Section 2 : LES MÉTHODES D'ESTIMATION DE
L'EFFICACITÉ TECHNIQUE
La première tâche à accomplir
lorsqu'on désire évaluer l'efficacité technique d'une
unité de production est la construction d'une frontière de
production, de profit ou de coût. Dans la pratique, cette
frontière de référence n'est pas connue et doit être
estimée empiriquement, grâce aux données de
l'échantillon observé à partir d'unités similaires
placées dans les mêmes conditions que l'unité
étudiée et présentant les meilleures performances.
L'efficacité d'une unité de production se définit donc par
rapport aux unités de l'échantillon placées sur la
frontière estimée et présentant les meilleures
performances. Des scores d'efficacité sont ainsi attribués
à toutes les unités de l'échantillon avec comme valeur 1
pour celles situées sur la frontière. Les unités en dehors
de la frontière ont des scores strictement compris entre 0 et 1. Selon
Forsund et al [cités par Nabil A. et Robert R ; (2000), p.4], «
La distance dont une firme se situe en deçà de sa
frontière de production et de profit, et la distance dont elle se situe
au dessus de sa frontière de coût, peuvent être
considérées comme des mesures de l'inefficacité
».
L'estimation d'une frontière de production, de
profit ou de coût nécessite l'application de méthodes
appropriées. Ces méthodes sont regroupées dans la
littérature en deux grandes catégories notamment les approches
paramétriques et les approches non paramétriques. Les approches
paramétriques spécifient une forme fonctionnelle
particulière à la frontière estimée. Ces fonctions
peuvent être de type Cobb-Douglas, CES, Translog, etc. Elles peuvent
être déterministes ou stochastiques. Les approches
déterministes considèrent tout écart entre la
frontière estimée et les données observées comme
découlant entièrement de l'inefficacité. Par contre,
l'approche stochastique décompose l'écart entre la
frontière estimée et les données observées en deux
composantes dont l'une aléatoire et l'autre découlant de
l'inefficacité. Les approches non paramétriques ne font aucune
supposition concernant la forme de la frontière estimée. Elles se
basent sur la programmation mathématique pour construire la
frontière d'efficacité et sont toutes déterministes. Les
principales méthodes d'estimations de la frontière
d'efficacité technique qui feront ici l'objet d'une présentation
sont au nombre de 3 dont 2 approches non paramétriques notamment la
méthode d'enveloppement des données et le Free Disposall Hull
(FDH), et une approche paramétrique notamment l'approche de la
frontière stochastique.
2.1 La méthode d'enveloppement des
données
Plus connue sous son appellation en anglais «
Data Envelopment Analysis (DEA) », la méthode d'enveloppement des
données est une méthode déterministe non
paramétrique d'estimation de fonctions frontières, qui suppose
l'ensemble des possibilités de production comme étant un ensemble
convexe.
La mesure de l'efficacité technique par la
méthode DEA peut être faite suivant deux orientations. La
première orientation tournée vers la maximisation des outputs est
appliquée lorsque l'on cherche à augmenter les quantités
d'outputs sans changer les quantités d'inputs utilisées. Par
contre, l'orientation tournée vers la minimisation des inputs est
appliquée lorsque l'on cherche à diminuer proportionnellement les
quantités d'inputs sans modifier les quantités
d'outputs.
La méthode DEA s'appuie sur les techniques de
programmation linéaire pour estimer une frontière de production
d'un échantillon d'observations. Cette frontière de production se
situe au sommet des observations et correspond aux unités de
l'échantillon les plus performantes. Elle enveloppe l'ensemble des
observations de telle sorte que les unités moins performantes se situent
en dessous de l'enveloppe. L'efficacité technique d'une unité de
l'échantillon correspond ainsi à la distance qui la sépare
de l'enveloppe. Elle est une efficacité relative dans la mesure
où elle dépend des unités les plus performantes de
l'échantillon. La figure ci-dessous permet d'illustrer cela dans le cas
d'un échantillon d'unités utilisant un seul input pour produire
un seul bien avec les rendements d'échelle supposés non
constants.
D
A
X0P XP Input (X)
B
P
C E
Figure 2.4 : Illustration de la mesure de
l'efficacité technique par la méthode DEA Output (Y)
Y*P Y0P
O
Source : Ekuh Ngwese R. et Mbaku Mbah D.
[2006]
Sur la figure ci-dessus, les unités de
production A, B, C, D et E constituent l'enveloppe de référence
par rapport à laquelle est évaluée l'efficacité
technique des autres unités de l'échantillon. Elles correspondent
aux unités les plus performantes de l'échantillon observé
et leur efficacité technique est par définition égale
à 1. Le point P n'étant pas sur la frontière,
représente une firme techniquement inefficace. En effet, à partir
de la quantité d'input XP dont elle dispose, elle est techniquement
susceptible de produire la quantité Y* P d'output supérieure
à celle qu'elle réalise Y0 P . Son efficacité technique
dans ce cas vaut Y0 P / Y* P < 1 et correspond au rapport de la
quantité d'output qu'elle produit à partir de la quantité
d'input XP , par la quantité maximale qu'elle pourrait produire à
partir de cette même quantité d'input au regard des meilleures
unités de l'échantillon. Cette façon de mesurer
l'efficacité technique correspond à une orientation output. La
firme peut également produire la quantité Y0 P en utilisant moins
d'inputs notamment une quantité X0P < XP . Son
efficacité technique dans ce cas vaut X0P / XP < 1 et
correspond à une orientation input. Selon Fare et Lovell (1978)
[Cités par Coelli T. (1996)], les indices d'efficacité technique
orientation output et orientation input sont égaux dans le cas de
rendements d'échelle constants et différents dans le cas de
rendements d'échelle variables. Cependant, notons que les unités
de production situées sur la frontière estimée sont les
mêmes quelque soit l'orientation choisie.
