Pour quelle(s ) histoire(s ) d'être(s ) ? Associations 1901, inter relations personnelles et interactions sociales, un art de faire( Télécharger le fichier original )par Jean- Marc Soulairol Université Lumière Lyon 2 - Diplôme des hautes études des pratiques sociales D. H. E. P. S. 2002 |
Conclusion : repérer l'individu changeant à partir d'un modèle d'analyseDans cette première partie nous nous sommes intéressé particulièrement au fait que le phénomène de changement observé a généré un réseau de questions et questionnements à partir desquels nous avons centré l'adhérent en interrelation avec et dans un groupe222(*). Ainsi, nous avons pointé les concepts fondamentaux pouvant s'avérer être des pistes fécondes pour son intelligibilité. C'est-à-dire, comme nous l'avons montré, la question du changement pourrait être éclairé par les concepts et notions d'individu, personnage, identification, valeurs et configuration qui ont fait l'objet d'un développement approfondi pour éviter leurs confusions d'interprétations courantes. Procéder ainsi nous a appris que le phénomène de changement n'est pas « nécessairement provoqué par des changements de la nature extérieure à l'homme. [...] Le seul environnement qui ait changé est l'environnement que formaient et que forment les hommes les uns pour les autres. »223(*) C'est pourquoi, analyser le concept d'usage de manières de faire s'est présenté comme un cadre pertinent. Dans un même temps, nous avons démonté les mécanismes que ces concepts pouvaient exercer sur notre hypothèse de départ. Pour y parvenir nous avons mobilisé les travaux d'auteurs tels que Durkheim, Scheler, Elias, Certeau, entre autres pour finalement proposer une nouvelle hypothèse : « Plus un individu use, dans une configuration, de manières de faire, plus cet individu accède à un statut d'individu.». DEUXIEME PARTIE ENGAGEZ-VOUS, RENGAGEZ-VOUS, ILS DISAIENT224(*) 2. Engagez-vous, rengagez-vous, ils disaient Les associations loi 1901, qui veulent prendre part à la création de liens sociaux de manière volontaire225(*), sont en permanence confrontées à un dilemme qui les place dans un paradoxe : comment motiver ses adhérents pour développer des activités communes, et en même temps, comment mettre en place une démarche de responsabilisation et donner du sens aux utopies individuelles ? Comment construire une action se situant entre le désir individuel de l'adhérent et l'intérêt général de l'association ? Le Compu's Club, association reconnue226(*) dans la région valentinoise pour ses actions socioculturelles utilisant l'outil informatique paraissait illustrer ce paradoxe. En effet, l'évolution de cette association semble souligner la nécessité de développer des activités en tenant compte de la valorisation de chaque membre engagé.227(*) Ceci nous a permis d'observer les phénomènes qui ont fait l'objet de notre question de départ : qu'est-ce qui fait que certains membres de ce club informatique semblent, indépendamment de l'outil, changer ?. Pour comprendre ce qui se passe là, c'est-à-dire que ces membres semblent changer et se retrouver au delà de l'outil, nous avons eu recours à la notion de configuration dans le sens où Norbert Elias l'entend : « figure globale toujours changeante que forment les joueurs ; elle inclut non seulement leur intellect, mais toute leur personne, les actions et les relations réciproques. »228(*). C'est-à-dire que nous allons tenter de retrouver ces "jeux d'acteurs interactifs" qui déterminent ces transformations constantes du contexte et de l'ambiance de cette association. Autrement dit, nous allons découvrir, là, ce que Michel de Certeau pense des pratiques quotidiennes et des jeux d'acteurs, c'est-à-dire « les modalités des actions, les formalités des pratiques, les types de manières de faire.[...][(C'est-à-dire)] spécifier des schémas d'opération »229(*) afin de repérer soit les représentations et les identifications soit les comportements des membres du Compu's Club230(*). En partant de la nouvelle hypothèse, « Plus un individu use, dans une configuration, de manières de faire, plus cet individu accède à un statut d'individu. » nous saurons ce que nous cherchons, c'est-à-dire qu'est-ce qui fait qu'il y a figure globale toujours changeante ? Quels éléments de notre enquête le montrent ? En quoi on peut repérer ces figures changeantes ? En quoi il y a représentation et identification ? Et par là, donner du sens aux interactions sociales des adhérents. Pour y parvenir, nous avons utilisé progressivement trois types