de Cliff Richard et de ses fameux
Shadows. Son style est inspiré de la période Parker d'Elvis et il
adopte l'attitude détendue des rockers blancs américains
tout en faisant attention à ne pas effacer la prestation instrumentale
de ses accompagnateurs menés par le guitariste Hank Marvin. Pour
anecdote, certains futurs guitar-heroes anglais comme Brian May,
guitariste du groupe Queen, ou encore Jeff Beck eurent la
révélation en découvrant les performances du guitariste
des Shadows. Hank Marvin, sosie de Buddy Holly, impose un nouveau style de
guitare électrique plus brillant, plus propre, dont la sonorité
se distingue en jouant sur le tremolo, l'écho et la résonance.
S'en est alors fini du rock'n'roll américain qui cède
peu à peu la place au rock and roll anglais et cela à
partir de 1958. Leurs chansons remportent un succès énorme en
Grande
Bretagne comme Apache (1960) ou encore Kon
Tiki qui attirent ainsi l'attention d'un public parfois resté
réticent à l'égard de cette musique
afro-américaine.
Mais il faut attendre l'année 1962 et l'explosion du
phénomène Beatles pour que la Grande Bretagne connaisse une
véritable identité dans le monde du rock. Ces derniers
prônent une image prolétaire avec un certain sens de l'humour,
image qui sera par la suite assez illusoire puisqu'ils acceptent et se fondent
dans tout ce qu'ils dénoncent (la richesse et le luxe). Leur impact est
plus visuel et social que musical. Ils apparaissent en effet comme des
êtres spirituels doués d'une certaine intelligence en plus ou
moins accord avec les conventions sociales. Leur apparence se rapproche plus du
britannique moyen propre sur lui que celle du rocker à l'oeil
mauvais. Cette voie ouverte par les Beatles à une culture de gauche est
sitôt suivie par une autre formation, les Rolling Stones. Ces derniers
représentent le contre-pied des Beatles par leur attitude
anti-conformiste. En effet, ils portent des cheveux longs quand les Beatles ont
leur « coupe au bol » et adopte une attitude égoïste,
méprisante et sexuellement provocante. Tandis que les Beatles appuient
leur musique sur le rock'n'roll américain et sur la
variété, les Rolling Stones puisent dans le
rythm'n'blues de Chicago, le blues et la soul,
influences qui leur confère une musique plus dure et plus rêche.
La recette des Rolling Stones est de mêler une musique issue du
boogie-blues de Chuck Berry, de Bo Diddley et de Muddy Waters ainsi
que de la soul de Salomon Burke et de Don Covay à des paroles
à message en ajoutant un soupçon de non-respect des normes et des
valeurs sociales. Ceci a pour effet de laisser croire que les Rolling Stones ne
se soucient de leur image publique ce qui leur donne une sorte de naturel. Mick
Jagger, chanteur en titre de ces mauvais garçons, associe la
sensualité des débuts d'Elvis Presley à la gestuelle
scénique de James Brown. L'esprit de rébellion des Rolling Stones
influence. Ainsi la formation intitulée The Who a accès à
la célébrité en 1965 et adopte des paroles à double
tranchant sur une guitare enragée de leur meneur Pete Townshend.
L'originalité de ce groupe est aussi
due à la voix de leur chanteur Roger Daltey dont le
timbre blasé ressemble à celui d'un vieux routier. Des images de
révolte sont perceptibles dans des titres comme My Generation.
Puis le groupe se tourne vers des sujets plus baroques comme dans
Substitute (où apparaît un tambourin traité au
style Motown), I'm a boy (chanson dans laquelle un garçon est
traité par sa mère comme une fille) mais aussi Happy
Jack (où un excentrisme provincial en découle) et
Pictures Of Lily (marqué par un certain fétichisme). Peu
après les Rolling Stones, apparait un groupe assez innovant, les
Yardbirds, dont la carrière est divisible en deux parties. Ils sont
d'abords les dignes descendants des Rollings Stones. En effet, ils se
produisent dans un premier temps dans les clubs londoniens comme le Crawdaddy
Club, tenu par leur manager Giorgio Gomelsky qui fut celui des Rolling
Stones, ou encore le Marquee. Leur originalité lors de cette
première phase est due à l'apparition du premier
guitar-hero anglais qui n'est d'autre qu'Eric Clapton. La
deuxième phase est marquée par une approche musicale
inédite pour l'époque. En 1964, ils enregistrent For Your
Love dont la particularité est une extension de l'instrumentation.
Dans ce titre, les bongos prédominent tandis qu'ils sont
étouffés par le tintement des guitares et du clavecin. S'en est
fini du rock and roll anglais. Place au rock. Le
départ d'Eric Clapton permit au groupe d'engager un guitariste
nommé Jeff Beck dont les sonorités déformées vont
être mises en avant comme dans Still I'm Sad, Shapes Of
Things ou encore Over, Under, Sideways, Down. Il en
découle une nouvelle conception de l'enregistrement qui sera par la
suite très vite reprise par les Beatles dans leur album intitulé
Revolver. A partir de 1965-1966, le rock anglais s'exporte
partout dans le monde, même aux Etats-Unis, au travers de tournées
de plus en plus importantes. Les disques anglais se vendent par millions au
pays de l'Oncle Sam en cette période grâce au soutien des
journalistes et des animateurs de radio FM qui présente cette musique
anglaise comme de l'art. Les groupes anglais disposent de managers puissants
pouvant les orienter aussi bien juridiquement que financièrement.
Cela dit, l'esprit d'aventure présent sur les disques
anglais entre 1964 et 1966 s'estompe peu à peu par crainte que le public
ne suive pas. De ce fait toute une génération d'artistes se
tourne vers les origines de leur musique, à savoir le skiffle
et le rock'n'roll. A ce moment-là, un large éventail de
styles inonde le marché dont les disques anglais sont très
présents.
L'avènement des Beatles et des Rolling Stones eut pour
effet une plus grande écoute du point de vue quantitatif de la musique.
Les disques se vendaient de plus en plus et de plus en plus fréquemment
avec un intérêt porté sur la pop et sur le
rock'n'roll. Les artistes britanniques surent adapter le
rock'n'roll à leur propre culture, tout comme les
Français l'ont effectué au travers de la vague
yéyé en adaptant la grille blues à des
paroles aseptisées. Ces derniers sont assez proches d'une tradition qui
les relie à la chanson française à texte grâce
à un travail plus conséquent sur le texte que leurs homologues
anglais ou américains tout en effaçant le côté
tapageur et insolent du rock'n'roll. A la fin des années 1960,
le rock anglais des Beatles s'est si éloigné des rythmes
fougueux du rock'n'roll pionnier qu'il ouvre une voie toute
tracée vers une musique populaire plus conventionnelle, voire plus
commerciale, à savoir la pop music.
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