Il y a plusieurs sortes de questions de politique de
développement pour lesquelles la connaissance du comportement du
consommateur est importante. Parmi celles-ci il y a la définition des
interventions politiques pour l'amélioration des statuts nutritionnels
des individus particuliers, des ménages ou des individus au sein des
ménages tels que les enfants ou les femmes enceintes. A ce sujet, il y a
eu assez de polémique sur l'ampleur de l'élasticitérevenu
de calorie consommée comparativement à
l'élasticité-revenu des dépenses alimentaires.
Au fur et à mesure que le revenu du pauvre augmente,
il apporte plus de qualité à la quantité d'aliment
consommée, apportant plus de calorie en substitution aux aliments non
nutritifs tout en prenant en compte le goût et la
variété.
Behrman et Deolalikar (1990), cités par Sadoulet et de
Janvry (1993), ont argumenté que ces augmentations de revenu ne vont
aboutir à une amélioration significative des substances
consommées, alors que selon ce même auteur, Strauss et Thomas
(1990) et Subramanian et Deaton (1992) ont montré que
l'élasticité de calorie est vraiment plus faible que
l'élasticité dépense, mais pourtant hautement
significative.
Finalement, la connaissance de la structure de demande est
essentielle dans l'analyse politique sectorielle et macro-économique.
A court terme, avec une production relativement non flexible,
les changements dans la structure de demande sont les principaux
déterminants des changements de prix de marché observés
pour les biens non marchands («nontradable goods») et des
importations et exportations des biens marchands.
A moyen et long terme, la structure de la demande finale est
un important élément pour la modélisation de la
consommation. Ces modèles cherchent à expliquer les niveaux de
production et de consommation, la formation des prix, les flux commerciaux, le
niveau de revenu, les revenus fiscaux du gouvernement.
Même s'ils ne reposent pas tous sur des modèles
structurels formalisés, la plupart des travaux de modélisation de
la demande réalisés jusqu'ici s'appuient sur la théorie
microéconomique standard du consommateur (INRA, 2006). Cette
théorie se propose de décrire, mesurer et expliquer les effets
sur les comportements des individus des contraintes économiques
affectant leurs ressources (revenu, capacité d'endettement, aptitudes,
temps, information, etc.). Dans sa formulation standard, l'approche
micro-économique ne s'intéresse pas à la genèse des
goûts, se contentant de les considérer comme donnés a
priori, et de postuler quelques propriétés supplémentaires
garantissant l'existence d'une représentation analytique stable des
préférences : la fonction d'utilité. Sous ces
hypothèses, l'approche des microéconomistes consiste à
"remonter" des comportements observés aux préférences,
pour essayer d'en déduire des prédictions testables sur les
comportements futurs ou inobservés.
Le modèle standard du consommateur, qui cherche
à maximiser sa fonction d'utilité sous la contrainte de budget,
s'est progressivement enrichi pour prendre en compte l'allocation du temps, les
investissements en capital humain,
l'hétérogénéité des agents, les
caractéristiques des produits, l'information et l'incertitude des
consommateurs, la dépendance inter temporelle des
préférences. La plupart de ces développements sont mis
à profit pour étudier la demande de qualité et de produits
différenciés, les activités alimentaires non marchandes,
l'effet de l'information sur les choix et les comportements face aux risques
alimentaires.
> La modélisation de la demande
alimentaire
Des recherches portant sur les processus d'achat ont
été entreprises. A l'aide des données du panel SECODIP,
Gouriéroux et Visser (1994) cités par INRA (2006) ont
proposé une généralisation d'une classe de modèles
permettant de modéliser les durées séparant deux achats
successifs. Boizot, et al, (1997) toujours cités par INRA (2006) ont
travaillé sur le processus d'approvisionnement des ménages. Leur
recherche a consisté à analyser avec précision la
dynamique du couple (durée entre deux achats successifs, quantité
achetée)
conditionnellement aux prix et aux caractéristiques
socio-économiques des ménages. Ce travail montre que les
variations de prix exercent une influence considérable sur les
durées séparant deux approvisionnements successifs et sur les
quantités achetées. Les ménages adaptent donc en
permanence leurs achats aux fluctuations des prix qui résultent des
promotions et de la concurrence entre les marques.