d'investigations : La première s'est déroulée pendant quarante mois231(*), c'était notre période d'observation qui avait pour but de découvrir l'association en fondant une taxonomie des membres et relever une systématicité des comportements. La deuxième, menée par l'association et avec notre collaboration, pour mieux connaître ses adhérents, concernait un questionnaire232(*). Il s'agissait, en avril 2000, d'identifier statistiquement ce que les membres sont et font au sein de l'association. Cette enquête a concerné les trente-six personnes qui ont bien voulu y répondre (36/107). Elle nous a aidé à choisir notre échantillon. Enfin, la troisième, discursive, fut menée par nous-même dans l'objectif de cette recherche et nous a permis d'interviewer233(*) dix membres234(*) dans le cadre d'entretiens semi-directifs. Ceci afin de repérer « le sens que les membres donnent à leurs pratiques et aux événements auxquels ils sont confrontés »235(*). C'est-à-dire que ce type d'enquête visait à recueillir des états descriptifs de pratiques (engagements), jeux, interactions afin d'en découvrir le sens. Avoir choisi d'utiliser ces trois types d'investigations est la garantie d'obtenir une réponse à notre question de départ236(*) qui, rappelons-le, posait notre incompréhension face au changement apparent de certains membres indépendamment de l'outil informatique. parce-que nos travaux d'enquêtes ont consisté, d'une part, à mesurer et connaître pour comprendre le contexte environnemental du Compu's Club et la manière dont le membre s'y fond. D'autre part, ils tentent de 1) repérer les changements de conduite dans le quotidien de l'adhérent au Compu's Club, 2) découvrir les attitudes237(*) qui favorisent la communication relationnelle et 3) trouver le sens de l'engagement du membre. Pour ce faire, nous allons présenter la façon dont les membres agissent ensemble, de leur manière d'être en relation, de leur façon de mettre l'interaction sociale238(*) au coeur des projets partagés au service de leur propre satisfaction personnelle. Dans notre analyse, nous avons voulu restituer les résultats de l'enquête par entretien semi-directif en tant qu'outil principal239(*). parce-que la nature des informations recueillies a permis de repérer des éléments discriminants que nous ne connaissions pas à priori. C'est-à-dire les interprétations de situations, les systèmes de valeurs, les ressentis, les repères normatifs, les représentations de l'environnement contextuel, les projets personnels, etc. des membres. Chacun de ces entretiens s'est déroulé selon un même schéma : La durée moyenne fût d'une heure environ. Les lieux d'interviews furent choisis selon les circonstances. Ainsi, le premier s'est déroulé directement au domicile du membre, le deuxième sur son lieu de travail et tous les autres à notre domicile. La grille d'entretien comprenait trois grands thèmes avec questions de relances240(*) :
Avant de présenter notre échantillon, nous avons remarqué dans les entretiens que, d'une manière globale, les attitudes des adhérents ne sont pas appréhendées par le biais unique de leurs expressions superficielles. Ces expressions, bien que ne saisissant pas les causes inconscientes, témoignent, à l'insu de l'interviewé, d'un faisceau d'influences plus larges que nous allons découvrir pour les utiliser, leur donner du sens. « Le rôle de la conscience n'est il pas la production de sens ? »242(*) Michel de Certeau nous dit que « dans l'instant d'expression, les descriptions forment des phrases imprévisibles, en partie illisibles. Bien qu'elles soient composées avec un vocabulaire courant, elles tracent les ruses d'intérêts autres et de désirs. »243(*). Ce qui est précisément l'objet de notre recherche. Autrement dit, les mots exprimés, livrés bruts, n'arrivent pas à rendre compte parfaitement des faits ; ils devront être organisés pour passer de la cohérence singulière de chaque propos à une cohérence inter-entretiens. C'est la raison pour laquelle les propos d'ensemble doivent se nuancer244(*). Par exemple : 1er entretien « Çà, je pense, c'est primordial dans la vie de chaque personne d'avoir l'amitié. Bon c'est pas l'amitié, euh, comment dirais-je, l'amitié, euh, je ne sais pas comment t'expliquer le mot. Mais c'est une amitié quand même... qui est très... qui est proche du confidentiel [...] Saine, voilà. C'est le mot, une amitié qui est, euh... qui est vraie, c'est çà. Une amitié vraie. » (l.416) Cette seconde partie de notre document présentera le travail mené sur le terrain.