Le programme linéaire permettant la
construction de la frontière d'efficacité dépend du type
de rendement dans lequel s'effectue la production. On distingue ainsi le
modèle à rendements d'échelle constants (ou modèle
CRS15) et celui à rendements d'échelle variables (ou
modèle VRS16) qui sont présentés
ci-dessous.
2.1.1 Le modèle à rendements
d'échelle constants
Le modèle CRS (orientation input)
attribué à Charnes et al (1978) est basé sur la
maximisation pour une firme donnée, du ratio correspondant à la
somme pondérée de ses outputs sur la somme pondérée
de ses inputs et considéré comme étant une mesure de son
efficacité technique. Ainsi, si on dispose d'un échantillon de N
unités de production, de K inputs et M outputs, pour chacune de ces
unités, la mesure de l'efficacité de l'unité " i " de
l'échantillon est donnée par le programme de maximisation
ci-dessous :
15 Constant Returns to
Scale.
16 Variable Returns to
Scale
~ 1
Max (u, v) h i= m , i =1, ..., N
K
k i ,
v X
k
>2
k 1
Sous les contraintes
~
~
~
~
~
~
M
~ u Y
m 1
= =
1 j=1, 2, ... , N
K
m m, j
L u , v 0
=
m k
où hi est l'indice d'efficacité
de l'unité de production " i "
m et k sont respectivement l'indice des outputs et
l'indice des inputs ;
Xk , i et Ym, i
représentent respectivement le kième input et le
mième output de l'unité " i "; Xk , j et
Ym, j représentent respectivement le kième
input et le mième output de l'unité " j " avec j =
1,2, ..., N ;
um et vk sont des paramètres à
estimer et représentent respectivement les coefficients
de pondération des outputs et des
inputs.
L'objectif de ce programme est de déterminer
les coefficients de pondération um et vk qui maximisent l'indice
d'efficacité de l'unité " i " en s'assurant que cet indice
évalué pour toutes les autres unités avec les mêmes
coefficients um et vk , est inférieur ou égal à 1
signifiant que toutes les unités de l'échantillon sont
situées sur ou en dessous de la frontière
estimée.
La résolution du programme ci-dessus tel qu'il
a été formulé, n'est pas chose aisée. Toutefois, ce
programme peut être transformé en un programme linéaire en
posant pour tout i
K
k k , i
>i: v X
k=1
|
1 . Le programme devient alors :
|
|
M
Max u Y
m m , i
>
m=1
Sous les contraintes :
K
~
v X 1
=
k k,i
~~
~
k 1
=
M K
~
~
~
u Y - v X 0
=
m m,i k k,i
m 1
= k 1
=
L u , v 0
=
m k
La forme duale équivalente de ce programme
linéaire, peut s'écrire :
ö i
~- + ë =
N
~ Y Y 0
m,i j m,j
j 1
=
~
N
ö ? ë =
X ~ X 0
~ i k,i j k,j
~ë = 0
Sous les contraintes
~
Min
j 1
=
~ j
Ott X est un vecteur de dimension N de coefficients
à estimer ;
öi est un scalaire
compris entre 0 et 1 qui prend la valeur 1 pour une unité de
production
située sur la frontière. Il
représente pour l'unité de production " i ", la fraction de ses
ressources qu'elle utilise optimalement.
La première contrainte signifie que le choix
des coefficients Xj doit être tel que la somme pondérée des
outputs de toutes les unités de production de l'échantillon soit
au moins égal à l'output de l'unité étudiée.
La seconde contrainte quant à elle suppose que pour une unité
de
production située sur la frontière (
öi =1), la somme
pondérée des quantités d'inputs utilisées par
toutes les unités de production est au plus égale à la
quantité d'inputs de l'unité étudiée.
La valeur
öi solution du programme
ci-dessus constitue une mesure de l'efficacité technique de la firme " i
" dans le cas d'une orientation input. Ce programme linéaire est donc
résolu N fois pour chacune des unités de l'échantillon et
une valeur öi est obtenue
pour chaque
unité correspondant à son score
d'efficacité technique.
Le programme linéaire équivalent à
celui ci-dessus et permettant d'obtenir l'indice d'efficacité technique
dans le cas d'une orientation output est le suivant :
Max (1 i N)
ö = =
i
~ - ë =
N
~ X ~ X 0 k,i j k,j
j 1
Sous les contraintes
=
~
~- ö + ë =
N
Y ~ Y 0
~ i m,i j m,j
j 1
=
~ j
~ë = 0
Ott 1 < öi < 8 est un
scalaire tel que 1/ öi (compris entre 0 et 1) détermine le score
d'efficacité de l'unité de production "i".
Le modèle CRS permet d'obtenir une mesure de
l'efficacité technique totale sans distinguer l'efficacité
technique pure de l'efficacité d'échelle.
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