> L'estimation de systèmes de demande : prix,
qualité,
agrégation
Un système de demande est une relation analytique
entre un vecteur de dépenses pour un panier de biens, un vecteur de prix
et la dépense totale, relation a priori variable selon les
caractéristiques socio-démographiques des individus ou
ménages. Il s'agit d'un système d'équations
simultanées où chaque équation relie la demande d'un bien
aux prix de tous les autres biens et au budget total. L'estimation d'un tel
système est rendue délicate du fait des
non-linéarités imposées par la théorie
économique et de l'endogénéité du budget total
(à la fois variable explicative et somme des dépenses pour chaque
bien, c'est-à-dire des variables dépendantes du système
d'équations).
Nichèle et Robin (1993, 1995) ont utilisé les
données de l'enquête Budget de Famille de 1979, 1985 et
1989, conjointement avec les données agrégées des
Comptes Trimestriels, pour estimer un système de demande
statique couvrant l'ensemble des consommations. Un modèle individuel a
été agrégé de façon exacte pour que
l'estimation sur les deux ensembles de données fournisse des
résultats complémentaires et cohérents. Ce modèle a
été utilisé comme maquette pour évaluer
différentes réformes de la fiscalité indirecte.
Dans les estimations de systèmes de demande, une
décision importante concerne le choix des groupes de biens composant le
système et le degré de détail que l'on veut conserver. Mis
à part les travaux consacrés à des produits
spécifiques, la définition des groupes de biens est souvent
influencée par les besoins des politiques publiques. Leur principal
objectif étant de connaître les variations de dépenses en
biens consécutives à des changements de prix, les regroupements
s'imposent souvent d'eux-mêmes car les produits sont trop nombreux pour
être étudiés séparément. L'agrégation
des biens soulève cependant le problème de l'utilisation des
valeurs unitaires comme approximation des prix des agrégats. En effet,
ces valeurs unitaires dépendent de la pondération des
variétés composant les différents regroupements. Dans le
prolongement des travaux de Deaton (1988), Nichèle et Robin (1999),
cités par INRA (2006), utilisent les données
désagrégées de l'enquête alimentaire pour
décomposer les variations des valeurs unitaires et estimer
séparément des élasticités des quantités et
des qualités
consommées par rapport aux prix pour des
agrégats de produits. Cette méthode peut permettre de mieux
comprendre l'impact des variations de prix (par exemple à la suite de
réformes fiscales) en décomposant les réactions des
ménages en variations des quantités et des qualités
demandées. Elle est mise en oeuvre par Boizot et al (op. cit) dans leur
analyse de la demande de boissons, où elle s'avère
particulièrement adaptée au cas du vin et des boissons
alcoolisées.
> Le développement de nouvelles
méthodes d'estimation
De nombreux travaux du laboratoire reposent sur l'estimation
de systèmes de demande, d'où l'intérêt pour
l'amélioration des méthodes d'estimation. Robin (1999),
cité par INRA (2006), a développé une procédure
d'estimation itérative simple à mettre en oeuvre et permettant
l'estimation de systèmes de demande de grande taille. Par ailleurs, il
existe une autre méthode permettant de regrouper les biens par fonction
sans faire d'hypothèse a priori sur le nombre de groupes ou sur
leur composition. Cette méthode permet de restreindre les substitutions
possibles entre biens et donc de limiter la taille des systèmes à
estimer. Elle utilise l'hypothèse de séparabilité sans
l'imposer.
L'utilisation de plus en plus fréquente de
données de série temporelle conduit à travailler sur de
nouvelles adaptations de ces méthodes d'estimation. Un des
intérêts des observations répétées des
mêmes individus est de permettre d'estimer des paramètres de
demande en éliminant les effets de
l'hétérogénéité inobservée (les
effets propres à chaque individu). L'estimation de modèles
non-linéaires pose des problèmes dans ce cadre car les
transformations habituelles ne permettent pas d'éliminer les effets
individuels (INRA, 2006).
> Production domestique,
autoconsommation,
alimentation hors domicile
L'application de la notion de fonction de production aux
activités non-marchandes et en particulier à la production
domestique constitue une extension du modèle microéconomique
particulièrement utile dans le domaine des activités
d'approvisionnement et de production alimentaires. En utilisant une
représentation dans laquelle les individus combinent des biens et du
temps pour obtenir les "consommations finales" qui entrent dans leur fonction
d'utilité, cette approche permet d'analyser les choix dans un contexte
élargi et en particulier de tenir compte des contraintes de temps.
Un des problèmes posé par la prise en compte du
temps concerne la séparabilité, qui soulève a
priori davantage de difficultés que dans le cas des dépenses
du fait des fortes interférences entre les usages alternatifs du temps
et de l'impossibilité de desserrer cette
contrainte. Déterminer les activités
"séparables", c'est-à-dire pouvant être analysées
indépendamment des autres, constitue donc une tâche importante.