Introduisons, dès à présent, la répartition des branches247(*) de l'association par âge, sexe et situation familiale des membres pour présenter notre échantillon248(*) aux entretiens : Répartition des membres de l'association par âge, sexe et situation familiale Ce tableau nous permet de compter treize participations ventilées pour seulement dix personnes interviewés lors des neuf entretiens effectués249(*). Alors, quels sont les membres qui participent à plus d'une branche ? C'est ce que nous allons aborder dans le premier chapitre intitulé « Ce qui a joué : caractéristiques d'engagements ». * 222 L'association ou la branche (micro-groupe). * 223 Elias, N., La société..., op. cit., p.87. * 224 Astérix et le chaudron, p.14. * 225 Nous voulons entendre par cette expression que certaines associations effectuent des démarches "volontairement" axées sur la construction de liens sociaux (nous pensons aux associations d'insertions, de jeunes de banlieue, etc.) en opposition aux associations qui produisent "involontairement" du lien social (associations de boules, d'échecs, etc.). Ce sont bien les premières associations qui sont visées dans notre propos. * 226 Cf. les différents agréments accordés à cette association. Voir annexe 1. * 227 Cf. la première partie qui pose le problème. * 228 « Le concept de configuration permet de dépasser l'antinomie individu-société : aux idées d'une société indépendante des individus et d'un individu-atome, clos et indépendant des autres individus, il substitue l'image de configurations concrètes que les individus forment ensemble sans jamais leur préexister et qu'on ne peut analyser sans tenir compte du "sens intentionnel" que les actions possèdent pour les actants. Dans ces configurations toujours mouvantes s'établissent des équilibres fluctuants de tensions et de forces. » (Encyclopædia Universalis, 1998, à Elias). * 229 Certeau, M. (de), L'invention..., op. cit., p.XVI. * 230 A l'instar de Michel de Certeau : « ...quelles procédures populaires «minuscules» et quotidiennes jouent avec les mécanismes de la discipline et ne s'y conforment que pour les tourner ; enfin, quelles «manières de faire» forment la contrepartie, du côté des consommateurs (ou «dominés» ?), des procédés muets qui organisent la mise en ordre sociopolitique. » Certeau, M. (de), L'invention..., op. cit., p.XL. * 231 En réalité, bien que nous soyons curieux de nature, nous avons véritablement structuré une observation, avec cahier d'observation, depuis début 2000 seulement jusqu'au début 2001. Cependant, nous connaissons bien cette association dans son fonctionnement et ses fondements depuis octobre 1997 pour y avoir participé en tant que bénévole. * 232 Voir annexe 3. * 233 Voir grille d'entretien à l'annexe 5. * 234 Neuf entretiens dont un en couple. * 235 Quivy Raymond et Van Campenhoudt Luc, Manuel de recherche en sciences sociales, Dunod, Paris, 1995, p.196. * 237 Et plus généralement la réaction à des stimulations dépendant de certaines dispositions mentales pour expliquer la relation avec les réponses fournies par le membre. Ainsi, nous pourrons repérer ses comportements observables et inobservables grâce à nos enquêtes. « L'attitude consiste en une position (plus ou moins cristallisée) d'un agent (individuel ou collectif) envers un objet (personne, groupe, situation, valeur) ; elle s'exprime plus ou moins ouvertement à travers divers symptômes ou indicateurs (paroles, ton, gestes, actes, choix - ou leur absence) ; elle exerce une fonction à la fois cognitive, énergétique et régulatrice sur les conduites qu'elle sous-tend. » (Maisonneuve, J. in Cazals-Ferré, M.-P. et Rossi, P., Eléments... op. cit.). * 238 Interaction sociale : « relation interpersonnelle entre des individus (deux au moins) qui soumet chacun d'eux à une influence réciproque et qui est susceptible d'entraîner des modifications du comportement. » Cazals-Ferré, M.-P. et Rossi, P., Eléments... op. cit., p.89. * 239 L'observation étant là pour "affiner" certains aspects de nos entretiens qui pourraient paraître "artificiels" ou/et contradictoires entre la relation d'interview et la relation que nous avons vécu au quotidien avec le membre. C'est-à-dire que nous avons pu relever des contradictions possibles en rapprochant nos observations (Il nous a été facile de repérer cela parce que nous avons observé les attitudes antérieures du membre pendant plusieurs mois voire plusieurs années) et les réponses aux entretiens. Pour donner un seul exemple : un membre répond sur son questionnaire ne pas être quelqu'un qui relève les défis (Item n°27 : « Dans la vie vous êtes plutôt... », Voir annexe 3) alors que les faits nous indiquent sa persévérance à mettre en oeuvre le Club d'investissement (un des projets de l'association), malgré les difficultés rencontrées. * 240 Voir annexe 5. * 241 Voir grille d'entretien à l'annexe 5. * 242 Favier, Roland, Philosophe, lors de la conférence de Paul Ricoeur le 12 janvier 2001 à Valence, université Latourg-Maubourg. * 243 Certeau, M. (de), L'invention..., op. cit. * 244 « Il s'agit de "faire parler" l'extrait au-delà de son sens manifeste, de s'imposer une attention extrême aux mots employés (pourquoi ceux-ci plutôt que d'autres ?) et, en quelque sorte, d'émettre des hypothèses de sens forcées » Combessie Jean-Claude, la méthode en sociologie, La découverte et Syros, Coll. Repères, Paris, 1999, p.63. « L'analyse transversale compare les mots et expressions qui l'énoncent (ami, camarade, copain, pote...) ; un de ses objectifs est d'en spécifier la charge sémantique », ib. p.65. * 245 « La cause déterminante d'un fait social doit être recherché parmi les faits sociaux antécédents, et non parmi les états de conscience individuelles. » Durkheim, Emile, PUF, Coll. quadridge, 1981, in Corcuff, P., Les nouvelles..., op. cit., p.13 * 246 « Il est indispensable de reconstruire les motivations des individus concernés par le phénomène social et d'appréhender ce phénomène comme le résultat de l'agrégation des comportements individuels dictés par ces motivations. » Boudon, Raymond, Individualisme et holisme dans les sciences sociales, in Corcuff, P., Les nouvelles..., op. cit., p.15. * 247 La ligne Autres branches du tableau suivant concerne la branche Littérature et Junior (encadrement des jeunes par des adultes) et la ligne Hors branche signifie que le membre participe à la gestion globale de l'association sans suivre de projet particulier. * 248 Représentant dix personnes. Soit, neuf entretiens dont un effectué en couple. * 249 Un entretien s'est déroulé avec le couple. |
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