Les travaux de F. Caillavet et V. Nichèle,
cités par INRA (op. cit.), visent à estimer
précisément l'élasticité-revenu et
l'élasticité-prix de ces consommations. Ils approfondissent la
question des effets de substitution entre les repas à domicile et hors
domicile. Différents critères de regroupement des repas peuvent
être étudiés (matin, midi et soir selon les lieux de
restauration) et une attention particulière doit être
portée à la construction des indices de prix des
différents modes de restauration.
> L'hétérogénéité
des produits et les choix entre produits différenciés
Une autre extension du modèle de base du consommateur
consiste à rompre avec la
conception du produit homogène. Gorman à la fin
des années 50 propose de voir le produit comme un panier de
caractéristiques. Cette théorie, formalisée depuis par
Lancaster (1966), rationalise une pratique empirique plus ancienne, celle de la
régression hédonique consistant à "expliquer", au sens
statistique du terme, le prix d'un produit par le montant de chaque
caractéristique le composant (par exemple le prix d'un produit
alimentaire comme une fonction de sa composition nutritionnelle).
Deux voies d'approfondissement apparaissent assez logiquement
à l'examen de ces résultats : la première consiste
à estimer plus précisément la demande des
différentes caractéristiques et des diverses variantes d'un
produit différencié, la deuxième à explorer plus en
détail la façon dont les consommateurs perçoivent les
différentes caractéristiques et arbitrent entre elles pour faire
leurs choix. Cette approche sera utilisée dans la présente
étude.
> Les perspectives : modéliser la demande et
l'offre de caractéristiques et de produits
différenciés
Pour progresser dans la première voie, il faut prendre
en compte à la fois l'offre de
variétés et la demande de
caractéristiques. A partir des séries temporelles, Boizot (op.
cit) a réalisé des analyses économétriques
détaillées de la consommation du vin et des boissons
alcoolisées en fonction de leurs caractéristiques "objectives"
(appellation, conditionnement, etc.).
Pour étudier l'offre et la demande de
caractéristiques, des modèles d'équilibre de marché
ont été proposés dans la littérature. Rosen (1974),
par exemple, développe un modèle de concurrence pure et parfaite
dans lequel la fonction de prix hédonique résulte de
l'interaction entre offreurs et demandeurs de caractéristiques.
L'estimation de modèles de ce
type permettrait d'évaluer précisément
les prix implicites des caractéristiques des produits, et surtout de
déboucher sur des prévisions en fonction des variations de
l'offre ou de la demande de caractéristiques particulières sur un
marché. Les questions dans ce domaine ne se limitent évidemment
pas au marché du vin, mais concernent toute création ou
signalisation d'une caractéristique (nouvelle appellation d'origine,
garantie sanitaire, allégation nutritionnelle).
Pour analyser les équilibres offre-demande sur des
marchés de produits différenciés, la littérature
s'appuie de plus en plus sur les modèles de choix discrets (Anderson et
al, 1992). Ces modèles partent de l'hypothèse que chaque
consommateur choisit la variante d'un produit différencié qui lui
procure la plus grande utilité, cette dernière étant
définie sur un ensemble limité de caractéristiques
plutôt que sur un grand nombre de produits. La demande dépend
alors aussi bien de la réaction du consommateur par rapport aux prix que
de sa sensibilité par rapport aux caractéristiques du produit. La
combinaison de méthodes d'estimation adaptées à ce type de
modèles et des données détaillées permettra en
particulier de quantifier des effets de substitution qui tiendront compte du
degré de "ressemblance" des différentes variantes.
En conclusion on retient que la demande d'un produit
alimentaire est fonction de plusieurs variables telles que le prix du produit
considéré, les prix des produits complémentaires ou de
substitution, les revenus, certains paramètres démographiques,
les goûts et habitudes. Aussi, l'utilisation de plus en plus
fréquente de données de série temporelle conduit-elle
à travailler sur de nouvelles adaptations des méthodes
d'estimation des fonctions de demande. Un des intérêts des
observations répétées des mêmes individus est de
permettre d'estimer des paramètres de demande en éliminant les
effets de l'hétérogénéité inobservée
(les effets propres à chaque individu). Cependant, vu les contraintes
financières et temporelles auxquelles nous sommes confrontés pour
la présente thèse, nous nous sommes limités aux
données transversales collectées au cours de notre seul passage
dans les ménages. Le chapitre suivant présente la
méthodologie adoptée aussi bien pour la collecte des
données que pour l'analyse des données.